
Malgré les multiples campagnes de sensibilisation, la santé mentale demeure un sujet tabou dans plusieurs milieux de travail. Pourtant, selon la Commission de la santé mentale du Canada 1, près du quart de la population active au pays est confronté à des problèmes de santé mentale tels que la détresse psychologique, la dépression ou l’épuisement professionnel. La source de ces phénomènes est souvent un stress important pouvant notamment être lié au travail.
Les problèmes liés à la santé mentale constituent la troisième cause d’invalidité de courte durée, après les maladies respiratoires et les problèmes musculosquélettiques. Le coût moyen de ces absences est de 18 000 $ par personne, comparativement à environ 9 000 $ pour les cinq autres principales causes d’absence 2. De plus, on estime que les problèmes de dépression majeure diminuent d’environ 11 % 3 la productivité des entreprises en raison, entre autre, de l’absentéisme, du présentéisme et des coûts liés au roulement du personnel. La Commission de la santé mentale du Canada prévoit qu’au cours des 30 prochaines années, le coût pour l’économie canadienne dépassera les 2,5 milliards de dollars. Il est donc souhaitable qu’un employeur cherche à réduire l’apparition de problèmes liés à la santé mentale dans son entreprise car la Commission estime que près de 30 % des réclamations pour invalidité à court et à long termes au Canada sont liées aux troubles mentaux et aux maladies mentales; c’est aussi l’un des trois principaux motifs à l’origine des réclamations, selon 80 % des employeurs.
L’étude Salvéo, réalisée conjointement par l’Université de Montréal, l’Université Concordia et l’Université Laval, en collaboration avec la Standard Life, est l’une des plus importantes menées à ce jour sur les facteurs de risque des problèmes de santé mentale. Au moyen d’un formulaire de près de 300 questions, elle a permis de déterminer et de comparer certains facteurs propres à l’apparition de la détresse psychologique, la dépression ou l’épuisement professionnel. Elle met également en lumière l’importance de bien cerner les problématiques de santé mentale dont souffrent les employés, afin de mettre en place les interventions appropriées et susceptibles d’avoir un effet positif.
La première étape est de détecter les employés manifestant des problèmes de santé mentale. Bien que les questionnaires constituent de précieux outils, les gestionnaires doivent faire partie de l’équation. Même s’ils ne sont pas psychologues, il est cependant possible de leur fournir des outils leur permettant de s’occuper des problèmes de leurs employés et de mieux les aider le cas échéant. Cet article propose quelques moyens concrets qui peuvent donner des résultats; une stratégie intégrée les rendraient encore plus efficaces.
Éducation et formation
Le phénomène de stigmatisation quant aux problèmes de santé mentale est bel et bien réel. Les victimes souffrent davantage de la perception des autres à leur égard – réelle ou appréhendée – que de la maladie elle-même. Les dirigeants doivent donc être sensibilisés à la problématique afin d’appuyer efficacement les interventions et favoriser une culture d’entreprise prônant une saine santé psychologique. Le succès des interventions est impossible sans leur adhésion. Ils doivent comprendre que si la problématique est bien réelle, il existe des moyens de l’atténuer afin qu’employés et gestionnaires puissent y faire face efficacement. Il importe que les dirigeants comprennet l’effet positif que peut engendrer un changement de culture à l’égard, par exemple, de la conciliation travail-famille. Cette dernière a été identifiée par l’étude Salvéo comme l’un des éléments qui protège à la fois contre l’épuisement professionnel, la détresse psychologique et la dépression.
Nous savons aujourd’hui que le comportement des gestionnaires influe sur celui des employés. Cependant, ils sont souvent mal outillés pour appuyer les employés aux prises avec des problèmes de santé mentale. Le Conference Board du Canada estimait en 2011 4 que près de la moitié des gestionnaires n’avaient jamais reçu de formation à cet effet. Or, il est primordial que les gestionnaires et superviseurs bénéficient d’une formation appropriée pour pouvoir reconnaître les signes et symptômes des problèmes de santé mentale et diriger l’employé vers les ressources appropriées, tout en lui fournissant un soutien conséquent.
Il ne s’agit pas d’amener le gestionnaire à poser un diagnostic, mais de lui permettre de parler ouvertement de cette problématique avec ses employés. Sans une telle formation, le gestionnaire pourrait interpréter la situation sous un angle autre que celui d’un problème lié à une condition de santé et ainsi priver l’employé d’un traitement approprié ou de mesures d’accommodement nécessaires, lesquels le garderaient en santé et performant au travail. Parmi les éléments de formation bénéfiques aux gestionnaires, mentionnons :
- la compréhension des problèmes de santé mentale afin d’atténuer les stigmates;
- la reconnaissance des signes et symptômes;
- le retour au travail après un congé lié à la santé mentale;
- le perfectionnement des aptitudes de communication;
- la connaissance des services offerts par le Programme d’aide aux employés; et
- l’exercice d’un leadership positif.
Soulignons que ce dernier point constitue une voie prometteuse. Selon certains experts, les gestionnaires peuvent poser des gestes simples pour favoriser la santé psychologique : responsabiliser les employés, faire preuve de souplesse, donner de la liberté dans l’organisation du temps, souligner les bons coups des employés, démontrer de la disponibilité et communiquer efficacement. Ainsi, le gestionnaire favorise un climat de confiance où les employés se sentent à l’aise de s’exprimer.
Programme d’apprentissage et de soutien pour les employés
Il importe aussi de ne pas sous-estimer le rôle de l’employé quant à la santé mentale au travail et à la création d’un environnement sain. En conséquence, celui-ci devrait bénéficier d’une formation appropriée visant d’abord à démystifier la santé mentale pour pouvoir en parler ouvertement, qu’il s’agisse de lui-même ou d’un collègue.
Un programme d’apprentissage et de soutien bien conçu permettra également à l’employé de mieux gérer son stress, de faire preuve de résilience, d’apprendre à exprimer ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas, de s’affirmer en sachant dire « non » à une situation, de prendre l’initiative, d’assumer des responsabilités additionnelles, et de communiquer efficacement avec ses collègues.
Stratégie de prévention
Une entreprise peut certes avoir une influence positive sur le bilan de santé psychologique de ses employés en déployant des mesures préventives comme un programme de santé et de mieux-être global, un programme de gestion des absences occasionnelles et une stratégie de gestion des invalidités et du retour au travail. Afin de générer de réels résultats, ces programmes doivent être intégrés. Leur déploiement doit encore une fois passer par des gestionnaires bien formés et capables de déceler les employés à risque et d’agir avant l’invalidité. Déployée par l’entremise de mesures concrètes, cette stratégie peut favoriser des changements réels tant en ce qui concerne la santé organisationnelle que celle de l’employé. Rappelons qu’un programme de santé et de mieux-être global s’intéressera inévitablement à la santé physique et psychologique des employés mais également à l’environnement de travail, les pratiques de gestion ainsi que celles liées à la conciliation travail/vie personnelle. Pour être efficace, il faut en effet s’assurer d’une stratégie cohérente.
L’accès à un programme d’aide aux employés (PAE) constitue un autre moyen efficace pour aider les gestionnaires et employés à aborder les problèmes de santé mentale. Il est crucial qu’un PAE offre divers services afin de tenir compte des réalités individuelles où les sources de stress peuvent prendre diverses formes telles que des problèmes familiaux, conjugaux, financiers, juridiques ou encore des problèmes de relations interpersonnelles avec ses collègues et/ou gestionnaires. Les efforts et investissements consentis pour la mise en place de tels programmes sont pleinement justifiés en cette ère de l’économie du savoir où, plus que jamais, le capital humain s’impose comme la ressource la plus précieuse de l’entreprise. Avec une intégration graduelle à la culture de l’entreprise, ceux-ci génèreront une forme de rendement du capital investi à moyen et long termes, à la condition d’en assurer la promotion, d’encourager leur utilisation et d’assurer leur pérennité.
Il n’existe pas de recette universelle pour aborder la question de la santé mentale en milieu de travail. Nous pouvons cependant affirmer que les programmes doivent faire partie intégrante de la culture de l’entreprise et être élaborés en fonction d’une analyse rigoureuse des besoins qui lui sont propres. La complexité de la question de la santé psychologique au travail ne doit pas nous faire oublier que plusieurs actions simples peuvent être posées au quotidien, tant par les dirigeants et les gestionnaires que par les employés. Des gestes aussi simples que de dire « bonjour » et « merci » constituent un engagement clair envers l’action.
Progressivement, l’entreprise pourra poser des gestes plus importants tels que la mise en place de programmes plus spécifiques à la nature des problèmes identifiés, ou encore la création de politiques de conciliation travail-famille afin d’augmenter la présence de facteurs de protection nécessaires à la santé.
Virginie Gosselin est conseillère principale, santé et mieux-être à la Standard Life.
1Source : La nécessité d’investir dans la santé mentale au Canada
2Source : Dewa C, Chau N, Dermer S. Examining the comparative incidence and costs of physical and mental health-related disabilities in an employed population. J Occup Environ Med 2010; 52 (7) : 758-62.
3Source : Lerner D, Adler DA, Chang H, et coll. The clinical and occupational correlates of work productivity loss among employed patients with depression. J Occup Environ Med 2004; 46(6Suppl) : S45-S55.