Dès les premières semaines de la pandémie, en 2020, les employeurs ont dû agir dans l’urgence pour aider leurs employés à ne pas sombrer au fond du précipice alors que leur santé psychologique périclitait à un rythme alarmant. Même si l’urgence sanitaire s’est depuis résorbée, la santé mentale des travailleurs demeure plus fragile que jamais, et l’industrie doit maintenant s’assurer de leur offrir du soutien à long terme par le biais de programmes structurés et intégrés.

En juin dernier, employeurs et experts ont eu l’occasion de partager leurs stratégies et bonnes pratiques en la matière dans le cadre d’une table ronde organisée par Avantages.

« ­Avant la pandémie, c’était difficile d’obtenir des budgets pour les programmes de santé et ­mieux-être, mais un changement de pensée s’est vraiment opéré avec la pandémie pour tout ce qui touche la santé mentale, raconte ­Joanne ­Bouchard, responsable de la rémunération et des avantages sociaux à ­RGA ­Compagnie de ­réassurance-vie du ­Canada. Maintenant, les gens viennent me voir pour me demander quelles initiatives sont en place et ce que l’on pourrait faire de plus. »

Plusieurs de ses confrères ont fait le même constat au sein de leur organisation, notamment ­Mona-Lisa ­Apollon, conseillère en santé et ­mieux-être au travail à l’Université de ­Montréal. « ­La pandémie a été un accélérateur pour parler de promotion de la santé mentale et de la santé en général. Elle a aussi permis de mettre en action certaines initiatives qui tardaient à l’être », ­assure-t-elle.
Pour autant, les dernières années ont été particulièrement pénibles pour les employés et les employeurs. Les perturbations mondiales actuelles s’ajoutent au passif de la pandémie, créant encore stress et incertitude.

« ­On sent une certaine lourdeur chez nous, les gens sont différents, constate ­Joanne ­Bouchard. On dirait qu’ils ne veulent plus parler de santé mentale, ils sont tannés de ces deux ­mots-là. On doit passer à la santé mentale 2.0, aller ­au-delà de la résilience et chercher de nouvelles solutions. On a beaucoup misé sur les formations, mais il est clair que ce n’est plus suffisant. »

À ­UAP, entreprise spécialisée dans la distribution de pièces pour automobiles et véhicules lourds, le début de la pandémie a coïncidé avec le lancement prévu du nouveau programme de santé globale, qui a finalement été repoussé de quelques mois. « ­On a évidemment mis l’accent sur la santé mentale, parce que les dernières années ont été éprouvantes et stressantes, mentionne ­Geneviève ­Hébert, directrice, rémunération globale à ­UAP. On le sent un peu moins cette année, mais il y a encore de nombreux défis liés aux absences et à la pénurie de ­main-d’œuvre, ce qui occasionne une charge de travail accrue pour certains employés. Il y a beaucoup de stress associé à ça. Le retour au travail en format hybride génère aussi de l’incertitude, mais en même temps fait énormément de bien au moral, on sent la joie qui est de retour. »

« ­On compte 1 600 employés au ­Québec, soit 600 techniciens sur la route et 1 000 employés touchés par le télétravail, explique ­Alexandre ­Desjardins, chef santé et ­mieux-être au travail à Énergir. Les réalités sont différentes dans les bureaux et sur la route, mais on a constaté une hausse des troubles de santé psychologique chez l’ensemble des employés. Ce qui nous a sauvés, c’est notre forte culture de bienveillance à l’interne, par exemple nos initiatives de pairs aidants. »

À l’écoute des employés

Chose certaine, les promoteurs de régimes d’avantages sociaux semblent de plus en plus sensibilisés à l’importance d’analyser finement les données à leur disposition pour cerner les préoccupations de leur ­main-d’œuvre et mettre en branle des programmes et initiatives qui répondent réellement aux besoins en matière de soutien en santé mentale.

Le ­Syndicat de la fonction publique du ­Québec (SFPQ) compile pour sa part les données d’utilisation des programmes d’aide aux employés (PAE) et de consommation d’antidépresseurs de ses quelque 35 000 membres couverts par une quarantaine de conventions collectives. « ­Nous sommes aussi à l’écoute de nos membres, explique ­Guillaume ­Daigneault, conseiller aux avantages sociaux au ­SFPQ. Nous avons notamment ajouté la couverture des travailleurs sociaux au régime parce que les gens se plaignaient que les psychologues devenaient difficiles d’accès. Ils nous disaient aussi que le régime d’assurance invalidité était insuffisant pour les soutenir convenablement, nous l’avons donc bonifié. »

En plus des données classiques fournies par l’assureur, ­Danone ­Canada suit de près des indicateurs comme le taux d’absentéisme et le taux de roulement pour prendre le pouls de la santé psychologique de l’organisation, explique ­Melanie ­Jan, coordonnatrice, avantages sociaux et rémunération globale. « ­On essaie de regrouper les informations provenant de nos systèmes avec celles recueillies directement auprès des employés. Cela a ainsi mené à une bonification de la couverture des soins paramédicaux. On demande par exemple aux gens qui partent pourquoi ils ont pris cette décision. On a aussi utilisé tous les indicateurs à notre disposition pour améliorer le processus de retour au travail et après un congé de maternité. »

Recueillir des informations en donnant la parole aux employés est aussi une stratégie mise en œuvre à Énergir. « L’évaluation des risques psychosociaux au sein de l’organisation est en cours. Nous avons déjà rencontré 53 groupes d’employés cette année, dit ­Alexandre ­Desjardins. On s’est également dotés d’un calcul de rentabilité pour nos programmes de santé mentale, et on se compare régulièrement à nos pairs en partageant nos meilleures pratiques à plusieurs tables de concertation. »

«On sent une certaine lourdeur chez nous, les gens sont différents. On dirait qu’ils ne veulent plus parler de santé mentale, ils sont tannés de ces deux mots-là. On doit passer à la santé mentale 2.0, aller au-delà de la résilience et chercher de nouvelles solutions. On a beaucoup misé sur les formations, mais il est clair que ce n’est plus suffisant. »

– Joanne Bouchard, RGA Compagnie de réassurance-vie du Canada

La haute direction et le conseil d’administration de la société reçoivent chaque trimestre un tableau de bord contenant les indicateurs essentiels permettant d’identifier les principales tendances en matière de santé des employés. « ­On a vu une augmentation du nombre de dossiers d’invalidité, on a donc ajouté un volet de réadaptation lors des invalidités de courte durée », ajoute M. Desjardins.

À ­RGA, les données sur la santé des employés sont transmises à la haute direction, un changement intervenu au cours de la dernière année. « ­Les données provenant de notre assureur nous ont incités à bonifier la couverture des psychologues et à offrir le remboursement des services de conseillers familial et conjugal », énumère ­Joanne ­Bouchard. L’employeur suit aussi avec attention le taux de participation aux différentes activités et conférences qu’il organise en lien avec la santé psychologique. « ­Les gens nous disent qu’ils n’ont pas le temps de participer aux activités, parce qu’ils ont l’impression que ça pourrait être mal perçu de la part de leur gestionnaire de le faire. Il faut donc travailler en partenariat avec les gestionnaires et les convaincre que c’est bien pour eux et leurs équipes de prendre un peu de recul et de prendre part à nos différentes initiatives. »

UAP a pour sa part mené une évaluation de santé et ­mieux-être auprès de ses employés juste avant la pandémie pour déterminer les éléments prioritaires à mettre en place dans le nouveau programme que l’entreprise s’apprêtait à déployer. Or, à ce ­moment-là, la santé mentale n’était pas ressortie comme étant le principal enjeu. « ­Mais on sait que ça a beaucoup changé avec la pandémie, indique ­Geneviève ­Hébert. Pour favoriser les discussions sur la santé mentale, on a réalisé de courtes vidéos portant entre autres sur la stigmatisation et les façons de reconnaître qu’un collègue ne va pas bien. On a même créé des versions en format bande dessinée pour les employés en magasin et en entrepôt qui ont moins accès à un ordinateur. »

Une multitude d’indicateurs sont pertinents pour obtenir l’heure juste sur le niveau de santé psychologique des employés d’une organisation, dont les données d’invalidité, de consommation de médicaments et d’observance thérapeutique, de tabagisme et de consommation d’alcool, d’utilisation des soins paramédicaux, des congés de maladie et des ­PAE, sans oublier les sondages de mobilisation et d’engagement auprès des employés, soutient ­Valérie ­Ducharme, conseillère en santé organisationnelle, gestion santé intégrée à ­Sun ­Life. « ­On doit être capable d’inclure tous ces indicateurs dans un rapport de santé intégré pour connaître l’état des lieux et les risques potentiels. »

En 2020, en réponse à la pandémie, ­Sun ­Life a mené un sondage auprès des promoteurs de régimes d’avantages sociaux concernant la santé physique, mentale et financière. « ­Le volet financier est beaucoup ressorti dans les résultats, la pandémie ayant entraîné un stress financier important par rapport au budget et aux revenus de retraite », note ­Valérie ­Ducharme.

En analysant ses propres données, ­Croix ­Bleue ­Medavie a entre autres constaté que les jeunes employés sont de très grands utilisateurs de services de soutien en santé psychologique. « ­On remarque que la génération Z utilise ces services dès son entrée sur le marché du travail. C’est une tendance lourde et à grande échelle, constate ­Olivier ­Pagé, directeur des opérations, gestion de l’invalidité pour l’assureur. Les femmes ont aussi une prévalence plus grande pour tout ce qui est lié à la santé mentale. On essaie de développer une approche qui va davantage répondre à leurs besoins. »

Prendre soin des gestionnaires

Les participants à la table ronde sont unanimes : les gestionnaires sont aujourd’hui la catégorie d’employés la plus à risque en matière de santé psychologique, et celle qui a le plus besoin de soutien.

« ­On le constate dans nos sondages, ce sont les gestionnaires qui ont enregistré la plus forte diminution de l’indice de santé mentale depuis le début de la pandémie, confirme ­Alexandre ­Desjardins, d’Énergir. Ils sont constamment entre l’arbre et l’écorce. Leur capacité d’adaptation s’effrite de mois en mois. On essaie de les soutenir via des formations, du coaching et un réseau de pairs aidants spécifiquement conçu pour eux. »

Si bien des organisations comptent sur leurs gestionnaires de premier niveau pour soutenir leurs employés, identifier chez eux les signes ­avant-coureurs de difficultés psychologiques et les orienter vers les bonnes ressources, il y a une limite à ce qu’on peut leur demander, estime ­Geneviève ­Hébert, de ­UAP.

« ­Il faut recadrer les attentes de l’organisation envers eux. Oui, ils ont un rôle à jouer pour soutenir et orienter leurs employés, mais ils doivent comprendre qu’ils ne sont pas des psychologues non plus. Ils ont tendance à s’en mettre beaucoup sur les épaules. »

Les ressources humaines prennent par exemple en charge le volet de soutien aux employés lors du déploiement de nouveaux outils en santé et ­mieux-être. « ­On ne peut pas demander aux gestionnaires de s’occuper de tout ça, on ne veut pas qu’ils se sentent surchargés. »

L’entreprise a également développé une trousse qui s’adresse directement aux gestionnaires et rappelé l’existence d’un volet du ­PAE leur étant particulièrement destiné.

À l’Université de ­Montréal aussi la capacité d’adaptation des gestionnaires a atteint ses limites après deux ans d’incertitude. « C’est vraiment la population qui m’inquiète le plus en ce moment, confie ­Mona-Lisa ­Apollon. Le travail en mode hybride change la donne. Des chercheurs de l’université ont mené une étude auprès des employés sur l’incidence du télétravail sur certains risques psychosociaux. Nous sommes en attente des résultats pour mieux outiller les gestionnaires. »

L’université travaille en outre à l’élaboration d’un programme de formation intégré à destination des gestionnaires qui couvre à la fois le développement des compétences en gestion des enjeux de santé mentale, la détection des facteurs de risque psychosociaux ainsi que l’accompagnement des employés pour le maintien au travail et dans le cadre d’un plan de retour au travail.

Si les gestionnaires se disent généralement satisfaits des différentes formations offertes par leurs employeurs, notamment sur l’identification des facteurs de risques, ils déplorent toutefois d’avoir une capacité d’action limitée, note ­Olivier ­Pagé, de ­Croix ­Bleue ­Medavie. « ­On porte beaucoup d’attention aux capacités d’écoute et de communication, mais les outils d’intervention manquent souvent. Certaines organisations allouent un budget aux gestionnaires pour qu’ils puissent organiser des activités de consolidation avec leur équipe. Ça permet d’améliorer la mobilisation des employés. »

Une approche ciblée, mais prudente

La quantité colossale de données à la disposition des promoteurs de régime concernant la santé des employés, les coûts des régimes d’avantages sociaux et l’utilisation des divers programmes de santé et ­mieux-être soulève la question de la personnalisation. Les employeurs ­devraient-ils tirer parti de toutes ces données pour élaborer une offre de soutien en santé mentale plus ciblée en fonction des différents profils de travailleurs ?

« ­Nous n’en sommes pas encore au point de segmenter nos communications, affirme ­Geneviève ­Hébert. Environ 75 % des employés d’UAP sont des hommes dans la cinquantaine, pour qui il est moins naturel de parler ouvertement de santé mentale. Nous essayons de cibler tous les groupes de travailleurs. Nous avons par exemple ajouté un volet santé mentale à notre programme d’équité, de diversité et d’inclusion, car on sait que les problèmes d’ordre psychologique peuvent causer de l’exclusion. On essaie de donner la chance à tout le monde de s’exprimer à travers nos différentes plateformes et tables rondes. »

Danone ­Canada applique une philosophie similaire en privilégiant d’abord et avant tout les principes d’inclusion. « ­Nous n’avons pas de stratégies ciblées vers certaines populations, parce que l’on considère que tout le monde est à risque lorsqu’il est question de santé psychologique, indique ­Melanie ­Jan. Nous priorisons néanmoins les discussions avec les employés qui partent en invalidité de courte durée pour éviter que la situation évolue en invalidité de longue durée. On essaie aussi de sensibiliser les gestionnaires au risque accru de problèmes de santé psychologique chez les femmes et les nouveaux employés. »

Joanne ­Bouchard se montre également réticente à l’idée de cibler certains ­sous-groupes d’employés en particulier. « ­On essaie de rejoindre un peu tout le monde pour ne pas que des gens se sentent ignorés. » ­Cela dit, la maison mère de ­RGA, située à ­Saint-Louis, aux ­États-Unis, a lancé l’initiative ­Community of ­Care, des groupes de soutien rassemblant des employés vivant des problématiques communes, notamment les employés monoparentaux ou les parents d’adolescents.

Si l’approche personnalisée semble être prometteuse en théorie, elle est parfois difficile à appliquer sur le terrain, comme le constate ­Guillaume ­Daigneault, du ­SQFP. « C’est certain qu’un ouvrier au ministère des ­Transports ne vit généralement pas les mêmes invalidités qu’un employé de centre d’appel, tant du point de vue physique que psychologique. Par contre, quand on veut débloquer des budgets pour aider davantage les familles par exemple, les travailleurs plus âgés nous disent qu’ils n’ont plus d’enfants à la maison et qu’ils ne profiteront donc pas de ces nouveaux services. Tout le monde tire la couverture de son côté. C’est difficile d’allouer plus de ressources à des catégories d’employés qui en auraient ­peut-être davantage besoin. »

Le syndicat offre tout de même des tribunes à certaines catégories d’employés potentiellement plus à risque par le biais du ­Comité national des jeunes, pour les travailleurs de moins de 35 ans, et le ­Comité national des femmes.

Au-delà des femmes et des jeunes, largement identifiés dans les études comme étant plus susceptibles de souffrir de troubles de santé psychologiques, ­Valérie ­Ducharme indique certaines catégories d’emplois particulièrement à risque, par exemple les employés de centre d’appel, chez qui le taux d’invalidité est beaucoup plus élevé. « C’est important de les suivre de façon plus pointue, ­note-t-elle. On remarque aussi des situations problématiques chez les employés de sièges sociaux à la suite d’importantes acquisitions et de changements de culture organisationnel. On doit aller plus en profondeur dans l’analyse de ces ­groupes-là, en mettant sur pied des groupes de discussion et des sondages, par exemple. »

Elle remarque que les groupes de soutien ont un effet décisif dans les milieux très à risque, tout comme les horaires de travail flexibles, lorsqu’ils sont possibles. Des mesures d’accommodements pour les personnes à risque s’avèrent aussi utiles pour les maintenir en emploi et éviter les invalidités, tout comme les services de navigation et le coaching en santé mentale.

« C’est une bonne idée d’avoir une approche plus personnalisée, croit pour sa part ­Olivier ­Pagé. On remarque que les employeurs sont de plus en plus intéressés par les régimes flexibles dans lesquels les participants peuvent utiliser des blocs de fonds comme ils le souhaitent. L’idée n’est pas d’avoir une stratégie extrêmement précise sur certaines initiatives, mais plutôt de laisser le choix aux participants. Il ne faut pas perdre de vue que dans deux ans, le profil des employés va être différent, et que les besoins vont déjà avoir changé. C’est pourquoi il faut demeurer flexible à chacune des étapes, de la prévention jusqu’au retour au travail. »

Flexibilité salvatrice

Pour permettre à leurs employés de souffler un peu dans le contexte extrêmement tendu de la pandémie, de nombreuses organisations ont assoupli le cadre de travail et donné plus d’autonomie aux travailleurs. Cette souplesse ne peut toutefois pas se matérialiser de la même façon dans tous les milieux.

« C’est certain que pour les techniciens sur la route et les employés des bureaux de contrôle, on doit maintenir un horaire de travail précis, mentionne ­Alexandre ­Desjardins, ­d’Énergir. Malgré tout, on parvient à faire une bonne rotation des employés. D’ailleurs, la majorité de nos employés sur la route ont un horaire de quatre jours de travail par semaine. Ça leur donne beaucoup de flexibilité, ils peuvent prendre des ­rendez-vous ou planifier des activités le jour où ils ne travaillent pas. »

Pour les employés de bureau, de retour en mode hybride depuis le mois d’avril, Énergir a adopté un cadre de travail flexible qui donne de la latitude aux travailleurs dans l’aménagement de leur horaire. Les vendredis ­après-midi de congé, autrefois réservés à la période estivale, sont maintenant en vigueur à l’année. « ­On accorde énormément d’importance au droit à la déconnexion en limitant les courriels en dehors des heures de bureau. Des plages horaires sont aussi exemptes de réunions. »

UAP doit également composer avec différentes catégories de travailleurs et répondre de façon variée aux besoins de flexibilité. « C’est plus difficile de jouer avec l’horaire des employés en magasin, mais on a bonifié notre politique de vacances et ajouté la possibilité de prendre une semaine sans solde », précise ­Geneviève ­Hébert.

Dans les environnements de bureaux plus traditionnels, la question du télétravail et du retour au travail en mode hybride entraîne évidemment une vaste réflexion chez les employeurs.

« ­Pour le moment, notre politique, c’est que les employés de bureau peuvent venir sur place quand ils le veulent, mais il n’y a pas d’obligation, explique ­Melanie ­Jan. Nous avons vraiment une grande culture de flexibilité concernant les horaires. Cela dit, on est en train de réfléchir à des façons de favoriser les échanges en personne, parce qu’on a besoin de se voir autrement que sur un écran. C’est important pour le sentiment d’appartenance à l’organisation. »

Pour donner plus de flexibilité à ses employés, ­Danone ­Canada offre entre autres la possibilité de travailler hors du pays jusqu’à quatre semaines par année.

« ­Il faut que les employés sentent que ça vaut la peine de se rendre au bureau, poursuit ­Marlon ­Majdoub, directeur, développement des affaires pour l’est du ­Canada à ­Teladoc ­Health. De notre côté, on organise un lunch d’équipe tous les mercredis. Nous avons également réaménagé nos bureaux pour créer différents espaces. Certains sont plus silencieux et se prêtent davantage au travail individuel, alors que d’autres ont une vocation plus collaborative. »

À l’Université de ­Montréal, on cherche en ce moment à rapatrier les employés professionnels et cadres au bureau quelques jours par semaine. « C’est un défi de faire comprendre aux gens que le télétravail à temps plein ce n’est pas la panacée, et qu’il y a des avantages à revenir au bureau en mode hybride. On outille les gestionnaires pour que ce retour fonctionne le mieux possible », souligne ­Mona-Lisa ­Apollon.

Les professionnels et les cadres de l’institution d’enseignement bénéficient aussi d’horaires flexibles et des vendredis de congé pendant l’été. « ­Pour les employés de soutien, en particulier ceux qui offrent du service à la clientèle dans les cliniques, bibliothèques, cafétérias et résidences, l’horaire est plus fixe, mais certains aménagements sont tout de même possibles. »

Dans la fonction publique québécoise, la flexibilité est plutôt… rigide. La ­politique-cadre du gouvernement prévoit deux jours au bureau et trois jours en télétravail. « Ça ne fait pas l’affaire de tout le monde. Certains aimeraient aller davantage au bureau, d’autres moins, mais c’est impossible à l’heure actuelle, constate ­Guillaume ­Daigneault, du ­SFPQ. Les modalités entourant le travail hybride ne sont pas encore inscrites dans la convention collective, ça pourrait évoluer lors de la prochaine négociation. »

Même s’il ne fait pas le bonheur de tous, le retour au bureau à temps partiel est bénéfique d’un point de vue psychologique, souligne ­Olivier ­Pagé. « ­Plusieurs études ont montré que l’isolement et la perte des contacts quotidiens entraînent une hausse drastique du taux d’incidence pour les troubles de santé psychologique. Ces ­contacts-là doivent être repensés dans une organisation du travail hybride, et les organisations ont la responsabilité d’aider leurs gestionnaires à y parvenir. »

M. Pagé note par ailleurs que l’augmentation de la productivité parfois observée en télétravail se fait très souvent au prix d’heures de travail plus étendues. D’où une sensibilité de plus en plus grande des employeurs concernant le droit à la déconnexion. « ­Une loi en ce sens adoptée en ­Ontario pourrait influencer le ­Québec », ­croit-il.

«J’ai l’impression que les gens ont besoin d’une consultation en personne pour se livrer davantage, l’écran fait office de barrière. »

– Melanie Jan, Danone Canada

Incontournables soins virtuels

Il n’y a encore pas si longtemps, les soins virtuels en santé psychologique n’étaient offerts que par les employeurs les plus ­avant-gardistes. Mais depuis la pandémie, ils font maintenant partie intégrante des régimes d’avantages sociaux d’un grand nombre d’organisations. Pour autant, certains travailleurs recherchent encore les consultations en personne.

RGA a lancé en 2020 une nouvelle plateforme proposant à la fois un programme d’aide aux employés (PAE), un service de télémédecine et un programme de gestion du stress en ligne. « L’idée était d’intégrer notre offre en santé et ­mieux-être, explique ­Joanne ­Bouchard. Nos employés travaillent dans le domaine financier, ils sont donc très à l’aise avec la technologie – le passage au virtuel avait du sens pour nous. »

Si la télémédecine a rapidement connu du succès, le démarrage du ­PAE virtuel a été plus lent. « Ça a pris presque deux ans avant de retrouver le niveau d’utilisation qu’on avait auparavant avec notre ­PAE traditionnel. ­Peut-être que le contact humain est davantage recherché pour ces ­services-là, que c’est plus difficile de communiquer en mode virtuel », évoque ­Mme ­Bouchard.

Melanie ­Jan fait un constat similaire pour les employés de ­Danone. « ­On offre la télémédecine depuis déjà longtemps, et le taux de satisfaction est élevé chez nos employés de bureau. Par contre, les employés d’usine ne sont pas tous aussi familiarisés avec la technologie. Certains n’ont même pas d’adresse de courriel, ça complique un peu les choses. » ­Considérant la réalité et la diversité de sa ­main-d’œuvre, ­Danone a exigé de son fournisseur l’accès à une ligne téléphonique pour les gens moins à l’aise avec le volet virtuel.

En ce qui concerne la psychothérapie liée au ­PAE, ­Mme ­Jan remarque, à l’instar de ­Joanne ­Bouchard, que les employés sont nombreux à privilégier des consultations en personne, malgré la plus faible disponibilité des ­rendez-vous. « J’ai l’impression que les gens ont besoin d’une consultation en personne pour se livrer davantage, l’écran fait office de barrière. »

L’Université de ­Montréal a pour sa part bonifié son ­PAE en septembre 2021 : le nombre de séances en psychothérapie est désormais illimité. Mais là aussi, le virtuel ne parvient pas à remplacer complètement les soins en personne. « ­Selon un sondage qu’on a mené, le maintien des soins en présentiel était souhaité par nos employés », mentionne ­Mona-Lisa ­Apollon.

Alexandre ­Desjardins n’a toutefois pas vécu la même expérience à Énergir. « ­Nous sommes passés à un ­PAE virtuel en début d’année. Le changement a été très apprécié des employés. Avant, ils avaient beaucoup de difficultés à obtenir des ­rendez-vous en raison de la faible disponibilité des thérapeutes. Maintenant, ils peuvent obtenir une consultation dans les 24 à 48 heures. »

Signe que les troubles de santé mentale sont omniprésents, ils constituent la principale raison qui pousse les employés d’UAP à utiliser le service de télémédecine offert depuis maintenant deux ans, soutient ­Geneviève ­Hébert. « ­Notre ­PAE, quant à lui, n’a pas un taux d’utilisation très élevé. Il faut dire que nos employés sont majoritairement masculins et plus âgés, ils n’ont pas vraiment tendance à consulter. C’est un défi pour nous. »

Malgré la demande toujours très forte pour les soins psychologiques en personne, les services de soins virtuels sont aujourd’hui devenus essentiels, affirme ­Marlon ­Majdoub. « ­On ne peut plus seulement se fier aux programmes sociaux des gouvernements. Les employeurs doivent prendre leurs responsabilités. »

La multitude de startups développant des solutions de soins virtuels toujours plus nichés permettra aux employeurs d’offrir des options plus personnalisées à leur ­main-d’œuvre, estime de son côté ­Olivier ­Pagé. « L’objectif, c’est de donner le bon service, au bon prix, au bon moment. Le principal problème en ce moment est le délai d’accès aux soins. Il y a des cas d’invalidité de courte durée qui évoluent vers la longue durée parce que la prise en charge a trop tardé. On devra un jour trouver le moyen de concilier les services du système public de santé avec la plus grande accessibilité des services privés. »


• Ce texte a été publié dans l’édition de septembre 2022 du magazine Avantages.
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