Si la décision d’opter pour une liste gérée permet de réaliser des économies substantielles, elle peut aussi soulever l’ire des participants. «Les promoteurs ont peur d’annoncer aux assurés que certains médicaments commercialisés au Canada pourraient ne pas être remboursés par le régime. C’est une grosse commande de vendre cette idée-là à des participants frustrés parce que leur médicament n’est pas remboursé, en dépit du fait qu’ils ont payé des primes toute leur vie», concède Johanne Brosseau.

Pour autant, elle estime que les régimes n’ont d’autre choix que de limiter la couverture de certaines molécules pour juguler la hausse des coûts. «Tous les régimes publics au Canada le font. Pourquoi les régimes privés devraient-ils tout couvrir?» lance-t-elle.

«Plusieurs régimes fonctionnent avec des listes gérées depuis longtemps. Lorsque l’on communique bien le message et l’intention derrière ce choix, ça passe généralement très bien chez les employés», constate Marie-Hélène Dugal.

Elle tient par ailleurs à préciser que l’analyse des médicaments réalisée par les groupes consultatifs ne se fait pas uniquement sur la base des coûts. Les effets sur la santé et la qualité de vie des patients sont aussi pris en compte. «Certains médicaments coûtent très cher mais réussissent à prouver leur valeur, alors que pour d’autres, les études démontrent une valeur thérapeutique très incertaine.»

Il convient aussi de mentionner que lorsqu’un assureur décide de ne pas ajouter un médicament à sa liste gérée, c’est qu’il existe des solutions qui affichent un meilleur ratio coût-bénéfice. «Ce n’est pas parce qu’un traitement est le dernier à être arrivé sur le marché qu’il est nécessairement le meilleur. L’objectif, c’est de trouver l’équilibre entre l’accessibilité aux médicaments novateurs et la viabilité des régimes», résume Marie-Hélène Dugal.

Prendre le virage des biosimilaires

L’arrivée massive de médicaments génériques sur le marché il y a quelques années a donné une bouffée d’air frais aux promoteurs de régime, qui ont ainsi pu réaliser des économies majeures. Encore peu utilisés au Canada, les biosimilaires ont eux aussi le potentiel de relâcher un peu la pression financière sur les régimes. Les médecins commencent tranquillement à les prescrire, mais demeurent hésitants à transférer un patient stable d’un médicament biologique vers un biosimilaire.

«On suit attentivement l’évolution du consensus médical sur le sujet. Au cours des prochaines années, l’innocuité de ce transfert-là va être démontrée par les études et on risque fort bien d’observer une situation où les biosimilaires vont être traités de la même façon que les génériques le sont aujourd’hui», estime Marie-Hélène Dugal.

Pour Johanne Brosseau, la plupart des promoteurs et assureurs au Québec feraient preuve de trop de laxisme concernant les biosimilaires. «Le plus simple, ce serait de faire comme le régime public de la RAMQ et de ne pas rembourser les médicaments biologiques pour les nouveaux patients quand un biosimilaire est disponible. C’est aussi comme ça que ça fonctionne dans des régimes privés ailleurs au pays», assure-t-elle.

Cela dit, les promoteurs doivent modérer leurs attentes. Les économies réalisées grâce à l’utilisation des biosimilaires ne sont pas de la même ampleur que celles rendues possibles par la substitution générique. «Mais c’est tout de même appréciable d’avoir des économies de 20 ou 30% sur des traitements de 30000 ou 40000$», concède Marie-Hélène Dugal.

Accompagner les patients

Quand un médicament coûte plusieurs dizaines, voire centaines de milliers de dollars, tout le monde est en droit de s’attendre à des résultats. Pour s’assurer que le traitement est suivi au pied de la lettre par le patient, les assureurs offrent depuis plusieurs années des programmes d’encadrement des hauts réclamants. Dans la plupart des cas, ­ceux-ci font le lien entre les assurés et les programmes de soutien aux patients des sociétés pharmaceutiques. « ­Ces programmes comprennent tous les outils nécessaires pour que le médicament que l’on accepte de rembourser soit pris de la bonne façon. On s’assure ainsi que les effets thérapeutiques que l’on souhaite se produisent vraiment », note ­Marie-Hélène ­Dugal. Les experts qui mènent ces programmes informent notamment les patients sur leur maladie, la bonne façon de prendre et de conserver le médicament, ainsi que les effets secondaires possibles et les moyens de les atténuer.

Mutualiser, mais à quel prix?

Comme on peut le constater, l’étape de la sélection d’un assureur est cruciale, car c’est sur les épaules de celui-ci que repose ultimement une part importante de la gestion des grands réclamants.

D’ailleurs, Johanne Brosseau déplore que de nombreux leviers permettant de mieux gérer les coûts liés aux grands réclamants échappent au contrôle des promoteurs. La consultante pointe notamment du doigt les règles de mutualisation de la Société de compensation en assurance médicaments du Québec (SCAMQ), qui n’encourage aucunement les promoteurs à faire une gestion rigoureuse de leur régime. «Un régime qui a introduit toutes les meilleures mesures de gestion des coûts va payer la même prime qu’un autre régime qui rembourse tout et n’importe quoi à 100%, qui n’a pas de processus d’autorisation préalable, ni de substitution générique obligatoire», s’insurge-t-elle.

Selon Mme ­Brosseau, il est insensé que les médicaments non remboursés par la RAMQ soient mutualisés. «Si le médicament n’est pas sur la liste, le promoteur pourrait tout à fait décider de le couvrir, mais il devrait assumer 100% du risque. À tout le moins, la mutualisation devrait se faire au coût du générique équivalent, ou encore jusqu’à concurrence du minimum de couverture imposé par la loi, soit 65,2%, pas plus», expose-t-elle.

Marie-Hélène Dugal estime de son côté que même si des améliorations pourraient être apportées au système, la SCAMQ a «probablement la meilleure méthodologie de mutualisation qui existe au Canada». Jacques-André Morin ajoute que les coûts de mutualisation se sont malgré tout stabilisés au cours des dernières années.

Un enjeu de société

Lorsqu’ils ont été conçus, les régimes privés d’assurance médicaments ne prévoyaient pas devoir un jour faire face à des demandes de remboursement dans les six chiffres. La question se pose: est-ce vraiment le rôle des promoteurs de régime privé d’assumer les coûts de ces cas extrêmes?

La prise en charge des grands réclamants par l’État est une avenue qui peut être envisagée, mais qui ne réglerait pas tous les problèmes, juge Jacques-André Morin. «Ça enlèverait de la pression sur les régimes privés, mais en même temps, rien ne se perd, rien ne se crée. Cette responsabilité supplémentaire que devront assumer les gouvernements va être financée comment? En augmentant les impôts, la taxe sur la masse salariale? Les promoteurs de régime seraient-ils vraiment gagnants? Ça reste à voir.»

Régime gouvernemental ou pas, le nombre croissant de médicaments au prix stratosphérique soulève des enjeux aussi éthiques que financiers.

«Personne n’a des budgets infinis, souligne Marie-Hélène Dugal. On doit se demander ce que l’on peut se permettre. Plusieurs choses sont remises en question à l’heure actuelle. C’est vraiment important que tous les acteurs concernés participent au débat. C’est de cette façon que l’on pourra trouver de nouvelles solutions pour mieux gérer les grands réclamants.»

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