Les problèmes de santé mentale coûtent directement et
indirectement chaque année 33 milliards de dollars aux entreprises canadiennes,
rapportait récemment le journal Les Affaires. En octobre dernier, le
Harvard Business Review avançait que les coûts du présentéisme,
ce phénomène de plus en plus répandu de travailleurs présents
de corps mais non d’esprit, pourraient même dépasser ceux
de l’absentéisme. On en oublie presque les dépenses reliées
aux maladies cardiovasculaires et aux diverses formes de cancer, qui sont appelées
à croître en nombre et en importance.
À l’échelle de chaque entreprise, cette réalité
est perceptible de par la montée en flèche des dépenses
en assurance collective, en remplacement du personnel, en heures supplémentaires,
en programmes d’aide au personnel(PAE), etc. En effet, au Canada, les
primes d’assurance santé sont passées de 3,2 %(en pourcentage
de la paie)à 6,1 % en 2003, et il est même prévu que, d’ici
2007, elles atteindront 8 %, soit une augmentation de 250 % en cinq ans(1).
Un contexte de travail pas toujours facile pour
la santé
Selon l’University of Michigan Health Management Research Center, les
individus cumulant trois facteurs de risque ou plus(par exemple, surplus de
poids, tabagisme, cholestérol élevé, etc.)entraînent
des coûts deux fois plus élevés pour l’entreprise.
Dans le contexte de travail actuel, la santé mentale est souvent la
première à en subir des conséquences négatives,
et, une fois affectée, plusieurs problèmes de santé physique
peuvent se manifester telles la vulnérabilité aux infections,
la dépression et l’anxiété, la tendance à
consommer trop de médicaments comme les analgésiques et les somnifères(2),
ce qui provoque de plus en plus d’absences et de coûts reliés
à l’invalidité. De plus, des recherches effectuées
par Martin Shain, un éminent chercheur du Centre de la promotion de la
santé de l’Université de Toronto, montrent le lien important
existant entre l’organisation du travail, le stress et la santé
physique et psychologique des individus, influençant inévitablement
les coûts reliés à l’absentéisme.
L’impact des programmes de mieuxêtre en
entreprise
Bien qu’il soit difficile d’établir un lien direct entre
les programmes de promotion de la santé et du mieux-être et les
profits, tout porte à croire qu’agir en prévention, donc
investir en santé pour ses employés, peut freiner la croissance
importante des coûts en ce domaine.
En effet, on constate que les employés qui participent à des
programmes de santé en entreprise diminuent leur taux d’absentéisme
de 3 % à 16 %(3)en moyenne. De plus, les coûts de santé
sont 49 % plus bas chez les individus non fumeurs, qui présentent un
poids normal et qui font de l’activité physique trois jours par
semaine(4).
Par ailleurs, plusieurs programmes de promotion de la santé et du mieux-être
ont donné lieu à un retour sur investissement de 3 $ à
10 $ pour chaque dollar investi(5), et cela sans compter les impacts positifs
non monnayables remarqués dans plusieurs entreprises canadiennes tels
qu’une meilleure estime de soi, une plus grande motivation, un meilleur
service à la clientèle et un meilleur engagement envers son employeur.
Les principales objections
Elles prennent diverses formes et peuvent venir de différents facteurs.
Il devient donc important, pour l’entreprise décidée à
aller de l’avant, d’élaborer son propre argumentaire.
LA SANTÉ, C’EST UNE AFFAIRE PERSONNELLE. C’est
vrai, tout comme ce l’est pour les connaissances et le savoir-faire de
chaque employé, ce qui n’empêche pas les organisations d’encourager
le maintien et le développement des compétences et de favoriser
un environnement facilitant.
LES PROGRAMMES DE SANTÉ, ÇA COÛTE TROP CHER.
Certes, si on ne connaît ou ne reconnaît pas les pertes et les risques
encourus. Pourquoi la préoccupation émergente des entreprises
pour la gestion des risques n’engloberait-elle pas celle relative au capital
humain ? Surtout quand nous savons combien les dollars investis en prévention
peuvent être rentables et, inversement, combien l’inaction et le
laisser-aller peuvent être coûteux pour l’entreprise.
L’ENTREPRISE A DÉJÀ BIEN D’AUTRES PRIORITÉS,
CE N’EST PAS LE BON MOMENT. Mais qu’arrivera-t-il si les
travailleurs sont plus concentrés, communiquent plus clairement, adhèrent
davantage aux valeurs de l’entreprise, s’absentent moins et sont
en meilleure forme physique et mentale, surtout en période de changement
?
LE PERSONNEL NE SERA PAS INTÉRESSÉ. Ce n’est
pas ce que montrent tant les sondages auprès des employés que
les expériences concrètes. Un programme bien conçu et implanté
selon des conditions de succès bien établies peut en effet engendrer
un taux de participation des employés aussi élevé que 80
%.
UN AUTRE PROGRAMME QUI NE SURVIVRA PAS AU PROCHAIN BUDGET.
Si tel était le
cas, cela aura été l’objection la plus sérieuse.
Un programme de promotion de la santé et de prévention ne peut
être un crash program, surtout si on prétend qu’il découle
d’une préoccupation fondamentale de l’entreprise.
En pratique…
Depuis quelques années, des entreprises québécoises ont
pris au sérieux l’alarme quant à la hausse des coûts
de l’absentéisme et de l’invalidité et ont emboîté
le pas dans l’implantation de programmes de prévention.
Le Mouvement Desjardins est passé à
l’action
Malgré une hausse importante de l’absentéisme dans plusieurs
entreprises canadiennes, peu d’organisations au Québec et au Canada
ont investi de façon aussi soutenue et structurée que le Mouvement
Desjardins dans la santé et le mieux-être de leur personnel. Soucieuse
de la qualité de vie de ses employés, elle montre, depuis quelques
années, sa volonté de les soutenir et de les accompagner de façon
continue en matière de santé globale.
Le programme Santé Mieux-être de Desjardins a pour objectif non
seulement de remédier aux diverses facettes du problème d’assiduité
au travail, mais aussi d’établir une culture de mieux-être
individuel et collectif.
L’institution avait déjà fait une bonne analyse de sa situation.
Ainsi, on savait que les coûts directs et indirects des absences pour
raisons de santé représentaient plus de 10 % de la masse salariale
et, comme la majorité des grandes entreprises canadiennes, les maladies
d’ordre psychologique étaient en croissance. De plus, au départ,
les décideurs de Desjardins savaient qu’au moins 50% des employés
manifestaient un vif intérêt à modifier leurs habitudes
de vie pour améliorer leur santé.
Le programme Santé Mieux-être en
bref
Le programme Santé Mieux-être de Desjardins a pour objectif de
responsabiliser les employés en regard à leur propre santé,
de leur faire entamer une réflexion personnelle et d’adopter de
saines habitudes de vie. Ils bénéficient de bilans de santé
et de conférences sur des sujets tels que le stress, l’activité
physique et l’alimentation. Ils reçoivent un bilan personnalisé
comprenant des recommandations faciles à adopter dans leur quotidien.
Pour y arriver, l’employeur fait affaire avec différents partenaires
qui les accompagnent dans la gestion globale de leur santé.
Des résultats
Après quelques années d’existence du programme, déjà
un certain nombre de résultats ont été recueillis. Par
exemple, l’effet combiné du programme Santé Mieux-être
Desjardins et du Défi « J’arrête, j’y gagne !
» de la Fédération des caisses Desjardins, ont permis une
diminution remarquable de 25 % du nombre de fumeurs en deux ans, soit de 21
% en 2002 à 16 % en 2004. La moyenne québécoise de fumeurs
est de 27 %. De même, le programme a permis de déterminer des facteurs
de risques importants qui ont des répercussions sur la santé et
le mieux-être des employés. D’ailleurs, les résultats
récents des bilans de santé effectués dans le cadre de
l’application du programme auprès des caisses de la Fédération
indiquent qu’une proportion non négligeable d’employés a
un niveau de cholestérol supérieur à la valeur souhaitable,
à l’instar de bien des Canadiens.
Toujours au coeur des actions en matière de santé, c’est
alors que le Mouvement Desjardins proposait aux employés le Défi
« Je bouge, j’y gagne ! ». À la première édition,
13 000 personnes s’étaient engagées à faire de l’activité
physique, 30 minutes, cinq jours sur sept pendant six semaines.
Et toujours dans la volonté d’accompagner et d’encourager
de façon continue l’employé, la vaccination contre la grippe
est offerte à chaque automne et, une politique a été acceptée
par le conseil d’administration concernant le remboursement de frais reliés
à l’activité physique.
Le Mouvement Desjardins intègre donc plusieurs notions de santé
dans son organisation tout au cours de l’année. La culture santé
du Mouvement Desjardins découle de l’intérêt à
toujours améliorer le mieux-être de ses employés et de proposer
des actions en continu qui répondent à la réalité
de l’entreprise et de l’employé.
En conclusion
La santé a toujours fait partie de la gestion des ressources humaines
des entreprises. Cependant, le cadre dans lequel évoluent celles-ci,
(caractérisé par une concurrence accrue, une clientèle
plus exigeante et des changements continus tant technologiques qu’organisationnels),
requiert d’aller au-delà des simples examens d’embauche et
de réintégration au travail après un arrêt.
Un parallèle peut être fait avec la gestion des risques, qui est
devenue au cours des dernières années une préoccupation
grandissante dans plusieurs organisations, même si dans les faits les
germes de cette gestion ont toujours existé.
Pour gérer l’absentéisme au travail, la prévention
a tout à fait sa place; car une meilleure santé physique et psychologique,
combinée avec une meilleure organisation du travail, diminue les coûts
en santé dans les organisations, en plus de favoriser la productivité
et l’engagement des employés, ce qui amène des résultats
financiers plus intéressants. Investir dans la santé du personnel
peut vraiment être payant.
EMMANUELLE GAUDETTE est chef de programmes, Services aux entreprises, chez
ACTI-MENU à Montréal.
1. Conference board of Canada, mai 2004
2. Santé Canada
3. American Journal of Health Promotion, 2005
4. Journal of Occupational and Environmental Medicine, 2002
5. Journal of Occupational and Environmental Medicine, 2002