Comment les organisations peuvent-elles concilier des objectifs en apparence opposés — réduire les dépenses, notamment celles des programmes de RH, tout en fidélisant et en suscitant l’engagement des talents clés nécessaires pour permettre un retour à la croissance? La réponse réside dans l’optimisation de la main-d’œuvre et des programmes de rémunération correspondants.

Le ralentissement économique actuel complique les stratégies de gestion de la main-d’œuvre et soulève l’épineux problème de l’optimisation du budget limité affecté à la rémunération et aux avantages sociaux. D’une part, la rémunération et les autres frais liés au personnel subissent les pressions des défis économiques à court terme. D’autre part, les organisations savent bien qu’elles ont besoin de talents – des employés compétents dont l’engagement envers la croissance à long terme demeure constant, et qui par ailleurs veulent une rémunération juste et concurrentielle et s’attendent à la recevoir.

Essentiellement, optimisation veut dire veiller à ce que les fonds disponibles soient dépensés de manière à en maximiser la valeur pour l’organisation. Ce qui exige trois choses :
• Identifier ceux et celles dont l’apport est essentiel à l’organisation et dont le rendement est constamment élevé – ainsi que ceux et celles dont les compétences sont moins essentielles et dont le rendement laisse à désirer.
• Allouer la rémunération proportionnellement à la valeur et au rendement réels de chacun.
• Envisager la rémunération dans une perspective plus large, axée non seulement sur les aspects monétaires, comme le salaire et les primes, mais aussi sur les aspects dits « relationnels » – perfectionnement professionnel, affectations enrichies et autres programmes – qui exigent souvent moins d’investissement mais ont une plus grande incidence sur le maintien en service et l’engagement des employés.

Pour les organisations qui ne sont plus disposés à consacrer de 6 à 12 mois à la création d’un plan d’action efficace, un processus rapide de réduction des coûts peut être réalisé en moins de six semaines. Par l’examen des résultats, des stratégies, des modèles d’exploitation et des données sur la main-d’oeuvre et la rémunération, il est possible de cerner rapidement les principales occasions et les principaux risques d’optimisation des programmes de RH.

Évaluer l’apport des employés
Lorsqu’elles prennent des décisions importantes relatives aux programmes de rémunération, la plupart des grandes organisations tiennent compte des employés très performants ou très prometteurs. Mais le rendement n’est qu’un élément d’une évaluation plus étendue de la main-d’œuvre. Il est également important de mettre l’accent sur les divers rôles et leur incidence sur la stratégie et le modèle d’exploitation de l’entreprise.

Une approche appelée analyse des rôles pivots peut aider les entreprises à évaluer avec exactitude les familles de postes ayant le plus d’incidence sur les résultats. Essentiellement, il s’agit de regrouper la main-d’œuvre en quatre grandes catégories, suivant leur influence sur la stratégie de l’entreprise et les leviers de création de valeur. Voici ces catégories :
• Stratégiques : le rôle a une incidence directe sur la capacité de l’entreprise à réaliser sa stratégie.
• Essentielles : le rôle (habituellement opérationnel) est principalement axé sur l’exécution de la stratégie.
• Soutien : le rôle (habituellement de soutien administratif), est nécessaire, mais peut être assuré par d’autres stratégies de dotation en personnel moins coûteuses (p. ex. impartition).
• Non contributives : le rôle et les compétences ne s’alignent plus sur l’orientation stratégique de l’entreprise.

Prenons l’exemple d’un transporteur aérien dont la stratégie vise à offrir une expérience de voyage supérieure à ses grands voyageurs et à ses passagers de haut rapport (principalement des clients d’affaires). Ses employés stratégiques comprennent ceux qui interagissent directement avec la clientèle cible, dont les agents de bord de première classe et de classe affaires, ainsi que des représentants choisis de centres d’appels. Pour leur part, les techniciens d’entretien occupent des postes essentiels – nécessaires au service de base, mais avec peu ou pas d’incidence sur l’expérience des voyageurs. Quant au personnel chargé de l’approvisionnement en repas, il peut être considéré comme une fonction de soutien pouvant être assurée par un fournisseur externe.

Cette analyse permet de guider les décisions stratégiques de recrutement, de perfectionnement, de maintien en poste ou de restructuration. Les personnes occupant des rôles stratégiques ou appartenant à des familles de postes stratégiques exigeant des connaissances spécialisées représentent une base de talents qui requiert une attention spéciale dans la ventilation des budgets de rémunération – que les affaires aillent bien ou mal. En revanche, bien que les employés dont les rôles sont essentiels doivent être fidélisés, ils ne requièrent pas un investissement aussi important. Bien entendu, ces catégories peuvent se chevaucher et ne représenter que des regroupements assez vagues; les stratégies de rémunération ne sont donc pas mutuellement exclusives.

Optimisation de la rémunération : tout un défi à relever !
Une fois que l’entreprise a classé sa main-d’œuvre par catégorie, elle peut commencer le travail d’optimisation de la rémunération. L’objectif est alors triple :
• Réduire les niveaux de coûts absolus.
• Faire passer les coûts de fixes à variables, dans la mesure réalisable et souhaitable.
• Allouer la rémunération en veillant à ce qu’une part disproportionnée du budget de rémunération soit attribuée aux employés les plus performants et aux rôles pivots.

Comment y parvenir? Une organisation peut allouer un portefeuille de rémunération en tenant compte à la fois de l’importance du rôle et du rendement individuel. Cette approche permet des différences marquées dans la portée et le niveau de la rémunération.

Ainsi, un employé très performant occupant un rôle clé ou appartenant à une famille de poste clé pourrait s’attendre à gagner deux ou trois fois plus en rémunération globale qu’une personne au rendement tout juste satisfaisant; de plus, il serait sans doute assuré de participer à un ou plusieurs mandats spéciaux dans le cadre de son cheminement de carrière. Par contre, un employé peu performant, même dans un rôle essentiel, recevrait une rémunération bien inférieure, fort probablement sans aucune prime.

Essentiellement, optimiser la rémunération signifie pour une entreprise de choisir les segments de main-d’œuvre qui requièrent sans contredit de hauts niveaux d’investissement, et de réduire dans d’autres segments. Il s’agit là du plus difficile défi de l’optimisation de la rémunération. En effet, traditionnellement, les organisations et plus particulièrement les gestionnaires individuels trouvaient difficiles de réaliser ce type de distinction.

Trouver le bon équilibre

Bien entendu, l’optimisation de la rémunération ne se limite pas au salaire. Les avantages sociaux entrent également en ligne de compte. Pour les employeurs, l’enjeu principal de l’optimisation des avantages sociaux consiste à bien équilibrer le partage des coûts et des risques avec les employés. Trouver cet équilibre exige une compréhension approfondie du rôle des avantages sociaux dans l’expérience de travail, de même qu’une disposition des employés à assumer une plus grande responsabilité dans la gestion de leurs soins de santé et dans l’accumulation d’une épargne-retraite suffisante.

Par une démarche d’analyse appelée optimisation de la rémunération globale, les organisations peuvent examiner les concessions que les employés sont prêts à faire entre divers portefeuilles d’avantages sociaux en fonction d’une combinaison de la valeur perçue et du coût associé. En début de carrière, par exemple, les employés peuvent renoncer plus facilement à une modeste augmentation de salaire en contrepartie d’un plus grand nombre d’occasions de perfectionnement professionnel ou de formation. Pour leur part, les employés en milieu de carrière peuvent apprécier davantage un horaire de travail flexible qu’une assurance de soins de santé pour les retraités.

L’optimisation globale de la rémunération examine également les conséquences de ces concessions sur divers comportements, comme les niveaux d’engagement ou de maintien en poste, indiquant à partir de quel niveau ou de quel moment la bonification d’une prestation ou la diminution d’une autre influent sur le rendement. Ces analyses ont, de toute évidence, une énorme valeur potentielle, car elles permettent de définir l’importance des investissements et de les cibler adéquatement – là où ils stimuleront les comportements attendus des employés.

Intégration de tous les éléments
Quelles que soient les modifications que vous envisagez d’apporter à vos programmes de RH ou de rémunération, il est important d’en évaluer l’incidence éventuelle sur la main-d’œuvre et la croissance à long terme de l’entreprise. Si vous réduisez trop peu vos coûts, l’entreprise pourrait ne pas se relever. Si vous les réduisez trop, l’« anorexie » organisationnelle qui pourrait en découler mettrait en péril la croissance future, voire même la survie de l’entreprise.

Il y a donc beaucoup d’éléments à prendre en compte dans la gestion des talents et des programmes de rémunération, peu importe la conjoncture économique – mais les conséquences des décisions sont plus grandes en des temps difficiles et pourraient se faire sentir très longtemps. Des décisions avisées dès maintenant, sur tous les plans, seront fructueuses à plus long terme.

Les coauteurs de cet article sont Jean-Rémi Mayrand et Jean-François Vernier, sociétaires de Towers Perrin, tous deux en poste au bureau de Montréal de Towers Perrin.