
C’est la question à un million de dollars. Quand les taux d’intérêt au pays vont-ils augmenter, et de combien ? Les avis sont partagés quant à la réponse. Mais les promoteurs de régimes de retraite doivent sans doute se pencher sur les différentes éventualités. Ceux-ci se sont dotés de différentes stratégies pour faire face aux déboires des dernières années. Une autre réalité s’installe et de nouvelles modifications s’imposent. Comment peut-on se préparer à une hausse des taux d’intérêt et, ensuite, se protéger des baisses à venir ?
Robert Pemberton, chef de la gestion des titres à revenu fixe chez Gestion de Placements TD, constate qu’une hausse des taux est généralement porteuse de bonnes nouvelles pour les caisses de retraite, car la valeur du passif du régime a tendance à diminuer. « La hausse va souvent de pair avec l’amélioration économique et l’on s’attendrait à ce que les marchés boursiers connaissent une surperformance, particulièrement par rapport aux obligations gouvernementales, ce qui est avantageux pour la situation financière du régime », dit-il. Patrick De Roy, gestionnaire de portefeuille institutionnelle à Pyramis Global Advisors, souligne quant à lui les conséquences néfastes si l’augmentation des taux ne s’associe pas à une amélioration économique. « Il est certain que le portefeuille d’actions fera piètre figure si la hausse des taux se produit sans croissance », dit-il en précisant qu’il s’agit néanmoins d’un contexte moins probable.
M. De Roy ajoute qu’une hausse des taux n’affectera pas tous les régimes de la même manière. « Le taux d’appariement peut faire une différence quant à l’effet d’une hausse, de même que la taille du régime par rapport à celle de l’entreprise, explique-t-il. C’est certain que plus le régime représente une grande proportion de l’actif de la firme, plus grande sera l’incidence sur tout gain du régime. » Jean Bergeron, associé en gestion d’actif et des risques chez Morneau Shepell, précise que l’importance du risque varie également selon le type d’évaluation actuarielle : sur base de solvabilité ou de capitalisation. Cela revêt une grande importance au Québec, car les municipalités et universités, par exemple, doivent réaliser les deux évaluations, mais ne sont pas obligées de financer un déficit sur base de solvabilité, comme c’est le cas pour un régime corporatif. « Comme le taux de rendement utilisé pour évaluer le passif de solvabilité est établi en fonction du taux d’intérêt des obligations émises par le gouvernement fédéral, le risque de taux d’intérêt est beaucoup plus grand si on doit financer un déficit de solvabilité, dit-il.
Pour la caisse de retraite qui est dans cette situation, la hausse du taux réduira la valeur du passif de solvabilité, mais l’élément négatif surgit sur le plan des obligations. La hausse fait diminuer leur valeur et le rendement en sera affecté à la baisse. » Il existe aussi une différence quant à la maturité du régime. « Une caisse mature devrait normalement investir davantage en obligations et, donc, le risque lié au taux d’intérêt aurait une plus grande incidence », dit M. Bergeron.
Une variable imprévisible
« Souvent, les caisses qui ont décidé de gérer les risques et de se préparer à une éventuelle hausse des taux se sont mises à réduire la durée des obligations et à réviser le portefeuille obligataire, affirme Patrick De Roy. Or, c’est une stratégie risquée. » Il constate que les marchés ont très mal anticipé les variations des taux d’intérêt, comme en témoigne le graphique ci-dessus. « Il peut donc être déconseillé de se préparer à une éventuelle hausse de taux en augmentant le risque de façon significative. Mais on peut néanmoins se positionner pour se protéger un peu des effets. »
« Il faut que les obligations soient moins sensibles que le passif, affirme Claude Lockhead, associé exécutif pour la retraite à Aon Hewitt. On peut aussi investir dans d’autres stratégies de revenu fixe avec une durée plus courte, comme des prêts bancaires et des obligations à taux flottants pour ainsi être moins pénalisé par une hausse des taux. » Connor O’Brien, président et chef des placements à Gestion d’actifs Stanton, note qu’un régime doit se demander s’il est prêt à se positionner maintenant pour tirer profit des avantages des obligations et soutenir le désappariement afin de ne pas perdre des gains quant au portefeuille des actions. « L’aversion aux risques fait que plusieurs régimes se pénalisent, dit-il. Le risque de pérenniser les problèmes peut être plus important que celui d’une stratégie qui permet de profiter des gains du côté des obligations sans toutefois trop perdre du côté des actions. »
Jean Bergeron observe que beaucoup de régimes ont décidé d’y aller graduellement quant à la conversion du portefeuille d’obligations, pour faire en sorte qu’une partie soit moins sensible à la fluctuation des taux. On atténue ainsi le risque de pertes importantes. « On pourrait aussi envisager d’investir dans les obligations étrangères, qui sont moins corrélées aux taux canadiens », dit-il. Or, dans un contexte ou une hausse des taux s’avère moins évidente que l’année dernière, il faut établir une bonne stratégie de diversification. « Le risque est sans doute que les taux diminueront et si le portefeuille n’est pas apparié avec le passif, on est perdant, explique M. Bergeron. Mais il ne s’agit pas seulement de se fixer un objectif d’appariement sinon il faut aussi songer à d’autres stratégies. Il faut une bonne diversification de l’ensemble de la caisse de retraite. » Même son de cloche chez Connor O’Brien. « On pourrait transférer l’investissement des obligations vers des actions, lesquelles ont souvent une durée modérée, dit-il. Il faut ensuite établir une stratégie qui pourrait favoriser les titres à bêta faible, qui connaissent une forte progression des dividendes. »
Planification
Patrick De Roy croit qu’il convient d’avoir des actifs qui sortent un peu du Canada, avec un taux de rendement plus élevé, afin de se procurer un coussin en cas de hausse. « On pourrait aussi adopter une stratégie plus active en obligations, dit-il. Ainsi, on aura une vue non seulement sur la hausse, mais également sur la courbe de rendements ce qui permet d’adopter des mesures pour protéger le capital si nécessaire. » La capacité de réagir est certes importante, et peut représenter un défi pour les caisses de retraite.
« Historiquement, on n’a pas géré les taux. Les régimes ont investi dans le DEX Univers sans trop se soucier du passif, constate Claude Lockhead. Avec les faibles taux d’intérêt, on s’est rendu compte du risque, mais aussi que ce n’était pas le moment de se positionner dans le long terme. Il était donc question d’adopter une grille de taux déclencheurs. Quand ceux-ci sont atteints, on allonge la durée des obligations. »
Ce genre de déclencheurs ne touchent pas uniquement aux taux d’intérêt. On pourrait les établir en fonction des niveaux de rendement, du budget de risque ou encore du ratio de solvabilité. Il est important de considérer si le régime est prêt pour effectuer des changements, dit Robert Pemberton. « Sur le plan administratif, s’est-on occupé des approbations du comité, des modifications à la gouvernance, aux ententes d’investissement ? Il faudra peut-être faire de la formation en conséquence. » Connor O’Brien poursuit cet argument. « On doit planifier bien à l’avance, dit-il. Il semble probable que la Réserve fédérale atteigne son objectif d’inflation et que la courbe de rendement retrouve sa position normale. Les comités de placement devraient examiner et créer un plan d’action qui sera appliqué lorsque les courbes atteignent un niveau qu’on considère normal. On ne veut pas se dire qu’on a une stratégie qui fonctionne bien depuis trois ans, donc on ne la change pas. »
Stratégie globale
Une chose semble certaine. Le cycle économique implique qu’après une hausse des taux d’intérêt surviendra une baisse. Un risque important demeure, mais devrait-on allouer beaucoup de temps et de ressources à les examiner et à y trouver des stratégies ? Pour certains régimes, le risque des marchés aura une incidence plus significative. Patrick De Roy note qu’il s’agit d’un risque très mal rémunéré qui n’a pas tendance à procurer des gains à long terme en raison de sa volatilité. Une stratégie globale de gestion des risques serait donc de mise.
« Nous constatons que les grandes entreprises avec des régimes à prestations déterminées envisagent davantage le risque du régime dans un contexte du risque total de la firme, dit Robert Pemberton. Elles gèrent les risques au quotidien et nombreuses sont celles qui examinent la corrélation entre les activités quotidiennes et le passif du régime de retraite. L’appétit pour le risque est donc déterminé relatif à l’ensemble de l’entreprise. » Ce semble être une stratégie intéressante pour tout promoteur de régime. « L’effet de la hausse des taux d’intérêt diffèrera selon la nature des activités de la société, dit Connor O’Brien. Les firmes dont les activités sont plus cycliques ont davantage intérêt à penser à l’alignement des risques corporatifs et du régime de retraite. » Ainsi, le promoteur de régime saura peut-être mieux trouver sa propre réponse à la question à un million de dollars.