Le soir de l’Halloween dernier, le ministre des Finances du Canada a décidé de mettre fin à la prolifération des fiducies de revenu transigées à la Bourse de Toronto. Toute nouvelle fiducie créée après cette déclaration verra ses profits assujettis à la fiscalité des entreprises et un impôt de 31,5 % sera prélevé sur les bénéfices des fiducies existantes dès l’année 2011.
Avant la déclaration ministérielle, la capitalisation boursière de ces sociétés s’élevait à plus de 200milliards de dollars et représentait plus de 10 % de la valeur totale de l’indice composé S&P/TSX.
Dans les deux semaines qui ont suivi l’annonce du gouvernement, l’indice plafonné des fiducies de revenu S&P/TSX a chuté de plus de 14 %. Même les fiducies les plus solides ne pouvaient combattre la panique des investisseurs qui cherchaient alors à se départir de ces titres. Des fiducies telles que Pages Jaunes, CI Financial et Bell Aliant baissent de 15 % à 20 %. Certaines fiducies de l’énergie s’inclinaient de 20% à 29 % en 15 jours! Pendant ce temps, des fiducies immobilières profitaient de la situation, s’appréciant de 5% à 10 %. Mais que s’est-il passé?
Qu’est-ce qu’une fiducie de revenu?
Une fiducie de revenu est une entité qui investit de façon générale dans des actifs lui procurant un rendement basé sur les flux monétaires de ces derniers. Par définition, une fiducie de revenu est donc destinée à mener des activités commerciales qui dégagent d’importants flux de trésorerie. Pour ce faire, elle cible généralement des secteurs dont les perspectives de croissance sont limitées, ce qui lui permet de limiter le besoin de réinvestir pour soutenir sa croissance, maximisant ainsi les bénéfices distribués aux investisseurs.
Il existe principalement trois types de fiducies transigées publiquement : les entreprises(business trust), les sociétés immobilières(real estate investment trust, ou REIT)et les redevances de ressources naturelles(royalty trust). Les fiducies immobilières et de redevances de ressources naturelles ne sont pas affectées par les modifications fiscales du gouvernement.
En 2000, la capitalisation boursière du secteur des fiducies de revenu totalisait environ 18milliards de dollars. La croissance phénoménale de ce type de véhicule de placement sur cinq ans s’explique par les facteurs suivants :
- la faiblesse des taux d’intérêt;
- le traitement fiscal avantageux;
- l’appétit insatiable des petits investisseurs pour un placement offrant un versement stable et régulier en encaisse.
L’accroissement de la demande pour des véhicules à haut rendement était telle que pour satisfaire les petits investisseurs et les caisses de retraite, les provinces de l’Ontario, du Manitoba et de l’Alberta ont même modifié leurs lois dans le but d’apaiser les inquiétudes des investisseurs à l’égard de la responsabilité illimitée que ces véhicules de placement pouvaient induire.
Quel est l’avantage fiscal et qui en profite?
L’avantage fiscal peut varier en fonction du statut fiscal de l’investisseur et de son lieu de résidence. On retrouve trois principaux types de situations :
- L’investisseur imposable acquiert des unités d’une fiducie avec ses économies qui ne proviennent pas d’un REER ou d’un autre régime de ce type. La fiducie offre un avantage fiscal combiné d’environ 12à 18 % d’impôt 1 sur les distributions versées par une fiducie; un taux combiné nettement plus avantageux que celui imposé aux dividendes d’une corporation.
- L’investisseur dont l’impôt est différé est détenteur d’unités d’une fiducie par l’entremise d’un REER, d’un fonds de pension ou d’un autre régime à impôt différé. Ce type d’investisseur peut reporter entièrement le versement des impôts sur la distribution jusqu’au moment de sa retraite. Ainsi, l’État ne perçoit les impôts que lors des retraits.
- L’investisseur étranger est particu-lièrement visé par les changements annoncés; il n’a pas droit de vote au Canada. Le détenteur d’unités de fiducies de revenu qui n’est pas résident canadien aux termes de la loi sur l’impôt bénéficie d’un avantage fiscal complet équivalent à 33 % en valeur actuelle. Pourquoi? La fiducie lui verse une distribution exempte de l’impôt sur les entreprises(33 % en moyenne). Sur ce versement, l’investisseur étranger ne verse qu’une retenue à la source de 15 %, avant de « sortir du système d’imposition » canadien.
L’effet sur l’évaluation des entreprises
Comme nous l’avons vu, l’économie d’impôt varie donc entre 12 % et 33 % selon le type d’investisseur. Ainsi, nous pouvons affirmer qu’en moyenne, toutes choses étant égales par ailleurs, les investisseurs sont prêts à payer une prime de 12 % à 33 % pour la même entreprise si elle se présente sous forme de fiducie de revenu plutôt qu’en société par actions. Par exemple, une société dont l’action se transigerait normale-ment à un multiple de huit fois les flux financiers bruts 2 pourrait voir son multiple d’évaluation augmenter de 9 à 10,6 fois, simplement en procédant à une modification de sa structure juridique.
Bien entendu, un tel avantage en faveur des fiducies de revenu s’est rapidement reflété sur les évaluations de ces titres. Il s’ensuit également un avantage stratégique en ce qui a trait au financement, en raison de l’impact avantageux sur les coûts de capital et d’acquisition. Ces sociétés sont devenues des prédateurs redoutables avantagés par ces deux éléments primordiaux. Comment se défaire d’un acquéreur inopportun qui pos-sède une évalu-ation supérieure et un coût du capital plus compétitif?
Les investisseurs étrangers béné-ficiaient du plus grand avantage fiscal : comme on retrouve une présence étrangère importante dans les investissements de titres d’énergie au Canada, est-ce une coïncidence si les fiducies de ce secteur ont subi la plus forte baisse dans les jours qui ont suivi l’annonce du ministre des Finances? Ces titres ont encore du mal à s’en remettre.
Depuis le 1er novembre 2006, il est assez simple d’évaluer une fiducie de revenu(business trust): il s’agit d’évaluer une entreprise qui possède un congé fiscal de quatre ans et un rendement de dividende attrayant qui devrait, dans la majorité des cas, être maintenu au cours de cette période.
Après la panique, que s’est-il passé?
Depuis le 15 novembre 2006, l’indice des fiducies de revenus S&P/TSX a grimpé de 12,5 % au 30avril 2007. Les fiducies immobilières et les fiducies ayant les meilleurs modèles d’affaires ont fait des bonds importants. Des fiducies comme Legacy Hotels(+53 %), Davis & Henderson(+28 %)et Boardwalk REIT(+24 %)en sont des exemples. Plusieurs fiducies de revenu sont maintenant devenues des proies. Selon une étude de Walter Spracklin, une vingtaine de transactions ont été annoncées depuis le 1er novembre 2006 avec une prime moyenne de 23 % et une évaluation de 11,9 fois le VE/BAAII.
Y a-t-il encore une place pour les fiducies?
Il y a certes encore une place pour les fiducies de revenu. Certains modèles d’affaires se prêtent bien à la structure de fiducie de revenu. Dans un régime à impôt différé(Régime de retraite, REER ou autre), dès qu’une entreprise est mature et que son environnement est stable, tout en offrant un rendement compétitif et une évaluation raisonnable, il y a lieu d’examiner l’avantage fiscal qu’elle possède, ne serait-ce que sur quatre ans. La discipline qu’impose le versement en dividende d’une proportion importante des bénéfices d’une société a des effets importants sur le rendement à long terme pour l’actionnaire. Une étude de Arnott & Asness va même jusqu’à associer un dividende élevé avec une croissance des bénéfices plus élevée à long terme!
Il y a aussi les fiducies immobilières et de redevances de ressources naturelles qui conservent leur avantage fiscal. À prix raisonnable, elles peuvent convenir parfaitement à l’intérieur du portefeuille d’un régime de retraite. Il s’agit alors d’évaluer le potentiel de flux monétaire actualisé en tenant compte d’un degré de risque acceptable comparativement à d’autres investissements.