Le ­court-termisme des marchés est solidement ancré. Pour échapper à ce diktat sans trop sacrifier le rendement, les caisses de retraite sont condamnées à jongler entre volatilité et risque de liquidité.

L’influence de l’immédiat se faisait davantage ressentir avant l’important changement, apporté par le gouvernement du ­Québec en 2016, aux règles de capitalisation des régimes. Sur la question de la solvabilité, « l’analyse actuarielle demeure, mais on ne gère plus pour le 31 décembre de chaque année », explique ­Sylvain ­Gareau. Cette souplesse réglementaire s’en trouve toutefois atténuée par les nouvelles normes internationales sur les informations financières destinées à standardiser la présentation des données comptables échangées à l’échelle internationale, et résumées sous l’acronyme ­IFRS (pour ­International ­Financial ­Reporting ­Standards). « ­On s’est fait imposer la comptabilité d’entreprise », ajoute M. Gareau, ce qui a notamment pour conséquence d’ajouter à la liste des considérants la minimisation de la volatilité comptable des taux d’intérêt d’entreprise.

« On ne gère plus pour le 31 décembre de chaque année. »

– Sylvain Gareau, régime de rentes des employés du Mouvement Desjardins

Aussi, les règles de solvabilité ne sont pas similaires d’une province à l’autre. « ­La réglementation poussant les caisses de retraite vers le court terme est encore présente dans d’autres provinces », martèle ­Christian ­Robert. En parallèle, les régimes ­CD sont en forte croissance dans l’univers des régimes complémentaires de retraite. « ­Le profil de risque d’un régime ­CD est très différent du nôtre. Ces régimes mettent l’accent sur le rendement élevé. À l’instar de tous ces gestionnaires qui ne gèrent que l’actif, ils doivent battre des indices et performer. Pour nombre d’entre eux, il importe d’être des premiers de classe, un comportement que l’on peut également vérifier chez certains grands gestionnaires de régimes ­PD », soutient ­Sylvain ­Gareau. Bref, le ­court-termisme reste bien ancré dans la réalité, ­admet-il.

Volatilité

Benoit ­Hudon, chef mondial, régimes à prestations déterminées chez ­Mercer, évoque également la volatilité induite par le règne du court terme. « ­Les dirigeants d’entreprise ont les yeux rivés sur le prochain trimestre, pour donner des résultats à l’actionnaire. » ­Paradoxalement, plus l’horizon de placement est à long terme, plus les caisses peuvent se permettre de la volatilité, mais ce n’est pas ce qu’elles visent. Elles vont s’en prémunir par la diversification. Et celles gérant un passif vont davantage rechercher à minimiser l’écart entre ce passif et l’actif. « ­Si le passif fluctue selon les taux d’intérêt, on voudra que l’actif en fasse autant. »

Et dans une conjoncture de rendements obligataires encore minimalistes, les caisses vont s’en remettre à des catégories d’actif proposant un rendement plus stable, plus élevé, avec moins de volatilité que le marché des actions. On peut penser à l’immobilier et aux infrastructures, qui permettent d’échapper aux fluctuations de trimestre en trimestre. « ­Ce n’est pas le meilleur des deux mondes, ces éléments d’actif étant moins liquides », met cependant en exergue le spécialiste du cabinet ­Mercer.
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Est-ce donc cela, du ­court-termisme ? demande ­Christian ­Robert. « ­Recourir aux placements privés, intégrer les facteurs ­ESG (environnement, social et de gouvernance) dans sa politique de placement ou favoriser l’investissement avec impact, tout cela vient mitiger l’influence du court terme au sein
de portefeuilles. »

« Les caisses de retraite pourraient être plus proactives plutôt que de subir la volatilité. »

– Benoit Hudon, Mercer

Plus de risque

Donc cela veut dire moins de volatilité mais plus de risque, de crédit et de liquidité ? « ­En fait, les portefeuilles n’ont pas une répartition d’actif nécessairement plus risquée qu’auparavant. Ce qui a changé est l’accès à plus de catégories d’actif, nombre d’entre elles se voulant moins liquides », répond ­Christian ­Robert. Il pointe en direction des placements privés, des terres agricoles, de l’immobilier, qui offrent un profil de risque semblable au triple A et aux titres de première qualité. Il ajoute à la liste le risque de crédit accru dans les portefeuilles de titres à revenu fixe pouvant aujourd’hui s’étendre aux hypothèques commerciales.

« ­Avant, les caisses de retraite n’avaient pas besoin de déborder aux obligations d’entreprises et aux hypothèques avec un rendement de 6 % sur les obligations de première qualité. Mais aujourd’hui… » ­Le spécialiste d’Addenda donne l’exemple de l’obligation univers affichant un rendement de 2,2 % avec une durée de sept ans, alors qu’une hypothèque commerciale se voulant moins sensible aux aléas des taux d’intérêt propose un rendement de 3 % et une durée de 2,5 à 3 ans.

Il en ressort de tout ce qui précède que les régimes de retraite ne sont ni des victimes ni des acteurs du ­court-termisme. « ­Les caisses de retraite ne l’alimentent pas, insiste ­Benoit ­Hudon. Cependant, elles pourraient être plus proactives plutôt que de subir la volatilité. » ­Le spécialiste de ­Mercer donne des chiffres. Le marché mondial des caisses de retraite à prestations déterminées est de plus de 10 000 milliards de dollars canadiens. Les trois principaux pays étant les ­États-Unis (3 750 G$ ­CA d’actif géré), le ­Royaume-Uni (3 334 G$ ­CA) et le ­Canada (1 500 G$ ­CA). « ­Elles ont une influence, par l’exercice de leur droit de vote, sur la façon dont les dirigeants d’entreprise jouent leur rôle. Or, si nombre des caisses à forte taille le font depuis quelques années, ce n’est pas le cas pour la très grande majorité », déplore ­Benoit ­Hudon.

Zoom sur les chiffres

Les actifs de caisses de retraite des 40 plus importants gestionnaires au pays se sont appréciés de 8,1 % en 12 mois pour atteindre 808,7 milliards de dollars en date du 30 juin 2017. Les gains cette année ont été supérieurs au 1,7 % réalisé en 2016, mais en dessous de ceux des trois années précédentes.

Trois gestionnaires demeurent en haut du classement réalisé par le ­Canadian ­Institutional ­Investment ­Network : ­Gestion de placements ­TD (qui gère 94,3 G$ d’actifs de caisses de retraite canadiennes), ­Gestion d’actifs ­BlackRock ­Canada (87,8 G$) et ­Phillips, ­Hager & ­North gestion de placements (63,5 G$). Au quatrième rang se situe le premier gestionnaire québécois, ­Corporation ­Fiera ­Capital.

La période de 12 mois qui s’est achevée le 30 juin dernier aura été mouvementée pour les gestionnaires de fonds, alors que seuls 7 des 40 sur le palmarès occupent le même rang qu’en 2016. C’est ­Goldman ­Sachs (15e rang) qui aura connu le taux de croissance le plus élevé, soit 84,9 %, suivi de ­Mercer, ­Gestion mondiale d’investissements ­Canada (23e rang) avec 66 %. À l’autre bout du spectre, dix gestionnaires du classement ont enregistré une baisse de leur actif depuis un an.

Pour ce qui est du type de régime de retraite, ­BlackRock domine la liste des gestionnaires d’actifs de régimes de capitalisation alors que ­TD est au sommet des régimes à prestations déterminées.

Quant aux catégories, les obligations canadiennes sont sans grande surprise les plus présentes dans les portefeuilles, représentant 19 % des actifs, suivies des actions mondiales et canadiennes, à 13 % et 10 % respectivement. Les obligations et actions américaines en constituent 9 % et 5 %. – ­La rédaction


• Ce texte est paru dans l’édition de novembre 2017 d’Avantages.
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