Selon un nouveau rapport sur les perspectives économiques publié par la CIBC, la prochaine décennie sera marquée par un retour de l’inflation aux États-Unis, un dollar canadien plus élevé que son vis-à-vis américain, une vigoureuse remontée du prix des actions et des ressources et l’émergence des dépenses de consommation en Asie.
Surnommée les « années d’adolescence » par les auteurs du rapport, la prochaine décennie devrait d’abord voir une économie et des marchés financiers imprévisibles et d’humeur changeante, comme des adolescents, mais qui, en fin de compte, grandiront et atteindront la maturité.
Le rapport montre que les actions connaîtront une reprise à long terme au cours des dix prochaines années, mais les investisseurs devront gérer leur portefeuille en fonction d’apports très différents à la croissance, partout dans le monde.
Avery Shenfeld, économiste en chef et coauteur du rapport, estime que le recours excessif au crédit observé au cours de la dernière décennie ne signifie pas que le désendettement nous condamnera à une croissance globale potentielle plus faible du PIB pendant les années d’adolescence. Selon lui, cela signifie seulement que la nature de la croissance américaine et mondiale doit changer.
« Au cours de ces années, les États-Unis, et peut-être le Canada dans une moindre mesure, commenceront à ressembler à la Chine. La contribution au PIB des exportations et des dépenses en immobilisations qui y sont liées augmentera, et le PIB dépendra moins de l’habitation et de la consommation. »
Une économie en mouvement
M. Shenfeld prévoit qu’une augmentation des dépenses de consommation dans les régions qui ont engrangé des épargnes gigantesques au cours des dix dernières années, particulièrement la Chine et les pays exportateurs de pétrole, prendra le relais économique du repli des dépenses aux États-Unis.
En fait, il croit qu’une baisse du taux d’épargne dans les pays en développement pourrait contribuer beaucoup plus aux dépenses de consommation à l’échelle mondiale que ce qui sera perdu par la hausse du taux d’épargne aux États-Unis, au Canada et dans les autres pays de l’OCDE. L’élément moteur de ce changement sera le recul du dollar américain, présentement surévalué.
Les auteurs du rapport notent que l’assouplissement quantitatif adopté par la Réserve fédérale continuera d’être plus radical qu’ailleurs, d’une part, et que si la Réserve fédérale décide d’attendre que la reprise soit bien amorcée avant de restreindre la croissance de la masse monétaire, ces dollars en surplus entraîneront la dépréciation du dollar américain aux États-Unis même, par l’inflation, et à l’étranger, par la dévaluation.
M. Shenfeld s’attend à ce que le dollar américain perde 20 % après pondération selon les échanges, une chute qui fera en sorte que la valeur moyenne du dollar canadien sera supérieure à celle du dollar américain pendant la prochaine décennie. Il voit dans un dollar américain faible la clé qui déverrouillera les portefeuilles à l’étranger.
Inflation à prévoir aux États-Unis
M. Shenfeld ne croit pas qu’une hausse des impôts représenterait la solution globale au gonflement de la dette publique. Il s’attend à ce que l’inflation fasse partie de la réponse aux dettes excédentaires publiques et privées chez nos voisins du sud.
Conserver un taux d’inflation de 5 % pendant quelques années, au début de la décennie, ferait beaucoup pour aider les États-Unis à se désembourber de leurs dettes, pense M. Shenfeld.
« Comme le dénominateur du ratio dette/PIB est le PIB nominal, une augmentation de l’inflation réduit le fardeau de la dette. En outre, une augmentation de l’inflation permettrait de stabiliser sinon même de doper le prix nominal des maisons, ce qui permettrait à ceux dont la valeur de l’hypothèque risque de surpasser le prix de leur maison d’y retrouver une valeur nette positive », a-t-il expliqué.
Il a ajouté que puisque le fardeau de la dette du Canada sera nettement inférieur à celui des États-Unis, et que les hypothèques au Canada ne couleront pas à pic, ce qui beaucoup moins tentant de laisser le taux d’inflation dépasser l’objectif de 2 % établi par la Banque du Canada.
« Un dollar canadien vigoureux réduira aussi l’inflation du prix des importations. Par conséquent, un écart dans les taux d’inflation poussera le rendement des bons du Trésor américain bien au-delà de celui des obligations canadiennes au cours de la première moitié de la prochaine décennie », a-t-il raconté.
Un taux d’inflation élevé aux États-Unis et la dévaluation du dollar américain doperont le prix des produits de base ainsi que les bénéfices des entreprises canadiennes, puisque le développement économique de l’Extrême-Orient tend particulièrement à être plus intensif en ressources que celui des économies nord-américaines, plus orientées vers les services.
Pour les États-Unis, un dollar faible sera essentiel à la promotion des exportations nettes et des dépenses internes en immobilisations. L’affaiblissement du dollar américain avant sa remontée, l’an dernier, a permis aux exportations nettes de compter pour 20 % de la croissance réelle du PIB en 2007.
L’impact sur l’économie candienne
Du côté de l’économie canadienne, ces changements signifieront une décennie plus difficile pour ses secteurs tournés vers la consommation aux États-Unis (comme ceux des pièces d’automobile, du papier journal, du bois d’oeuvre pour le marché américain de l’habitation). La réduction de l’effet de levier au Canada entraînera un ralentissement des mises en chantier : après avoir maintenu une moyenne de 200 000 mises en chantier pendant les années 2000, ce secteur deviendra plus timide. L’accélération de la croissance sera plutôt le fait de secteurs (technologie, matériaux) liés aux dépenses en immobilisations nord-américaines ou à la consommation en Asie. Les services financiers y trouveront leur compte en aidant les Canadiens à gérer de nouvelles épargnes en nette croissance.
La hausse du dollar canadien, jumelée à l’affaiblissement du dollar américain, fera mal à la compétitivité de notre secteur de la fabrication, mais la hausse du prix des ressources relancera le développement des sables bitumineux, des projets liés au gaz naturel et des mines métallifères, secteurs exigeants en capitaux. Ainsi, la part des investissements privés dans notre économie augmentera parallèlement au ralentissement des investissements publics dans les infrastructures.
« Le raffermissement du dollar canadien permettra aussi aux ménages de consacrer plus d’argent aux produits d’importation », a terminé M. Shenfeld.