La gestion des devises a longtemps été le parent pauvre du monde du placement, surtout au Canada. Il y a dix ans, alors que la crise asiatique était sur le point de nous exploser en plein visage, je dirigeais une équipe de recherche en devises. Sur une centaine de clients institutionnels, j’en avais un seul au Canada. Encore aujourd’hui, la gestion des devises se limite, pour la grande majorité des fonds de retraite canadiens, à une couverture passive.

Les banques canadiennes font dans l’ensemble mauvaise figure au rang de la devise, avec un volume combiné inférieur au 10e rang mondial. Sur plus de 50 gestionnaires en devises, on en répertorie un seul basé au Canada.

Si la tendance se maintient…
Quatre grands évènements sont en train de bouleverser cet état de chose, faisant de la gestion des devises un incontournable pour les investisseurs institutionnels canadiens.

Les taux de change sont maintenant flexibles. Au début des années 1970, cette flexibilité se limitait au dollar américain, aux devises européennes en bloc(ancrées au mark allemand, puis à l’euro), et au yen japonais. Aujourd’hui, selon la capitalisation boursière, plus de 99 % de l’univers de placement, incluant les marchés émergents, est assujetti à des taux de change flexibles. C’est un univers de plus de 35variables parfois bien difficiles à prévoir.

La fin du marché haussier, qui a marqué deux décennies de placement, est un autre événement important. Notre recherche interne nous indique que, de 1980 à 2000, un portefeuille équilibré canadien com-prenant 40 % d’actions internationales a généré des rendements annuels moyens d’environ 11 %, alors que la moyenne des 75 dernières années se chiffre plutôt à 7,5 %. Depuis 2000, les rendements tirent plus vers le 5 %. L’impact des devises pour le portefeuille moyen des fonds de retraite canadiens est d’environ deux points de pourcentage par année(parfois à la hausse, parfois à la baisse, calculé sur la période 1980–2005). Bien entendu, 2 % par rapport à 11 %, c’est beaucoup moins significatif que par rapport à 7,5 % ou 5 %. Une caisse de retraite ne peut tolérer un tel impact alors que les rendements futurs pourraient continuer de décevoir. De plus, la quête de nouvelles sources de valeur ajoutée ou de nouvelles classes d’actifs est une conséquence supplémentaire de ces faibles rendements. Ici, la devise a aussi sa place.

Le troisième facteur important à noter est la fin en 2005 du plafond qui limitait l’investissement à l’étranger. Une opti-misation de portefeuille sans contrainte révèle en général une allocation optimale de 50 % à 60 % en titres internationaux. Ce pourcentage peut varier en fonction de la maturité du fonds de retraite et de la nature du passif. Il n’en reste pas moins qu’à l’équilibre, la question de la devise prendra de plus en plus d’importance. Cette allocation accrue se fera moins au profit des devises existantes dans les portefeuilles, mais plutôt vers de nouveaux marchés. Il y aura donc une plus grande exposition d’ensemble aux devises, mais aussi un plus grand nombre de devises différentes.

Finalement, la profondeur accrue du marché des changes rend les devises attrayantes comme source de solutions et véhicule de placements. Affichant des coûts de transaction comparables aux obligations gouvernementales et des produits dérivés «au comptoir» les plus liquides au monde, le marché des changes peut livrer des solutions à des problèmes complexes, à faible coût.

Les trois grands besoins
Les besoins croissants des fonds de retraite en gestion des devises peuvent se résumer en trois catégories. D’abord, le choix d’un point de référence, ou benchmark, qui permet d’optimiser le portefeuille dans l’espace rendement-risque en traitant la devise non comme un résidu, un sous-produit de la répartition d’actif, mais plutôt comme une composante indépendante. Deuxièmement, la gestion de risque, ou plus précisément, le besoin d’éviter les pertes significatives attribuables à une dépréciation marquée d’une devise. Finalement, la valeur ajoutée, c’est-à-dire le désir de bonifier les rendements totaux d’un portefeuille par le biais d’une activité de placement, communément appelée «alpha», dont le véhicule serait les devises.

Quel est votre benchmark en devises?
Traditionnellement, le benchmark en devise a été celui donné par la pondération des différents pays dans les indices qui forment la répartition de référence du portefeuille. Mais ce point de départ n’a pas de fondement théorique, car la performance des devises n’est pas corrélée avec la performance des actifs sous-jacents. Ce n’est pas parce que les États-Unis dominent les marchés de capitaux mondiaux que le dollar américain sera la devise la plus forte ou la moins risquée. Par conséquent, pourquoi accepter la même exposition aux devises que celle issue des benchmarks globaux? Il faut donc remettre en question cette dépendance de l’exposition-devises par rapport aux actifs sous-jacents.

Nous proposons trois solutions. La première consiste simplement à ne pas couvrir l’exposition des devises. Selon notre recherche interne, une simulation d’un portefeuille équilibré typique sur la période 1980-2006 indique que le simple fait de ne pas couvrir les devises a permis de réduire le risque total de portefeuille de 0,3 % par année(le risque passe de 12,2 % à 11,9 %). Néanmoins, cette approche n’a pas permis de réduire la concentration associée principalement à la prépondérance du dollar américain. Deux solutions possibles qui affichent une réduction de risque comparable tout en réduisant cette concentration consistent soit à plafonner l’exposition à certaines devises en la redistribuant(voir les graphiques ci-contre)ou tout simplement en adoptant un benchmark en devises equi-pondéré.

Des rendements à la portée de tous
Bien que ces solutions ont le potentiel de réduire le risque global ainsi que le risque spécifique associé à une appréciation marquée du dollar canadien par rapport à une devise précise(comme ce fut le cas contre le dollar américain de 2002 à 2005), elles ne bonifient pas le rendement. Avec des ajustements dynamiques, on peut dégager une valeur ajoutée. Nous avons simulé quatre ajustements possibles qui peuvent être générés à faible coût(environ 0,05 % par année). La bonification du rendement pour l’ensemble d’un portefeuille équilibré typique est résumée au tableau.

Couverture sélective. Une première solution consiste à ne couvrir que les devises qui affichent un taux d’intérêt inférieur aux taux associés au dollar canadien. Nous avons simulé cet impact sur la base d’un rééquilibrage mensuel, de 1980 à 2006.

Ajustement contre-tendance. Une deuxième solution vise à miser contre la tendance lourde. Sur une base quinquennale, d’abord en 1980, puis en 1985 et ainsi de suite, nous avons réduit de 2 % l’expositions aux devises qui se sont appréciées au cours des cinq années précédentes, et vice-versa, et ce pour les cinq prochaines années.

Ajustement «retour à la moyenne». Une troisième solution, un peu similaire, consiste à réduire de 2 % l’exposition aux devises qui se trouvent au-dessus de leur moyenne des cinq dernières années, et vice-versa.

Ajustement de valorisation. Une dernière solution consiste à réduire de 2 % l’exposition aux devises qui sont surévaluées, et vice-versa. Nous avons utilisé ici notre propre mesure de valorisation interne, mais plusieurs organismes tel l’OCDE publient des mesures de valorisation qui sont facilement accessibles.
Sur une base annualisée, ces solutions auraient permis de bonifier le rendement total d’un portefeuille typique composé d’actions et d’obligations canadiennes et de 40 % d’actions internationalesde 0,38 % à 0,53 %, simulé sur une période de 1980 à 2006. Cette approche n’a eu pratiquement pas d’impact sur le risque de portefeuille, à l’exception de la couverture sélective qui, en réduisant l’exposition totale aux devises, a eu tendance à augmenter le risque de portefeuille(0,2 % à 0,3 % en moyenne).


C’est le temps de passer à l’action
Pour un portefeuille composé de titres internationaux, la gestion des devises est de plus en plus incontournable. Avant même de faire appel à des produits de gestion active qui, bien que très performants peuvent être complexes et coûteux, les caisses canadiennes se doivent de repenser leur approche par rapport à leur portefeuille de référence, le fameux benchmark.

Les solutions proposées répondent directement à ces besoins. Par exemple, un benchmark redistribué ou tout simplement équi-pondéré permet à la fois de réduire le risque et de limiter l’exposition aux devises dont la contre-performance pourrait fortement miner les rendements totaux. De plus, une gestion dynamique des ces benchmarks selon une approche systématique simple et peu coûteuse a permis d’extraire une valeur ajoutée au-delà de 0,5 % par année.

Le meilleur dans tout ça, c’est que ces ajustements, loin d’empêcher le recours à des stratégies actives et tactiques de valeur ajoutée du type alpha, pourraient même en faciliter la mise en place. Cette approche intégrée et novatrice s’établira rapidement comme la nouvelle norme en gestion de portefeuille pour les fonds de retraite au Canada.

Maxime Tessier est vice-président,

Gestion des devises,
chez Gestion globale d’actifs CIBC inc. à Montréal.

Les opinions exprimées dans cet article n’appartiennent qu’à l’auteur et ne reflètent pas la position de Gestion globale d’actifs CIBC inc. ou celle de la Banque Canadienne Impériale de Commerce(CIBC).