Dans le contexte économique actuel, les employeurs ont plus que jamais besoin de bien gérer leurs dépenses en médicaments et de comprendre le rendement sur le capital investi que celles-ci représentent. Le forum « Entre Experts », qui se tenait le 5 juin dernier à Montréal, s’est penché sur les questions relatives à cet enjeu. Après la présentation des résultats du sondage 2013 sur les soins de santé de Sanofi Canada (Avantages, juin 2013), Johanne Brosseau, conseillère principale chez Mercer, a exposé les tendances et défis de la gestion des régimes d’assurance médicaments et soulevé des questions soumises par la suite à un panel de discussion réunissant plusieurs experts.

Défis pour les promoteurs et consultants

De nombreuses études indiquent que les assurés connaissent mal leur couverture. « Il faut prendre des initiatives pour valoriser les régimes, recommande Johanne Brosseau. Notre expérience démontre que lorsque le promoteur de régime donne un relevé annuel de rémunération globale aux assurés, les gens perçoivent que leur régime s’est amélioré. Or, un tel relevé ne coûte pas grand-chose à produire ». Mme Brosseau suggère aussi d’apporter des changements aux régimes de façon à modifier le comportement des assurés. « Ils sont beaucoup plus ouverts à une modification de leur régime privé que les promoteurs ne se l’imaginent, dit-elle. Il est essentiel d’entreprendre des changements dans les régimes pour en assurer la viabilité à long terme. »

Cette viabilité à long terme nécessite également une meilleure utilisation des médicaments. « Il faut penser à augmenter le rendement du capital investi, en réduisant le gaspillage et l’utilisation non optimale des médicaments, mentionne Mme Brosseau. Le respect des traitements est un enjeu important. Il faut trouver une façon de travailler avec les manufacturiers pharmaceutiques en vue d’encourager l’adoption de pratiques exemplaires. Il faut mettre en place des mécanismes de surveillance et faire de la prévention pour s’assurer d’un usage approprié. »

Ghislain Boudreau, vice-président affaires publiques chez Pfizer, suggère aux promoteurs de régime de ne pas se contenter de parler avec les ressources humaines des entreprises, mais de s’adresser également aux cadres supérieurs. « Il faut conscientiser chacune des compagnies, dit-il. Lorsque nous avons commencé à mettre en place des programmes d’activité physique dans les entreprises, le taux d’absentéisme a chuté. Il faut trouver des exemples qui vont séduire les hautes directions. »

RAMQ et régimes privés : « Deux poids, deux mesures »

Selon Johanne Brosseau, le grand défaut du régime mixte qui a été mis en place le 1er janvier 1997 est que personne n’est responsable de son évolution. « Par défaut, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) se tourne vers l’ACCAP et la RAMQ, explique-t-elle, mais il ne se tourne jamais vers les ultimes payeurs de plus de 50 % des médicaments au Québec : les promoteurs de régimes privés. C’est la plus grande lacune et ce devrait être une priorité. Il faut mettre en place un mécanisme qui mettra fin à un système de “deux poids, deux mesures”. Il faut revendiquer un pouvoir décisionnel dans la gestion du RGAM. »

Tous les experts s’entendent pour dire qu’il n’est pas légitime de comparer une prime de régime privé à celle de la RAMQ. De multiples exemples présentés par Mme Brosseau ont permis de le constater, notamment le prix que coûte le médicament à un assuré de la RAMQ grâce à une entente avec le MSSS et l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP). « N’importe quel assuré de la RAMQ dans n’importe quelle partie de la province paye à peu près le même prix pour un même médicament, explique-t-elle. Pour les assurés des régimes privés, le pharmacien ajoute des frais de dispensation, des honoraires professionnels, une marge bénéficiaire qui tient compte de ses frais d’exploitation. »

Stratégies pour assurer la viabilité des régimes

La sous-utilisation des médicaments génériques préoccupe beaucoup les promoteurs de régime puisque le Québec détient le taux d’utilisation le plus bas du Canada. « On commence à voir, au Québec, des régimes qui instaurent la substitution générique conditionnelle, qui permet de respecter la volonté du médecin lorsqu’il écrit de ne pas substituer, ou obligatoire, affirme Johanne Brosseau. Au Canada, 74 % des régimes ont adopté de telles mesures, alors qu’au Québec il y en a seulement 54 %. Ce sont des économies dont les régimes ont besoin pour financer les nouveaux médicaments. »

Le rôle élargi du pharmacien, grâce aux nouvelles dispositions de la Loi 41, a été abondamment abordé lors du forum. Le professionnel pourra ainsi réaliser des économies en prescrivant certains médicaments, ce qui éviterait des visites chez le médecin, mais aussi s’assurer d’un bon suivi des traitements prescrits. Mme Brosseau insiste toutefois sur la nécessité d’établir une nouvelle entente avec l’AQPP puisque les pharmaciens vont commencer à facturer de nouveaux services. « Tout travail mérite rémunération, admet-elle. Mais il va falloir songer à rembourser les services cognitifs offerts par les pharmaciens dans la mesure où ces honoraires payés par les assurances privées se traduiront par une réduction des coûts, un meilleur respect des traitements ou une augmentation du rendement sur de très gros investissements dans le domaine des médicaments. »

Denis Roy, pharmacien et directeur principal, affaires professionnelles pour Pharmaprix, met toutefois en garde les promoteurs de régimes d’assurance médicaments. « Si l’on coupe davantage dans les revenus des pharmaciens, les gens auront peut-être moins accès à leurs services, prévient-il. Ils devront peut-être aller chercher leurs médicaments entre 9 h et 17 h, et s’absenter du travail pendant une journée pour une simple ordonnance d’antibiotiques. Il faut que le ministère de la Santé et la population comprennent que l’iniquité entre les régimes privés et le régime public vient d’un sous financement du gouvernement par rapport au régime public. Le gouvernement a le pouvoir de mettre en place des lois spéciales et d’imposer des conditions de travail aux pharmaciens. Il faut aider les pharmaciens à avoir une rémunération décente au sein du régime public. »

Tsunami gris

Le « tsunami gris » a été évoqué à plusieurs occasions au cours du forum pour illustrer le vieillissement de la population et ses conséquences sur les régimes d’assurance médicaments. « Les pressions démographiques dues au vieillissement de la population nous amènent à concevoir des solutions pour dégager de l’argent afin de pouvoir payer les nouveaux traitements et absorber la hausse de l’utilisation des régimes, a indiqué Jean-Michel Lavoie, directeur, remboursement des frais de médicaments à la Financière Sun Life. Les employeurs veulent faire de plus en plus de prévention. La nouvelle génération d’employés va sans doute nous conduire à revoir la façon dont les plans seront proposés et à offrir plus de choix. Les applications mobiles pourraient également nous aider à assurer le suivi des traitements et à transmettre aux assurés de l’information utile sur les régimes. »

Le vieillissement de la population entraînera indéniablement une hausse de la consommation de médicaments. Cette réalité devrait inciter les promoteurs de régime à mettre en place, dès maintenant, de nouveaux outils d’évaluation, croit Ghislain Boudreau. « La valeur thérapeutique est trop souvent mise de côté dans les évaluations puisqu’on s’intéresse davantage au coût des médicaments, déplore-t-il. De ce fait, le traitement devient une commodité, ce qui est très dangereux. Il va falloir trouver des moyens de mesurer aussi l’efficacité des médicaments. »

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