Les fiducies de revenu(FdR)ont connu un très fort engouement depuis
quelques années. En effet, il y a maintenant plus de 240 FdR inscrites
à la bourse de Toronto pour une capitalisation de plus de 170 milliards.
Le point culminant de l’acceptation des FdR par le marché a eu
lieu en janvier 2005 avec l’annonce de leur inclusion dans l’indice
S&P/TSX Composite, inclusion qui a d’ailleurs été complétée
en mars dernier.

Cette annonce a représenté un élément déclencheur
pour de nombreux investisseurs et de nombreuses caisses de retraite qui n’avaient
pas investi dans ces titres pour des raisons essentiellement légales
(questionnements concernant la responsabilité limitée). En plus
d’offrir des rendements courants élevés, les FdR ont généré
des rendements en gain en capital très importants au cours des dernières
années. Certains éléments structurels expliquent cette
valorisation des FdR: les avantages fiscaux dont elles bénéficient,
mais aussi la réduction des coûts d’agence qu’elles
permettent en forçant la distribution. Il importe dans l’analyse
du succès des FdR de faire la part entre ces avantages structurels et
des facteurs conjoncturels favorables : l’exposition des FdR à
des secteurs d’activité qui ont connu des rendements importants
et la diminution des taux d’intérêt au cours de cette même
période.

Définition et avantages structurels des
FdR

Une FdR est un véhicule de financement négocié publiquement
visant à distribuer les flux monétaires d’une unité d’exploitation
à des investisseurs à la recherche de rendement courant, et ce,
de manière efficace au niveau fiscal en minimisant les impôts payables.
Ce sont souvent des entreprises rendues à maturité, occupant une
bonne position concurrentielle et générant des profits stables
qui correspondent à ces critères. Les FdR se subdivisent en trois
grandes catégories : les fiducies de pétrole et gaz, les fiducies
de placement immobilier et finalement les autres types de fiducies, majoritairement
des fiducies d’affaires.

Généralement, les FdR redistribuent la grande majorité
de leurs profits aux détenteurs d’unités afin de minimiser
leur charge fiscale. Ceci constitue un des avantages importants de cette forme
d’organisation. Cet avantage se trouve décuplé dans le cas
d’un investisseur non imposable puisque les distributions de la FdR ne
seront pas soumises immédiatement à l’impôt. En effet,
un individu imposable détenant des FdR dans un compte REER ne subira
aucun impact fiscal sur les distributions reçues aussi longtemps que
cellesci seront détenues en REER. Les investisseurs institutionnels non
imposables bénéficient également de ce traitement fiscal
favorable. Toutefois, la distribution de la quasi-totalité des profits
par les FdR nous indique que la croissance interne de celles-ci pourrait être
limitée dans le futur. Ainsi, un investisseur ne devrait pas s’attendre
à un gain en capital important lors de l’achat d’unités
de FdR, mais plutôt à des distributions stables à travers
le temps.

L’obligation
pour les fiducies de verser aux détenteurs d’unités la grande
majorité des flux monétaires distribuables permet aussi une réduction
des coûts d’agence comparativement à la forme organisationnelle
concurrente que sont les entreprises publiques. En effet, la littérature
financière académique et professionnelle documente de nombreux
cas de gaspillage des flux monétaires libres. Plusieurs dirigeants d’entreprises
publiques se sont notamment engagés dans des courses à la croissance
via des fusions et acquisitions, souvent payées trop cher, et conduisant
à des destructions de valeur importantes.

Ces courses à la croissance effrénées souvent motivées
par des objectifs peu louables – la principale variable expliquant le
salaire étant souvent la taille de l’entreprise – ne sont
pas freinées par des mécanismes de régie d’entreprise
aussi efficaces que dans le cas des FdR. Dans le cas des fiducies, le financement
de projets d’acquisition ou d’expansion exige que celles-ci retournent
sur le marché des capitaux pour faire les levées de fonds nécessaires.
Cela introduit une discipline et permet l’évaluation objective
des opportunités de croissance par le marché. De plus, l’obligation
de payer des distributions stables à intervalles réguliers exerce
une pression en termes d’efficacité opérationnelle sur les
FdR.

Analyse
de l’historique

Les rendements des FdR au cours des dernières années ont été
assez spectaculaires, particulièrement lorsqu’on considère
le fait que prospectivement, les investisseurs pouvaient s’attendre à
un rendement en gain en capital plutôt faible pour ce type d’investissement.

En effet, il est possible de voir au tableau 1 que les rendements des FdR ont
été très élevés au cours des dernières
années. Cent dollars investis il y a cinq ans dans l’indice des
FdR auraient aujourd’hui une valeur de plus de 315 $, dont près
de 180 $ provenant des gains en capital et 135 $ des distributions. On constate
aussi que les FdR ont généré un rendement supérieur
à tous les autres types d’investissement et ce, pour toutes les
périodes considérées. Pour reprendre l’exemple des
cent dollars investis il y a cinq ans, un investisseur ayant placé cet
argent dans les actions canadiennes aurait aujourd’hui seulement 138 $.

Une question qui vient à l’esprit est de se demander quel a été
le risque(la volatilité)des fiducies de revenu sur cette même
période. Le tableau 2 permet de noter que même si les FdR ont généré
un rendement plus élevé que les autres catégories d’actif,
leur risque sur cinq ans n’a pas été plus élevé
que celui des marchés boursiers. Toutefois, leur risque demeure tout
de même plus élevé que celui des obligations.

À la lumière de ces données historiques, on constate que
les FdR se sont révélées comme une classe à part,
autant par leur rendement beaucoup plus élevé que les autres investissements
que par leur risque légèrement plus faible que les actions canadiennes.

Comment
expliquer ces rendements historiques?

Un élément de réponse se trouve dans la répartition
sectorielle des fiducies. En effet, traditionnellement, les fiducies se situent
dans les domaines de l’énergie et de l’immobilier. Par conséquent,
l’indice des FdR possède une surpondération très
importante dans ces deux secteurs. Le tableau 3 permet d’illustrer la
très grande différence entre la répartition sectorielle
du S&P/TSX Composite et celle de l’indice des FdR du S&P/TSX.
En effet, l’indice des FdR compte actuellement plus de 60% de sa capitalisation
boursière en énergie contre 25% pour le Composite. La différence
est aussi marquée pour le secteur de l’immobilier qui compte pour
13%de l’indice des FdR contre seulement 0,3% pour le Composite.

La surpondération des FdR dans le secteur de l’énergie
a été particulièrement bénéfique, puisque
cette catégorie a présenté des rendements très élevés
au cours des dernières années. Par exemple, le sous-indice de
l’énergie a généré un rendement annuel moyen
de 19,8% depuis 1998(tableau 4), contre 8,5% pour le S&P/TSX Composite
(tableau 1).

Un autre élément ayant pu influencer le rendement des FdR est
la diminution des taux d’intérêt offerts par les obligations.
En effet, le niveau de rendement courant offert par les fiducies représente
une alternative aux titres à revenu fixe. Par conséquent, une
diminution du taux de rendement à l’échéance offert
par les obligations aura souvent un effet positif pour les FdR. En analysant
les rendements mensuels des dernières années des fiducies, on
constate que près de 65% du temps, leur cours boursier a été
à la hausse(baisse)lorsqu’on observait une diminution(hausse)
du taux de rendement à l’échéance sur les obligations
corporatives long terme. Ceci confirme l’effet de substitution des titres
à revenu fixe par les FdR.

C’est
en partie la surpondération des FdR dans des secteurs d’activité
ayant connu une bonne performance qui a permis à ces dernières
de générer des rendements beaucoup plus élevés que
les actions canadiennes en général. Quant à la diminution
des taux de rendement à l’échéance des obligations,
celle-ci a également joué un rôle significatif. La partie
du rendement qui n’est pas expliquée par ces éléments
est liée à des facteurs spécifiques aux FdR. Ces dernières
bénéficient notamment d’avantages fiscaux, même si
l’annonce récente de la réduction de l’imposition
des dividendes tend à corriger cet avantage relatif par rapport aux actions.
Une partie du rendement a aussi probablement été liée à
une forte demande des investisseurs pour des titres à rendement courant
élevé alors que les titres de croissance étaient boudés
après le dégonflement de la bulle technologique.

Cette analyse a permis de mettre en perspective l’engouement des investisseurs
à l’égard des FdR. Bien qu’elles comportent des caractéristiques
spécifiques intéressantes et qu’elles aient généré
des rendements élevés par le passé, une grande part de
ces derniers est expliquée par des facteurs de risque de marché
communs à plusieurs actifs. En effet, les FdR ont notamment bénéficié
d’un alignement de planètes favorable dans la mesure où,
d’une part, les secteurs de l’énergie et l’immobilier
dans lesquels les FdR sont surreprésentées ont connu de très
bons rendements et, d’autre part, les taux d’intérêt
ont baissé. S’exposer aux FdR, c’est donc s’exposer
à une catégorie d’actif dont les rendements sont influencés
par des facteurs spécifiques(alpha), mais aussi s’exposer à
des facteurs de risque de marché(bêta), comme c’est le cas
pour toute autre catégorie d’actif.

NATACHA LEMAIRE, M.Sc. est analyste, Recherche et conseil en politique de placement,
à la Caisse de dépôt et placement du Québec.