Les personnes racisées ou issues de l’immigration continuent de vivre de la discrimination en emploi, et ce, même si les besoins de main-d’œuvre demeurent criants.

Une étude réalisée pour le compte de l’Observatoire sur les inégalités raciales au Québec (OIRQ) et rendue publique mercredi montre que les membres de minorités vivent la discrimination au quotidien dans leurs milieux de travail.

L’étude en question a spécifiquement été réalisée auprès de 137 personnes qui disent avoir vécu de la discrimination raciale.

« On ne veut pas montrer, par ce type d’analyse, l’ampleur du phénomène. On ne dit pas que tant de pourcent de la population vit de la discrimination », a pris soin d’expliquer le sociologue Victor Armony, de l’UQAM, l’un des auteurs de l’étude.

« On veut plutôt montrer comment les gens expriment leur expérience dans le milieu du travail quand ces personnes sont minoritaires. On veut savoir comment ça se passe dans le quotidien », a-t-il précisé en entrevue avec La Presse Canadienne.

Complexe de performance

Ainsi, les trois quarts des personnes interrogées considèrent que les membres de minorités doivent faire plus d’efforts pour s’intégrer au travail que les autres, une forme de complexe de performance qui leur est propre. Plus encore, 72 % pensent qu’elles subissent la charge mentale d’être irréprochables par peur d’être sanctionnées ou même de perdre leur emploi.

Sans surprise, la moitié des répondants souligne que la discrimination prend la forme d’un diplôme obtenu à l’étranger qui n’est pas reconnu et presque autant disent la même chose au sujet de leur expérience de travail à l’étranger.

La conséquence, très souvent, est de se retrouver dans le mauvais siège, explique M. Armony. « Il faut se demander si les gens sont à leur place en termes de qualification. On peut avoir un emploi pour lequel on est surqualifié ou parfois on peut avoir un emploi pour lequel on est correctement qualifié, mais pas dans le domaine qu’on avait choisi ou qu’on aurait choisi si on avait plus d’options. »

Une des conséquences de ce manque de reconnaissance est de se faire confier moins de responsabilités. Une des répondantes au sondage raconte d’ailleurs ceci : « Lorsqu’on me parle comme si j’étais une gamine de 5 ans alors que j’ai une maîtrise et que j’ai écrit des articles, des travaux beaucoup plus complexes qui me stimulaient beaucoup plus intellectuellement que les tâches qu’on me donne, je trouve ça un peu gros. »

Ethnicité, accent et autres motifs

Dans les raisons pour lesquelles les répondants disent subir de la discrimination, l’ethnicité vient au premier rang, suivie de l’accent, du fait d’être une femme racisée, la nationalité ou le statut migratoire, le nom de famille et la religion.

La première forme de discrimination, et de loin, consiste en des micro-agressions. On parle également de certains comportements, regards, gestes et des mots dérogatoires.

« C’est à ce niveau qu’on voit apparaître les mécanismes plus subtils de la discrimination systémique », explique Victor Armony. Par exemple, dit-il, ces personnes en viennent à croire « que leur accent peut jouer un rôle dans le fait qu’ils ne vont pas avoir une promotion ».

Les réactions des répondants couvrent une palette de sentiments qui vont de la colère à l’indifférence et les tactiques d’adaptation font en sorte qu’ils auront tendance à porter une grande attention à leur apparence, feront tout pour exceller au travail et parfois se contenteront d’en rire ou chercheront tout simplement l’évitement.

Les chercheurs concluent que « les discriminations ne nécessitent pas forcément des acteurs mal intentionnés pour voir le jour » et que « sa nature systémique peut induire des individus à commettre des actes discriminatoires sans même qu’ils ou elles en aient conscience ».

Changement de culture

Victor Armony reconnaît qu’on ne peut comparer avec le passé, puisque ces recherches en sont à leur tout début et, surtout, le contexte a beaucoup changé.

« On peut parler d’un paradoxe. On est plus conscients aujourd’hui au Québec en 2022 de l’existence du racisme, donc on en parle davantage. Les gens qui le vivent aussi comme victimes, en sont plus conscients.

« Il ne faut pas nier non plus le fait que ça puisse aller mieux que dans le passé. Il y a des gestes qui se posent. La sensibilité à la diversité aujourd’hui dans le secteur privé et dans le secteur public au Québec témoigne presque d’un changement de culture. On n’est plus en 1990 ou en 2000 au Québec. »

Il ajoute aussi que la situation actuelle de plein emploi « est toujours un facteur positif parce que ça monte et tout le monde monte, y compris ceux et celles qui étaient à la traîne ».