Sans études scientifiques, pas question d’adopter la réforme des normes de santé et de sécurité du travail du gouvernement Legault.

L’opposition officielle est catégorique: le projet de loi 59 du ministre du Travail, Jean Boulet, devra être remanié en profondeur pour obtenir son appui.

Le Parti libéral (PLQ) exige ainsi une étude scientifique précise appelée «analyse différenciée selon les sexes» (ADS) afin de démontrer clairement que cette réforme ne pénalisera pas les femmes.

Selon le porte-parole libéral en matière d’emploi, Monsef Derraji, cette réforme est «sexiste et bafoue la science», tout comme l’ont déploré plusieurs syndicats et groupes de défense des travailleurs lors de consultations la semaine dernière.

L’imposant texte législatif qui fait 118 pages vise à moderniser la loi actuelle qui date d’il y a 40 ans.

«L’unanimité contre le projet de loi»

«Il y avait unanimité, ou presque, contre le projet de loi (durant les consultations), a relevé M Derraji, dans une entrevue avec La Presse Canadienne diffusée dimanche. Pourquoi le ministre a choisi seulement quelques points qui font consensus?»

En vertu de cette réforme, plusieurs secteurs d’emploi à majorité féminins ne seraient plus assujettis aux mécanismes de prévention actuels.

Par exemple, les hôpitaux seraient considérés à faible risque d’accidents alors qu’un grand nombre de lésions est rapporté chaque année.

«Pour dire que le niveau de risque est faible dans le domaine de la santé, c’est certain que (le gouvernement) n’a pas consulté les travailleuses, a dénoncé le député libéral. Le projet de loi prend-il en compte les effets de la pandémie?»

Selon le PLQ, il revient maintenant au ministre et au gouvernement caquiste de démontrer, avec des études sérieuses, preuves scientifiques à l’appui, que le projet de loi ne va pas punir les travailleuses. Une «analyse différenciée selon les sexes» permet de prendre en compte les différences homme-femme, lors de la planification et de la prestation des soins et des services.

Données scientifiques

«Je ne veux pas, à titre de législateur, commencer l’étude du projet de loi sans avoir le bon portrait sur ses effets sur les femmes au travail, a tranché M. Derraji. Le ministre doit confirmer que son projet de loi ne va pas affecter les réclamations liées aux lésions professionnelles des femmes.»

La loi actuelle prévoit quatre grands mécanismes de prévention: un comité de santé-sécurité, un programme de santé spécifique à l’établissement, un programme de prévention et un représentant à la prévention. En vertu de la réforme, les employeurs seraient plutôt divisés selon leur taille et entre niveaux de risque faible, modéré et élevé, avec des mécanismes de prévention ajustés à chacun.

Or pour établir le niveau de risques, on se fierait aux données des indemnisations de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), et non sur des études scientifiques, ce que dénoncent plusieurs intervenants.

«Elles sont où les données scientifiques? a demandé M. Derraji. Pourquoi on ne se fonde pas sur la science?»

Santé publique

Et par ailleurs, en vertu du projet de loi, les médecins spécialisés en travail dans les directions de la santé publique (DSP) ne pourront plus intervenir dans les milieux de travail à moins d’avoir été sollicités par un employeur.

«Est-ce normal, après tout ce que nous avons vécu, de venir écarter l’expertise des médecins de la santé publique?» s’est indigné le porte-parole libéral.

M. Derraji se demande si ce ne sont pas des fonctionnaires ou carrément le cabinet du premier ministre qui a piloté la confection de ce projet de loi plutôt que le ministre, «qui a quand même la réputation de bien faire les choses».

«Tout le monde s’entend sur la modernisation de la loi, mais personne ne dit que c’est ainsi que la modernisation doit être faite», a-t-il conclu.

Le projet de loi 59 vise à réduire les coûts d’indemnisation des victimes d’accidents de travail.

La CNESST a versé des prestations totalisant 2,22 G$ en 2018. Elle avait alors accepté 103 406 lésions professionnelles et enregistré 226 décès. Chaque jour, 251 travailleurs subissent un accident.

Selon les données de la CNESST, les lésions psychologiques ont augmenté de 67 % au cours des 10 dernières années.