La Régie a toujours considéré que la Loi sur les régimes complémentaires de retraite (la Loi RCR) exigeait que les employeurs du Québec provisionnent tout déficit à la résiliation du régime et même lors du retrait d’un employeur participant à un régime interentreprises! Cette position diffère de celle des autres provinces qui prévoient qu’au retrait ou à la résiliation d’un régime interentreprises, les prestations constituées sont réduites, la responsabilité de l’employeur se limitant au versement de la cotisation négociée.

Même la décision de la Cour d’appel du Québec dans le dossier Multi-Marques Distribution Inc. c. Régie des rentes du Québec semblait aller dans le sens de la position adoptée par le reste du pays sur cette question. Le tribunal a renversé les décisions judiciaires et administratives antérieures et statué que l’employeur n’avait pas la responsabilité de provisionner le déficit. Le tribunal a donc conclu que les prestations pouvaient être réduites, comme le prévoient les dispositions du régime. Le tribunal a de plus statué que les dispositions du régime n’étaient pas contraires à la Loi RCR.

La Régie n’allait toutefois pas en rester là. Pendant que la Cour d’appel du Québec statuait en faveur des employeurs du Québec parties à un régime interentreprises, la Régie faisait ajouter au projet de loi 68 (sur les dispositions de retraite progressive du Québec) des dispositions visant explicitement à empêcher la réduction des prestations constituées dans certaines circonstances. Le projet de loi 68 a par la suite reçu la sanction royale le 20 juin 2008 et ses dispositions sont maintenant en vigueur. Bien que la Régie ait perdu la bataille contre Multi-Marques Distribution Inc., il semble qu’elle ait gagné la guerre contre les employeurs parties à un régime interentreprises ayant des employés au Québec. En outre, si la Cour suprême du Canada renverse la décision de la Cour d’appel dans le dossier de Multi-Marques Distribution Inc., la Régie aura gagné sur toute la ligne!

Il s’agit d’une mauvaise nouvelle pour les régimes interentreprises ayant des participants au Québec. On ne sait pas pour l’instant si l’obligation de provisionnement du déficit au retrait ou à la résiliation du régime ne s’appliquera qu’aux prestations constituées à compter du 20 juin 2008 – mais il est peu probable que la Régie s’en tienne là.

Qui est touché?
Contrairement à ce que prévoient les protocoles de l’accord de réciprocité entre les provinces (qui régissent la réglementation des régimes de retraite plurijuridictionnels), la Régie considère que les régimes interentreprises ayant des participants au Québec sont assujettis aux règles de provisionnement du Québec, quelle que soit la province où le régime est enregistré. Cependant, les droits des employés de l’Ontario qui participent à un régime enregistré au Québec, par exemple, ne seront pas assujettis aux règles de provisionnement du Québec.

Qu’est-ce que cela implique?
En vertu des changements apportés par la Régie, le provisionnement complet des prestations constituées des participants du Québec incombe clairement au régime lui-même, même si cela est au détriment possible des participants hors du Québec. Les conseils de fiduciaires devront déterminer comment composer avec les injustices interprovinciales potentielles que cette décision créera, et pourraient souhaiter élaborer de nouvelles ententes avec les employeurs ayant des participants au Québec. Ce ne sera pas une tâche facile, et ça pourrait signifier le début de la fin pour la participation des employeurs ayant des employés au Québec. Les modifications apportées par Québec en 2001 via le projet de loi 102 – augmentation des prestations minimales – ont causé suffisamment de maux de tête aux régimes interentreprises à cette époque. Ces modifications ayant entraîné, soit une amélioration des prestations pour tous les participants (pour les régimes qui en avaient les moyens), une diminution des prestations de base pour les participants du Québec, une augmentation des cotisations versées pour les participants du Québec ou la création d’une injustice entre le Québec et les autres provinces.

Que devraient maintenant faire les régimes interentreprises?
Les fiduciaires de régimes interentreprises ayant des participants au Québec devraient examiner la possibilité de prendre certaines ou l’ensemble des
mesures suivantes :

  • examiner et modifier la documentation du régime pour éviter les injustices entre les provinces;
  • recenser les employeurs participants ayant des employés au Québec;
  • examiner la situation du régime à la résiliation des points de vue suivants :

o l’ensemble du régime;
o tous les employés du Québec, comme s’ils constituaient un régime séparé;
o les employeurs participants et plus particulièrement ceux qui ont des employés au Québec.

  • établir un régime interentreprises séparé pour les employés du Québec, ou une division séparée dans un régime interentreprises plurijuridictionnel;
  • résilier le régime interentreprises actuel pour les employés du Québec et les services accumulés au 19 juin 2008 et régler ces prestations;
  • pour les cotisations à compter du 20 juin 2008 :

o établir un régime de retraite à prestations déterminées à employeur unique pour les employeurs ayant des employés au Québec;
o établir un régime interentreprises séparé pour les employés du Québec;
o créer une division séparée pour les employés du Québec dans un régime interentreprises plurijuridictionnel.