Frappées par une rareté de la main-d’œuvre, de nombreuses entreprises hésitent tout de même à embaucher des personnes ayant un casier judiciaire pour pourvoir des postes.

Ce constat ressort d’un sondage réalisé le mois dernier et publié mercredi pour le compte du Comité consultatif pour la clientèle judiciarisée adulte (CCCJA).

Il révèle que seul un peu plus du quart des 500 répondants sondés sont prêts à embaucher une personne judiciarisée, contre 38 % qui ne seraient pas à l’aise et 33 % qui ne savent pas. Pour les trois quarts des participants, leur décision peut toutefois être influencée par l’infraction commise.

Une majorité d’employeurs mentionne pourtant être confrontée à des défis en matière d’embauche. La proportion s’élève à 87 % pour les entreprises de 50 à 199 employés, révèle le coup de sonde.

« Le sondage confirme qu’il y a quand même beaucoup de travail à faire pour sensibiliser les employeurs à l’égard de la clientèle judiciarisée adulte », commente le président du CCCJA, Patrick Pilon.

Il souligne que 14 % de la population adulte au Québec a un casier judiciaire, soit plus de 950 000 personnes. Parmi elles, 34 000 sont prestataires d’un programme d’aide financière de dernier recours, selon des données de juin 2018.

Chaque année, des centaines de personnes avec un casier judiciaire entreprennent des démarches pour réintégrer le marché de l’emploi, soutient M. Pilon. « Ces personnes-là le font, pour la plupart, par libre choix parce qu’elles ont envie de s’intégrer dans la communauté. Pour nous, ça témoigne clairement qu’il y a un bassin de main-d’œuvre potentiel », affirme-t-il.

Le secteur de la santé et des soins est plus réfractaire à l’embauche de personnes judiciarisées, expose le sondage. Tandis que les entreprises œuvrant dans le domaine de l’exploitation, la fabrication et du transport se montrent plus ouvertes. D’ailleurs, 30 % des employeurs sondés dans ce secteur comptent actuellement un employé avec un casier judiciaire parmi leur personnel, alors que la proportion est de 11 % dans tous les secteurs confondus.

La peur, la méfiance et la perception des personnes en dehors de l’entreprise ont été mentionnées parmi les principaux freins à la présence de personnes judiciarisées en milieu de travail, signale l’enquête.

Un employeur ne peut refuser d’embaucher une personne seulement parce qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction, « si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi », stipule la Charte québécoise des droits et libertés. Néanmoins, une entreprise peut décider d’écarter un candidat en raison de ses antécédents criminels sans en faire mention officiellement.

Signes encourageants

Ces données sur la perception des employeurs sortent au moment où le CCCJA amorce une tournée de sensibilisation dans différentes régions dans le cadre de la Semaine de la réhabilitation sociale du Québec.

Le CCCJA ira notamment à la rencontre d’employeurs au cours des prochains mois. Il pourra miser sur certains signes encourageants au regard des résultats du sondage. Par exemple, plus de la moitié des entreprises disent souhaiter recevoir de l’aide d’une organisation pour les démarches d’embauche ou d’intégration d’une personne avec un casier judiciaire.

Le CCCJA souhaite ainsi mettre en lumière ces acteurs qui ont les connaissances pour recruter et accompagner la main-d’œuvre judiciarisée.

Le recours à une banque de candidats avec des antécédents judiciaires a aussi été ciblé comme l’outil le plus intéressant par 56 % des employeurs. Si ce type de banque existe parfois au niveau local, aucune n’est déployée au plan national. Un besoin qui sera considéré et analysé, indique M. Pilon.

Le CCCJA pourra également mettre de l’avant la satisfaction des entreprises ayant déjà employé une personne judiciarisée. La grande majorité (89 %) qualifient leurs expériences comme « globalement positives », en décrivant leurs employés comme étant notamment bien réinsérés, reconnaissants de leur travail et dévoués.

« Embaucher une personne judiciarisée a des effets positifs en matière de réduction de la récidive et sur la société. C’est un gain en capital autant humain que financier qui est important pour l’État », soutient M. Pilon.

Si « ce n’est pas un long fleuve tranquille de convaincre » des employeurs d’embaucher des personnes judiciarisées, M. Pilon demeure optimiste. Selon lui, l’importante rareté de la main-d’œuvre en ce moment au Québec pourrait faire bouger des entreprises.
« Nous, on sent qu’à travers ce phénomène, il va y avoir un certain espoir que les entreprises puissent s’ouvrir davantage à ce bassin de main-d’œuvre », fait-il valoir.
Une étude commandée par le CCCJA, et dont la parution pourrait avoir lieu en novembre brossera un portrait plus actuel de la situation des adultes judiciarisés au Québec.