La crise financière de 2008 a été particulièrement éprouvante pour plusieurs gestionnaires de caisse de retraite et, dans une moindre mesure, pour les assureurs. La notion de liquidité aura pris une nouvelle dimension depuis, condamnant beaucoup d’institutionnels à de nouveaux arbitrages en matière de répartition d’actif. Si ces gestionnaires sont, aujourd’hui, mieux préparés pour faire face à un nouveau choc, ils constatent toutes les limites de l’opération. La liquidité n’est pas sans coût et 2008 a démontré toute l’impuissance d’agir lorsque tous se ruent en même temps vers la même porte de sortie.

Claude Lamoureux résume : « il y a un coût associé à la liquidité, et ce coût vient abaisser le rendement. » L’ex-président de Teachers, se disant aujourd’hui un retraité actif intéressé aux questions de placement, évoque le risque de tomber dans l’excès contraire. « Il faut apprendre des crises, mais investir c’est regarder le long terme. Des crises il y en a eu. Le passé se répète souvent. » Claude Lamoureux insiste : « chaque fois que tu te défends, ça coûte de l’argent. Même une ligne de crédit comporte un prix. » Revenant au choc de 2008, il souligne que l’élément dominant a été le manque de liquidité, qui a frappé plus durement les caisses de retraite que les compagnies d’assurance. « Même pour les caisses disposant de flux monétaires positifs, la demande de liquidité était devenue plus importante que ces flux. » N’empêche, « tu peux bien disposer d’actif liquide ou d’obligations pouvant être vendue rapidement, tu peux même vouloir t’en remettre à des produits dérivés, mais lorsqu’une foule se rue vers la même porte de sortie »…

Le spécialiste estime que les gestionnaires ont appris de 2008, qu’ils se retrouvent aujourd’hui mieux positionnés. « Pour plusieurs d’entre eux, 2008 a été difficile parce qu’ils étaient trop engagés dans les placements privés et dans les fonds alternatifs. Ils ont changé leur façon de faire depuis et limité le poids des éléments d’actif peu ou pas liquides, comme l’immobilier. Aussi, ils s’engagent différemment dans les placements privés ou ajoutent un prix à leur engagement. »

Coût quasi nul

« Nous avons négligé le risque de liquidité. La liquidité était, en définitive, gratuite. Or, ce qui est gratuit n’est rien », renchérit Roland Lescure, premier vice-président et chef des Placements à la Caisse de dépôt et placement du Québec. En 2008, dans le sillon de la faillite de Lehman Brothers, la liquidité a manqué d’un seul coup. Ce qui était auparavant à coût quasi nul est devenu soudainement extrêmement cher. Et les gestionnaires d’actif, à qui l’on accole une fonction de fournisseur de liquidités en des moments de tension ne serait-ce que selon une logique d’occasions d’investissement, n’ont pu jouer ce rôle traditionnel en 2008. « Les banques centrales sont les fournisseurs naturels de liquidités pour l’économie réelle. Mais il entre dans notre mission d’investir dans des moments de stress, d’être un investisseur de dernier recours. Ça ne s’est pas passé comme cela en 2008. » Roland Lescure le martèle : « plus jamais! » Plus jamais la Caisse de dépôt ne va se retrouver contrainte de vendre des éléments d’actif dans un contexte de chute des prix, ou se retrouver devant l’impossibilité d’acheter. « Nous ne voulons plus être des intervenants négatifs comme ce fut le cas en 2008. »

Claude Bergeron enchaîne. Le premier vice-président et chef de la Direction des risques à la Caisse de dépôt soutient que l’institution québécoise n’était pas la seule dans cette situation. « Avant la crise financière, tout le monde pensait que la liquidité était là pour rester. Le levier était gratuit. » Il parle notamment des fonds de couverture, dont on s’est vite rendu compte que l’impression de liquidité n’était pas réelle. Jonglant à la fois avec les appels au rachat et avec la chute abrupte des cours, nombre d’entre eux ont dû interrompre les rachats. Il donne aussi l’exemple des papiers commerciaux adossés à des actifs. Ces produits dérivés étaient plus complexes et moins liquides que l’on pouvait croire, ce qui est fortement ressorti sous le coup d’appels de marge et de fermetures de positions. « En 2008, les gestionnaires ont été pris dans une spirale d’appels de marge et de fermeture de positions telle que l’on croyait que la fin du levier était venue. »

Fonds alternatifs

Les gestionnaires de fonds de couverture ont été particulièrement secoués. Dans une étude coiffée du titre De boîte noire à livre ouvert, la firme PwC soutient que 2008 a été une année de bouleversement en profondeur pour cette industrie. Depuis, l’attention plus grande des investisseurs pour les liquidités, pour la transparence des portefeuilles, pour le contrôle et la gouvernance a changé la donne dans une industrie qui recrute désormais l’essentiel de sa clientèle parmi les investisseurs institutionnels. Selon un sondage réalisé par la Deutsche Bank, les institutionnels accaparent désormais les deux tiers de l’actif des fonds alternatifs. Il ressort également que 80 % d’entre eux ont maintenu ou augmenté leur actif administrés au sein des fonds alternatifs en 2011. « Quatre ans après la crise, les fonds de couverture ont regagné le sommet de 2007 en ce qui concerne l’actif. Dans l’intervalle, leur base d’investisseurs est devenue plus institutionnalisée et l’encadrement réglementaire du secteur a gagné en intensité et en étendue », met en exergue PwC. La firme-conseil rappelle que durant la crise de 2008, un soudain désappariement de la liquidité, la suspension des rachats et d’autres « surprises » ont érodé la confiance des investisseurs à leur endroit.

Patrick De Roy, associé et chef de la pratique nationale de gestion des risques chez Morneau Shepell, observe également ce retour des institutionnels vers les placements alternatifs, avec une plus grande démocratisation favorisant les plus petites caisses, notamment par un accès sous forme de fonds communs. Ces placements peuvent représenter entre 30 et 40 % du portefeuille chez les grands gestionnaires et autour de 20 % chez les plus petits. Les gestionnaires vont cependant procéder à une vérification diligente plus serrée et assurer un suivi en matière de risque de liquidité. « La démarche consiste généralement à adopter un panier de stratégies, à opter pour la diversification afin de ne pas dépendre d’une seule en cas de revers. Ces fonds vont également conserver une plus grande partie de leur actif sous forme de liquidité, afin de répondre aux préoccupations des institutionnels », précise-t-il.

Aujourd’hui, ces institutionnels veulent agir a priori. Comprendre et mesurer quel seraient les conséquences d’un événement-type spécifique sur leur stratégie de placement avant que l’événement ne survienne. Cette précaution est d’autant plus délicate que le titre ou le produit est complexe ou moins négocié. Les institutionnels vont se sentir à l’aise avec des produits dérivés inscrits à la cote et s’échangeant dans un marché liquide. Mais lorsqu’ils percent l’univers des produits synthétiques plus complexes, comportant des éléments moins liquides et renfermant des positions faisant appel à des titres de dette, le confort disparaît. D’autant qu’il est plus difficile de fixer un prix à ces instruments.

Évidemment, en contrepartie, les institutionnels devront se préparer à payer pour cette transparence accrue. Sans oublier que plusieurs de ces fonds alternatifs, davantage chez les plus petits, peuvent se retrouver devant un accès plus restreint et coûteux au levier dans un environnement réglementaire plus exigeant, prévient PwC.

On peut, ainsi, comprendre la volonté des législateurs d’inviter les institutions à plus de prudence et de transparence en matière de produits structurés ou dérivés. « La fonction “gestion de risque” est devenue la saveur du mois », illustre Claude Bergeron. Roland Lescure acquiesce. Dans ses grands arbitrages, un gestionnaire tient compte des risques de liquidité, de crédit, de marché et opérationnels. « C’est le premier qui est le plus important. Sans liquidité, tu meurs! » lance-t-il. Le numéro un du placement à la Caisse apporte la distinction entre un marché liquide, associé à la concentration dans un titre en particulier, et le financement des liquidités. « Il ne faut jamais se retrouver obligé de vendre dans un marché qui ne convient pas. » D’où l’importance de mettre en place des tests de tension plus rigoureux. Ici, 2008 sert de référence au modèle et aux hypothèses venant renforcer les règles de gouvernance.

Tests de tension

À la Caisse de dépôt, la procédure prend la forme de tests de tension appliqués aux sources de liquidités. Les investissements en portefeuille et aux produits dérivés sont ensuite soumis au test. L’exercice consiste à identifier ce qui pourrait engendrer des sorties de fonds non prévues ou générer des appels de liquidité. Identifier un niveau de liquidité excédentaire permet de répondre aux besoins des déposants quelle que soit la conjoncture, explique Claude Bergeron. Le tout est complété par une notation interne des titres en portefeuille venant se greffer ou se juxtaposer à la notation des agences. La Caisse de dépôt procède à ses analyses qualitatives et quantitatives maison, qu’elle étend à ses contreparties, afin de renforcer ses radars. Les arbitrages s’ensuivent, qui se veulent plus complexes pour un gestionnaire multicatégories.

Cette illustration étant, selon Patrick De Roy, on n’observe actuellement pas de souspondération d’actif moins liquide, tel que l’immobilier ou les fonds d’infrastructures au profit d’une liquidité accrue. « Après tout, il y a des limites et des coûts à rendre les choses liquides », rappelle le spécialiste de Morneau Shepell. « Il existe des produits immobiliers offrant une composante liquide, mais là encore, cela comporte un coût, un sacrifice. Une autre stratégie consiste à adosser des titres de court terme à un actif de long terme. Ou encore à combiner un actif réel à un actif financier négocié en Bourse. Mais l’on ajoute ici un Bêta de marché, ce que les gestionnaires veulent pourtant éviter avec les placements alternatifs. Une fiducie immobilière peut apporter un Bêta de 0,5 », dit-il. « L’erreur que l’on peut faire consiste à prendre des éléments d’actif non liquides pour des positions liquides. La stratégie idéale consiste à s’en remettre à des liquidités pures. Les gestionnaires ont également été échaudés par le levier en 2008. »

« Liquéfier un actif non liquide n’est pas sans coûts. De plus, s’associer à des gestionnaires monocatégorie, notamment dans l’immobilier, dans le segment des fonds alternatifs ou dans celui des placements privés, engage l’institution à se commettre », ajoute Roland Lescure. Patrick De Roy illustre : « les fonds d’infrastructures fermés sur 15 ans, par exemple, deviennent plus rares. L’offre propose désormais des fonds à échéance échelonnée, normalement aux cinq ans. Mais cela vient avec un coût. Au sens large, la prime de liquidité a augmenté. »

Ainsi, la liquidité à un prix, qui peut se transformer en rendement, notamment pour les caisses de retraite dont les entrées de fonds sont de loin supérieures aux sorties. Les spécialistes pensent, notamment, que le renforcement de la réglementation bancaire placé sous Bâle III, devant entrer progressivement en vigueur à partir de 2013, s’annonce pour être riche en occasions d’affaires. Réduite à sa plus simple expression, Bâle III a pour conséquences d’accroître la valeur accordée à la liquidité et d’augmenter le coût réglementaire de la titrisation et des produits dérivés. « Les caisses de retraite bénéficiant de flux monétaires positifs faciles à prédire seront bien positionnées pour y prendre avantage », souligne Claude Lamoureux. « Il faudra disposer du réservoir qui nous permettra de capter cette prime de liquidité », ajoute Roland Lescure. Il estime également qu’avec Bâle III, les fournisseurs de capitaux pour des investissements moins liquides se feront plus rares. Il devrait y avoir moins d’assureurs et de banques dans des projets de placement privé ou de participation dans les infrastructures, par exemple. Sans oublier toutes ces banques européennes présentement engagées dans un mouvement de délestage d’actifs afin de renforcer leur capitalisation.

« Des occasions d’affaires, il y en a, il y en aura, avec les risques qui les accompagnent. » Roland Lescure voit des risques potentiels venant de Chine, de la zone euro, des États-Unis. Il parle également de Bâle III pour les banques, de son équivalent pour les assureurs, et de Dodd-Frank aux États-Unis. « Tous ces éléments ajoutent à l’importance de maintenir une bonne position liquide afin de bénéficier d’occasions qui se présentent ou qui se présenteront. On peut profiter du cycle. On l’a déjà fait. Le monde est mieux préparé qu’en 2008 », conclut-il.

Les gestionnaires de caisse de retraite sont-ils réellement mieux protégés aujourd’hui ? Qu’ont-ils compris de 2008 et sont-ils mieux préparés pour faire face à une éventuelle crise? « Souvent c’est ce que l’on ne voit pas venir qui nous frappe, répond Patrick De Roy. En 2001, les gestionnaires ont été pris de court par le risque de marché. Ils ont fait appel aux fonds alternatifs pensant se protéger de ce risque. Ils ont été touchés en 2008 par le risque de liquidité. Quel sera le prochain?