Keith Ambachtsheer, président de KPA Advisory de Toronto et expert-conseil reconnu auprès de caisses de retraite, a récemment complété sonlivre Pension Revolution, publié chez Wiley et lancé lors d’une allocution devant l’Association CFA Montréal. Dans cet ouvrage, il s’attaque aux idées reçues et à l’inertie pour apporter des exemples de solution et la voie à suivre pour réformer le monde des caisses de retraite. Une lecture qui s’impose. Pierre Saint-Laurent l’a rencontré pour Avantages.
Pierre Saint-Laurent(PSL): M.Ambachtsheer, votre exposé sur les ratés des régimes à prestations est on ne peut plus clair : vous ne croyez pas que l’on puisse rapiécer le modèle.
Keith P. Ambachtsheer(KPA) : C’est plus que cela. Il y a des problèmes fondamentaux avec ces régimes. J’en nommerai les trois principaux. Primo, l’approche silo. Chacun responsables des régimes, gestionnaires de portefeuilles, actuaires-conseils, bénéficiaires – fonctionne en silo. Secundo, l’information asymétrique en faveur des gestionnaires fait en sorte que les responsables et leurs bénéficiaires sont souvent bien mal servis(et à des frais beaucoup trop élevés). Tertio, la structure d’incitatifs favorise les prestateurs de services, qui sont à la fois juges(conseillent les placements)et parties(reçoivent les honoraires de gestion ou de conseil).
PSL : La solution passe-t-elle par les régimes à cotisations déterminées?
KPA : Oh non! En deux mots, on refilerait alors la responsabilité de régler un problème majeur(sous-financement, hypothèses actuarielles inadéquates)aux futurs retraités, sans doute les moins bien préparés pour y faire face vu leurs connaissances insuffisantes en finance et en placements.
PSL : Que proposez-vous alors?
KPA : Mon expérience mondiale m’a fait étudier de près des régimes qui, eux, fonctionnent. Prenez la situation aux Pays-Bas, où la question des retraites est d’ordre national(un débat de société discuté par tous de façon approfondie et systématique)et où l’État reconnaît la dimension sociale des enjeux. Tout employé doit souscrire à un régime et y contribuer sur des bases actuariellement saines. Fait majeur, il y a un réel partage de risque : les bénéficiaires contributeurs ne reçoivent pas de garanties de prestations, les employeurs ne reçoivent pas de garanties de contributions. Le contrat social prévoit un partage des risques et donc, tous doivent comprendre et accepter les enjeux réels. En Australie et au Royaume-Uni aussi, on progresse dans cette direction, dans la direction de réformer les régimes pour les rendre sains, bien capitalisés et réalistes.
PSL : De façon plus générale, quelles réformes préconisez-vous?
KPA : J’ai appelé la série de réformes que je propose l’approche TOPS pour The Optimal Pension System ou le système de retraite optimal. Il s’agit d’une série de principes que l’on devra retrouver dans les régimes de retraite si l’on veut assurer des niveaux de financement adéquats, des niveaux de retraite alignés sur les revenus durant la vie active, ainsi qu’une certaine sérénité, une absence de conflits entre ceux qui reçoivent et ceux qui financent. Parmi ces principes de base, on notera : a)la mise en jeu d’économies d’échelle, pour permettre de retenir les services des meilleurs gestionnaires de caisses de retraite; b)l’obligation pour tous de participer à ce programme, reconnaissant la dimension sociale collective des enjeux de retraite; c)créer des normes de partici-pation qui responsabilisent tous les ayant droits et qui créent un réel partage et partant, une réelle gestion des risques; d)assurer des comportements à l’éthique irréprochable.
PSL : Et quels en sont les avantages?
KPA : On ne se battra plus pour savoir qui doit payer les déficits actuariels(ou à qui appartiennent les surplus), on assurera des retraites adéquates pour tous(plutôt que de voir l’État comme «prêteur de dernier recours» ou débattre juridiquement des responsabilités et des fautes), on diminuera les coûts de gestion des caisses tout en premettant à tous d’accéder à la meilleure gestion. Un modèle à étudier, c’est celui de TIAA-CREF aux États-Unis, où la mise en commun des caisses permet d’améliorer grandement les choses. D’ailleurs, les caisses ayant des actifs inférieurs à 5 milliards $ ne peuvent qu’être gérées sous-optimalement et doivent se regrouper.
PSL : L’union fait la force?
KPA : Je préconise en fait une approche coopérative, une mise en commun des ressources pour le bien de l’ensemble des participants. D’ailleurs, le Québec est à l’avant-garde avec les prises de position de la Régie des Rentes. Et la grande expérience du mouvement Desjardins en matière de coopération pourrait faire du Québec le leader en matière de régimes de retraite optimaux, un exemple à suivre mondialement.
PSL : Merci infiniment.
Keith P. Ambachtsheer est président de KPA Advisory Services Ltd et directeur du Centre international Rotman pour la gestion des retraites. Il est l’un des experts conseils les plus respectés dans le monde en matière de régimes de retraite.
Pierre Saint-Laurent, CFA, CAIA, est président d’ActifConseil inc., une société conseil établie à Montréal et Toronto.