Il faut organiser un sommet national sur les retraites pour réformer le système canadien ont expliqué, le jeudi 21 mai, les trois membres d’une table ronde sur les répercussions inquiétantes de la crise financière sur le monde des retraites.

Un nouveau régime de retraite universel national, similaire au Régime de pensions du Canada (cotisations obligatoires des employés et des employeurs et prestations déterminées), devrait constituer la pierre angulaire de ces réformes, destinées à garantir les retraites des Canadiens.

Cette table ronde du Economic Club de Toronto rassemblait Michael Hale, président de l’Institut canadien des actuaires, Susan Eng, vice-présidente, Promotion et défense des droits de CARP (association canadienne pour les plus de 50 ans) et Ken Georgetti, président du Congrès du travail du Canada.

L’effondrement financier et la fonte des bas de laine des ménages ont ainsi amplifié et rendu plus visibles, de profonds déséquilibres, ont reconnu les trois membres de cette table ronde.

Rappelons qu’en juin 2008, Claude Lamoureux, ancien président et chef de la direction du Régime de retraite des enseignants ontariens (Teachers’), avait déjà tiré la sonnette d’alarme concernant l’urgence d’une telle réforme, à la tribune de ce même Economic Club de Toronto.

L’inquiétude des « zoomers »

Les gouvernements devraient donc se préparer à entendre un nombre croissant de citoyens leur réclamer de s’atteler à la tâche. Autrement dit, les « zoomers » (soit les baby-boomers vieillissants) vont monter au créneau et vouloir prendre leur place.

« Certaines personnes qui n’avaient habituellement aucune inquiétude concernant leur retraite, ceux et celles dont les régimes de retraite à prestations déterminées étaient solvables, font à présent les manchettes des journaux, a expliqué Susan Eng. Et donc nous sommes un peu en présence d’une “tempête idéale”, car des gens qui avaient un régime de retraite ont à présent des préoccupations similaires à celles de beaucoup d’autres personnes, qui, soit dit en passant, n’ont même pas de régime de retraite », a prévenu la VP Promotion et défense des droits de cet organisme d’information et de recherche qui compte 330 000 membres.

Susan Eng a rappelé que seulement 26 % des Canadiens à l’extérieur de la fonction publique disposaient d’un régime de retraite, tout en soulignant que les actifs dans l’épargne-retraite étaient particulièrement concentrés : 31 % des foyers affichant un revenu de 100 000 $ et plus détiennent 90 % de l’épargne-retraite. « La question de la sécurité de la retraite concerne donc tout le reste de la population », a conclu Mme Eng.

Son organisme, CARP, recommande donc la création d’un nouveau véhicule pour épargner, un « régime de retraite universel », soit un fonds distinct du RPC mais qui adopterait la même architecture et qui serait indépendant du gouvernement. Ce régime ne serait pas non plus lié à un employeur particulier, ce qui donnerait davantage de souplesse aux employés qui changent d’emplois, tout en simplifiant la question épineuse de la répartition des suspensions de cotisations et des excédents au sein des régimes d’entreprises privées.

Fiducie pour la sécurité de retraite
L’institut canadien des actuaires (ICA) avait déjà présenté il y a deux ans ses propositions pour remettre en selle le système de retraite actuel, a rappelé son président, Michael Hale.

L’ICA ne cache pas sa préférence pour les régimes à prestations déterminées plutôt que les régimes à cotisations déterminées. Le ICA propose toutefois un régime de retraite privé parallèle sous forme d’une fiducie de sécurité de retraite « complémentaire mais distincte des fonds des régimes de retraite habituels, qui serait employée pour améliorer la sécurité des prestations ». Les fonds inutilisés et restant dans la fiducie pourraient être reversés au promoteur du régime.

L’ICA recommande également un relèvement des marges de solvabilité, proportionnellement au niveau de risque des placements d’un régime. Plus le risque augmente et plus la marge serait élevée. Le CIA propose aussi de relever le plafond des surplus autorisé au sein d’un fonds privé, au-delà des 10 % actuels.

Un sommet national sur les retraites devrait également permettre de dissiper les incertitudes qui planent sur la propriété des surplus au sein de régimes privés, a précisé Michael Hale, avant d’ajouter : « Tout particulièrement au vu du naufrage d’entreprises qui étaient autrefois considérées comme des géants, les gouvernements devraient sérieusement envisager de donner davantage priorité aux prestations de retraite lors des procédures de faillite et de restructuration, [comprenant] d’adopter une législation qui protègerait les prestations de fonds sous financés, en les traitant comme des cotisations de retraite impayées dans le cadre de ces procédures. »

Assurer les prestations déterminées
Le Congrès du travail du Canada (CTC) propose pour sa part une autre solution de protection des prestations en cas de faillite : assurer ces prestations, à l’image des dépôts bancaires en cas de faillite d’une banque.

Il existe bien d’autres assurances obligatoires, a rappelé Ken Georgetti, le président du CTC : des assurances professionnelles pour les employés et les employeurs, l’assurance-chômage, l’assurance hypothécaire (doublée même d’une assurance-vie pour obtenir son hypothèque), l’assurance automobile. « Et pourtant, le placement le plus significatif dans toute votre vie, votre revenu différé au sein de votre régime de retraite, n’est pas assuré », s’étonne Ken Georgetti, qui a expliqué dans la foulée que « 73 % des Canadiens pensent qu’il faudrait disposer de ce type d’assurance ». Une taxe sur les transactions financières (la taxe Tobin) pourrait financer ce type d’assurance, a ajouté par la suite Ken Georgetti.

Frais de gestion trop élevés ?
Et dernière suggestion et non des moindres, les trois conférenciers ont répété que regrouper l’épargne-retraite au sein de fonds de retraite plus importants permettrait de mieux assurer la pérennité des prestations déterminées, tout en affichant des frais de gestion moins élevés.

À ce titre, le président du CTC n’a pas mâché ses mots : « Notre congrès propose de doubler progressivement les prestations du RPC et du RPQ, pour remplacer à terme le secteur des REER qui affiche des rendements inférieurs et qui coûte aux contribuables 15 milliards $ par an, […] alors les frais de gestion du RPC sont de 0,8 %, en comparaison de 3,5 % [dans les fonds communs] ».

Ce secteur des fonds communs de placements privés sera le principal obstacle à ce type de réforme, estime pour sa part, Susan Eng, puisqu’il serait le plus menacé par ces mesures. « Cela sera le groupe de pression [lobby] qui tentera de bloquer cette idée », a-t-elle déclaré après la table ronde. « Ils seront contre nous. »