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Lorsqu’exigé, le billet de médecin peut occasionner des maux de tête aux employés, aux médecins et aux employeurs. ­Devrait-on envisager d’autres procédures en cas d’absence au travail?

Une récente chronique du ­Dr ­Alain ­Vadeboncoeur sur le site de L’actualité pointait du doigt les billets de médecin que les assureurs et les employeurs réclament « de façon abusive », ­dénonçait-il, et qui engendrent une perte de temps pour les médecins. Les experts consultés dans les domaines des ressources humaines, des assurances et de la santé ont des avis sur le sujet qui divergent parfois, mais tous s’entendent pour dire que des améliorations pourraient être apportées pour faciliter les communications entre les intervenants et épargner temps et argent.

D’emblée, force est de constater que les règles concernant l’exigence d’un billet de médecin ne sont pas identiques dans tous les milieux de travail. « ­On demande qu’un billet médical soit fourni après trois jours d’absence au travail », indique­ Réal ­Cassista, directeur, ­Gestion de la santé et sécurité au travail au ­Mouvement ­Desjardins. Le délai de carence ­au-delà duquel un certificat médical est exigé varie d’un employeur à un autre. Dans les ­PME, les règles semblent plus flexibles. « L’employeur demandera rarement un billet de médecin si une personne est absente pendant six jours en raison d’une gastroentérite », constate ­Chanelle ­Cartier, directrice administrative et conseillère en assurance collective chez ­Lafond ­Avantages sociaux et actuariat. Cette dernière se réjouit d’ailleurs du « changement de garde » observé depuis quelques années de la part des ressources humaines. « ­On voit une autre façon de penser, ­dit-elle. La notion de conciliation travail-vie personnelle est plus présente. Avec cette prémisse, on ne demandera pas un billet de médecin dès qu’un employé s’absente quelques jours. »

Certaines situations exigent toutefois de réclamer un certificat médical à l’employé absent. C’est notamment le cas lorsque l’employeur a un doute raisonnable d’abus, « soit parce que l’employé s’absente fréquemment, soit parce qu’il a demandé un congé qui ne lui a pas été accordé et est absent le jour en question pour cause de maladie », explique ­Me ­Daniel ­Leduc, associé en droit de l’emploi et du travail chez ­Norton ­Rose ­Fulbright.

« Dans un moment souvent difficile, l’employé doit courir après des formulaires. Parfois, ils ne sont pas remplis adéquatement et il faut retourner voir le médecin. C’est difficile une fois, alors y retourner une deuxième, c’est l’enfer ! »

– Chanelle ­Cartier, Lafond Avantages sociaux et actuariat

Une contrainte pour l’employé

Lorsqu’il est requis, le certificat médical (ou billet de médecin) doit présenter un diagnostic, un pronostic sur la date à laquelle l’employé sera apte à reprendre le travail ou sur la date à laquelle il sera revu par le médecin, la signature du médecin avec son numéro de praticien et la date. « ­Dans un moment souvent difficile pour l’employé, ­celui-ci doit courir après des certificats ou des formulaires, déplore ­Chanelle ­Cartier. Parfois, ils ne sont pas remplis adéquatement et il faut retourner voir le médecin. C’est difficile de voir un médecin une fois, alors y retourner une deuxième fois, c’est l’enfer ! »

En cas d’absence prolongée, le médecin peut exiger des honoraires pour remplir une déclaration ou un formulaire, et ces frais sont à la charge de l’employé. Chanelle ­Cartier croit que d’autres professionnels de la santé pourraient être mis à contribution pour simplifier les procédures. « ­Les infirmières praticiennes, c’est la clé ! » ­dit-elle.

Une surcharge de travail pour les médecins

Selon plusieurs experts consultés, l’exigence de certificats médicaux augmente les demandes de consultation. « ­On voit constamment des personnes attendre à l’urgence pendant des heures pour obtenir un billet d’un médecin pour une grosse migraine, par exemple, déclare ­Chanelle ­Cartier. Cela engorge le système et ne permet pas à l’employé de se reposer. » ­Plusieurs déplorent que ces consultations médicales inutiles empêchent les médecins de soigner des personnes qui en auraient plus besoin.

Du côté du ­Collège des médecins, on ne partage pas cet avis. Le ­Dr ­Charles ­Bernard, son ­président-directeur général, considère que la consultation médicale d’une personne inapte à travailler depuis plus de deux jours est nécessaire. « À la fin de la consultation, le médecin va souvent rédiger une ordonnance et il va faire le billet en même temps. Cela prend quelques secondes. » ­Pourtant, des compagnies d’assurance n’hésitent pas à renoncer à cette exigence lorsqu’elles jugent que cela peut nuire à la collectivité, comme l’a fait la ­Financière ­Sun ­Life lors de la crise de la grippe ­H1N1 en 2009, et admettent alors que la visite médicale a pour objectif d’obtenir un billet du médecin. « ­Nous avons accepté l’information qui nous était fournie uniquement par le participant lorsqu’il nous décrivait ses symptômes et ses soins, témoigne ­Jeannie ­Tremblay, ­vice-présidente adjointe invalidité groupe. Ainsi, les participants n’ont pas eu à se rendre au cabinet du médecin seulement pour obtenir un billet. »

Simplifier les formulaires

Le ­­Dr ­Charles ­Bernard admet cependant que, en cas d’absence prolongée, « les médecins n’apprécient pas d’être obligés de remplir des formulaires qui sont de plus en plus longs ou laborieux à remplir ». ­En effet, lorsque l’employeur doit verser des prestations d’invalidité, l’assureur exige que l’employé fournisse un formulaire rempli par le médecin contenant des informations plus nombreuses et plus détaillées que le simple « billet de médecin » rédigé sur son carnet d’ordonnances. « ­Ce qui peut être demandé par un assureur est souvent plus volumineux que ce qui peut être demandé par un employeur », admet ­Me ­Daniel ­Leduc. « ­Nous devons connaître la gravité de l’état du participant pour pouvoir établir que ­celui-ci est incapable d’exercer sa profession », précise ­Jeannie ­Tremblay.

« Ce qui peut être demandé par un assureur est souvent plus volumineux que ce qui peut être demandé par un employeur. »

– Me Daniel Leduc, Norton Rose Fulbright

« ­Les médecins aimeraient avoir des formulaires plus concis, ajoute le ­Dr ­Charles ­Bernard. Certaines compagnies d’assurance demandent des dossiers complets et on n’en voit pas toujours l’utilité. Les médecins se posent aussi des questions concernant l’usage qui en est fait. Dans plusieurs cas, ce ne sont pas des professionnels de la santé qui analysent ces formulaires. »

Le ­PDG du ­Collège des médecins croit qu’il faudra envisager d’alléger le processus et souhaite organiser des rencontres entre les médecins et les compagnies d’assurance. Des professionnels du milieu des assurances précisent toutefois que d’importantes améliorations ont déjà été apportées, notamment l’adoption d’un formulaire unique créé par l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP), en collaboration avec l’Association médicale canadienne (AMC), pour les invalidités de courte durée (moins de quatre semaines). « ­Ce formulaire réduit au minimum la quantité d’informations que nous demandons aux médecins, précise ­Jeannie ­Tremblay. Nous leur demandons de fournir davantage de renseignements uniquement lorsqu’ils prévoient que l’absence du patient durera plus longtemps. » ­Réal ­Cassista partage cet avis : « ­Il y a une dizaine d’années, c’était beaucoup plus complexe, car les assureurs avaient chacun leur formulaire, ­indique-t-il. Désormais, l’information demandée est plus courte, plus concise. »

Chanelle ­Cartier croit néanmoins qu’il serait temps que les bureaux des médecins soient informatisés pour que les formulaires soient transmis de façon électronique. « ­Il faut encore faxer des demandes de consultation, c’est ridicule ! s’­exclame-t-elle. On pourrait économiser du temps et de l’argent avec des transmissions électroniques. »

Adopter une politique sur l’absentéisme

Selon ­Statistique ­Canada, la maladie représente de 20 à 25 % des causes d’absence des employés. « ­Les coûts directs liés à l’absentéisme sont de 10 à 20 % de la masse salariale, indique ­Me Daniel ­Leduc. Les employeurs ont donc intérêt à gérer le mieux possible l’absentéisme. »

« Il faut faire preuve de souplesse et d’humanisme. Lorsqu’un certificat médical est requis, il y a toutes sortes de délais qui peuvent être convenus pour toutes sortes de raisons. »

– Réal Cassista, Mouvement Desjardins

Mettre en place une politique sur l’absentéisme est une mesure de base, croit ­Me ­Leduc. « L’expérience démontre que lorsque les employeurs mettent en place ce type de politique et qu’ils l’appliquent rigoureusement, le taux d’absentéisme diminue », ­dit-il. Une telle politique comporte des mesures de sensibilisation et des règles précises, notamment concernant les certificats médicaux (ce qu’ils doivent contenir, quand et à qui les remettre, dans quelles circonstances).

Mais attention de ne pas nuire à la relation de confiance entre l’employé et l’employeur ! ­Réal ­Cassista considère qu’il faut faire preuve de souplesse et d’humanisme. « ­Lorsqu’un certificat médical est requis, il y a toutes sortes de délais qui peuvent être convenus pour toutes sortes de raisons », ­dit-il.

Le certificat médical n’est certainement pas le seul moyen de contrer l’absentéisme au travail. D’ailleurs, le gouvernement de l’Ontario a récemment modifié la ­Loi sur les normes d’emploi et la ­Loi sur les relations de travail et interdit désormais aux employeurs d’exiger un billet d’un médecin pour un employé prenant un congé d’urgence personnelle. « C’est une perte de temps pour l’employé et pour le système », admet ­Chanelle ­Cartier, qui croit que le ­Québec devrait s’inspirer de ce qui se fait dans la province voisine.