mage de femme avec trop de travail

Qu’ont en commun un employé qui rédige un rapport inutile et un employé qui doit constamment interrompre une tâche pour répondre à des courriels ? ­Ils présentent tous deux un risque accru de développer des troubles de santé mentale.

La professeure agrégée en gestion des ressources humaines à l’Université de Sherbrooke France St-Hilaire met en garde les employeurs contre deux réalités qui empoisonnent les milieux de travail modernes : les tâches inutiles ou déraisonnables ainsi que les interruptions incessantes.

Largement répandues dans les environnements professionnels, elles peuvent avoir un effet dévastateur sur la santé mentale des salariés en occasionnant une surcharge cognitive et émotionnelle.

« ­Les tâches inutiles sont des tâches qui ne servent tout simplement à rien, qui n’apportent aucune valeur ajoutée », explique la chercheuse. Dans le cadre de l’événement ­Santé psychologique organisé par nos collègues de ­Les ­Affaires en janvier, ­France ­St-Hilaire a évoqué le calvaire des employés qui doivent continuellement remplir des formulaires qui ne seront jamais lus par qui que ce soit, ou encore le cas d’une réceptionniste à qui l’on demande de classer les magazines d’une salle d’attente en ordre alphabétique à tous les matins.

Les employés considèrent que ces tâches vont à l’encontre de leur raison d’être professionnelle, ce qui génère énormément de frustration, de stress et d’anxiété.

Mais il y a pire que les tâches inutiles : les tâches que ­France ­St-Hilaire qualifie d’« illégitimes ». Elles se manifestent lorsque l’on demande à un employé d’effectuer un travail pour lequel il est largement surqualifié, ou au contraire, largement ­sous-qualifié. De façon générale, il s’agit de tâches qui ne correspondent pas du tout au rôle de l’employé. Un professionnel ne sera probablement pas enchanté de faire le travail d’un réceptionniste, par exemple.

Le multitâche a un coût physique et psychologique important. Plus un employé vit d’interruptions au travail, moins sa satisfaction sera élevée.
– France St-Hilaire, Université de Sherbrooke

Ces tâches ne sont pas vraiment problématiques lorsqu’elles sont effectuées occasionnellement, mais affectent grandement le ­bien-être et la performance des travailleurs quand elles deviennent récurrentes.

Les émotions négatives suscitées par les tâches injustifiées peuvent être exacerbées par ce que ­France ­St-Hilaire appelle le biais d’attribution hostile. Ce biais se manifeste lorsqu’un salarié est persuadé que son gestionnaire le met volontairement dans une situation inconfortable ou frustrante.

Comment les employeurs ­peuvent-ils s’assurer que les tâches confiées à leurs employés sont porteuses de sens et adaptées à leur poste ?

« ­Les tâches inutiles et illégitimes sont souvent associées à de mauvaises pratiques de gestion, explique la chercheuse. Une piste de solution consiste à répertorier l’ensemble des tâches réalisées par les employés, autant celles prescrites par l’entreprise que celles que se sont créées les employés au fil du temps. »

Parfois, la tâche à accomplir a une utilité que l’employé ignore. La communication est alors primordiale.

« ­Les employeurs doivent créer un climat d’ouverture et être attentifs à la façon dont les employés perçoivent les tâches qui leur sont assignées. Leurs suggestions peuvent mener à une amélioration de l’organisation du travail », note ­Mme St-Hilaire.

­Pop-ups, dings, chats

Les travailleurs d’aujourd’hui sont constamment assaillis de courriels, messages et notifications en tout genre. Interrompus à longueur de journée, ils peinent à se concentrer et sont de plus en plus stressés.

« ­Le multitâche a un coût physique et psychologique important, soutient ­France ­St-Hilaire. Plus un employé vit d’interruptions au travail, moins sa satisfaction sera élevée. C’est le sentiment désagréable que vous ressentez à la fin d’une journée de travail lorsque vous n’avez pratiquement pas pu avancer dans vos tâches. »

La productivité est aussi lourdement affectée. Selon des études, chaque cinq minutes qu’un employé prend pour effectuer une tâche intempestive lui fait perdre 20 minutes de productivité. Le phénomène est particulièrement marqué chez les employés qui réalisent des tâches très exigeantes d’un point de vue cognitif.

« ­Lorsque que notre téléphone affiche une notification, on a tendance à aller la consulter, puis on va voir nos textos, puis nos courriels. On interrompt alors notre travail pour répondre à un collègue, et ça dégénère », mentionne la chercheuse.

Pour compenser tout ce temps perdu, les employés développent des stratégies d’adaptation, comme quitter le bureau plus tard ou encore amener du travail à la maison. Ces stratégies peuvent fonctionner à court terme, mais sont néfastes à long terme.

Pour se sortir de l’impasse, ­France ­St-Hilaire recommande d’établir des règles entre collègues concernant les appels téléphoniques, les textos et les courriels afin de réduire les interruptions pendant certaines périodes, ou encore de préciser à la fin des courriels que la réponse n’est pas attendue immédiatement. « ­Il ne faut pas ­sous-estimer la réactivité des employés. Les gens veulent être productifs. Ils ont peur d’être perçus comme improductifs s’ils ne répondent pas immédiatement », note la chercheuse.

Elle suggère finalement aux entreprises de s’ouvrir au télétravail, car ­celui-ci donne l’opportunité aux salariés de s’isoler plus facilement.


• Ce texte a été publié dans l’édition de mars 2020 du magazine d’Avantages.
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