Il y a à peine quelques mois, bien des employeurs ne voulaient rien entendre à propos du télétravail. Depuis le début de la pandémie et l’imposition de ce mode de travail à grande échelle pour des raisons sanitaires, voilà maintenant que certains dirigeants d’entreprise se disent prêts à déserter leurs espaces de bureaux de façon permanente.

Pierre-Luc Trudel, rédacteur en chef, Avantages

De grandes sociétés technos comme ­Shopify et ­Twitter ont notamment annoncé que leurs bureaux demeureraient fermés pendant encore des mois, et que les employés ne seraient plus obligés de s’y présenter, même lors de leur réouverture. En l’espace de quelques mois, le monde de l’emploi est passé d’un extrême à l’autre en matière de télétravail. Et aucun de ces deux extrêmes n’apparaît souhaitable pour la santé des travailleurs et des organisations.

Les effets bénéfiques du télétravail sont bien documentés, et beaucoup d’employés qui n’avaient pas eu la chance de l’expérimenter avant 2020 ont été charmés. Entre les horaires plus flexibles, le sentiment d’autonomie ou encore le temps économisé dans les transports, il a certes des atouts indéniables.

Mais il comporte aussi une part d’ombre, spécialement lorsqu’il est contraint et à temps plein.

Au mois de juillet, un employé de ­Google a publié un sondage sur le réseau social anonyme ­Blind. Près de 10 000 salariés, majoritairement issus du secteur technologique, y ont répondu. La question posée était on ne peut plus simple : « ­Le télétravail ­nuit-il à votre santé psychologique ? » ­Les deux tiers des participants ont répondu par l’affirmative.

Ce coup de sonde n’a rien de scientifique, mais il devrait néanmoins faire réfléchir autant les employeurs qui envisagent de céder leur bail que les travailleurs qui s’imaginent déjà dans une maison loin de la ville avec leur ordinateur portable sous le bras.

Un autre sondage mené ce printemps aux ­États-Unis par la firme ­MindEdge révèle que le télétravail a un impact négatif sur la santé psychologique et émotionnelle de la moitié des travailleurs.

Les difficultés rencontrées par les télétravailleurs ne doivent pas être ignorées par les entreprises : disparition de la frontière entre vie personnelle et professionnelle, manque de contacts sociaux avec les collègues, sentiment d’isolement, impression d’être enfermé à la maison, perte de motivation…

En étant confinés à la maison, beaucoup de travailleurs ont réalisé l’importance du bureau comme lieu de socialisation. Selon une enquête de l’entreprise ­ZenBusiness publiée en avril dernier, 39 % des employés disent se sentir seuls lorsqu’ils travaillent de chez eux.

Plus près de nous, un récent sondage d’ADP ­Canada révélait que, pour 56 % des ­Québécois, le plus gros défi du télétravail est de ne pas se sentir connectés à leurs collègues. En outre, 31 % ont indiqué se sentir plus stressés depuis qu’ils travaillent à distance.

Pour les employeurs, c’est la question de la productivité qui est au cœur des préoccupations. Car si le télétravail à temps plein a fait ses preuves pour le maintien des activités quotidiennes, il est difficile à l’heure actuelle de mesurer ses conséquences sur l’innovation, la collaboration et l’engagement des employés à long terme.

Ce que l’on doit surtout retenir de tous ces sondages menés au cours des derniers mois, c’est que le télétravail polarise les employés. Pour certains, c’est le paradis, alors que pour d’autres, c’est carrément un cauchemar. Si la vie de bureau est un supplice pour les uns, elle est énergisante pour les autres. Le trajet de métro ou de voiture entre la maison et le bureau ? ­Une perte de temps, vous diront certains, un moment agréable qui fait office de zone tampon entre la vie personnelle et professionnelle, vous répondront d’autres.

Un consensus semble toutefois se dessiner : la presque totalité des employés de bureaux veulent avoir la possibilité de faire du télétravail, mais la plupart d’entre eux ne sont pas prêts à le faire cinq jours par semaine. Ce n’est donc pas tant la possibilité de travailler en pyjama qui séduit les employés dans le télétravail, mais plutôt la flexibilité qu’il offre.

Certes, les directives de santé publique continueront de guider l’organisation du travail pendant quelques mois. Les employeurs ne doivent cependant pas prendre des décisions stratégiques à long terme en se basant sur une situation temporaire. Car si obliger les employés à se présenter au bureau cinq jours par semaine n’est certainement plus la voie de l’avenir, la perspective de milieux de travail uniquement virtuels ne semble pas l’être non plus.

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Sur une note plus personnelle, je suis très heureux d’être le nouveau rédacteur en chef d’Avantages. Au cours des six dernières années en tant que journaliste pour le magazine, j’ai eu l’occasion d’interagir avec les gens passionnés qui composent l’industrie québécoise de la retraite et des avantages sociaux. Je compte bien continuer à le faire au cours des prochaines années !


• Ce texte a été publié dans l’édition de septembre 2020 du magazine Avantages.
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