Depuis le 4 janvier, les régimes de retraite québécois ont l’obligation d’être dotés d’une politique de financement. Quel lien peut-on faire avec celle de placement?

Les promoteurs de régime ont eu un an pour mettre sur papier leur politique de financement… mais ils ne partaient pas de zéro. « Dans la plupart des cas, la politique de financement officialise ce qu’ils avaient déjà en tête, souligne Charles Lemieux, conseiller principal chez Willis Towers Watson. C’est une réflexion sur le cadre de gestion du régime et la tolérance au risque. Ce n’est pas comme si on venait de se rendre compte que ces enjeux existent! »

« C’est un outil sur papier qui permet de définir des objectifs existants, mais qui ne sont peut-être pas connus de tous les intervenants, poursuit Yann Lussier, vice-président, Solutions retraite chez Morneau Shepell. Ce document déposé auprès du comité de retraite peut être consulté afin que tout le monde en soit au courant. »

Même si les politiques de financement et de placement peuvent traiter de questions similaires, on ne les intégrera pas dans un seul document. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’on les aborde isolément.

Rappelons d’abord que le responsable de la politique de financement est celui qui a le pouvoir de modifier le régime de retraite, soit l’employeur dans la plupart des cas. « Le promoteur va veiller au meilleur intérêt de l’entreprise, tandis que le comité de retraite, qui établit la politique de placement, a pour mandat d’agir dans le meilleur intérêt des participants au régime », affirme M. Lussier.

C’est par ailleurs un rôle délicat, fait remarquer Claude Lockhead, associé exécutif et chef de l’équipe Retraite au bureau de Montréal de Aon. « Le comité de retraite vise à avoir le meilleur rendement ou des améliorations au régime. Si cela ne va pas bien, c’est le promoteur qui paie, explique-t-il. La politique de financement dit clairement au comité : «  Voici ma tolérance au risque  ». Ensuite, le comité est en mesure d’élaborer sa politique en bonne et due forme. »

Il ajoute que, grâce aux modifications effectuées au cours des dernières années, la capacité de prendre des risques est de plus en plus partagée entre employeur et employés.

Mettre des balises

Les politiques de financement doivent inclure plusieurs éléments. Parmi les plus importants, on y détaillera par exemple les principaux risques auxquels fait face le régime et la variabilité des cotisations que le promoteur estime être capable d’absorber. La politique pourrait également aborder d’autres questions, telle l’équité intergénérationnelle, note Yann Lussier. « Un magasin ne vit pas la même réalité qu’une autre entreprise ou une ville, par exemple, illustre-t-il. Si on n’est pas prêt à assumer un choc, cela aura une incidence sur la politique. Il faut trouver l’équilibre entre la variation acceptable et la gestion du coût du régime, ce qui dépendra de la priorité accordée aux différents objectifs définis dans la politique. »

Charles Lemieux rappelle qu’il s’agit d’un document appelé à évoluer dans le temps. « Le cadre de financement d’un régime, voire le régime au complet, peut certes changer. Imaginons qu’on ferme le régime à prestations déterminées aux nouveaux employés et qu’on instaure un régime à cotisation déterminée. Ou qu’il y a des changements importants dans la taille de la main-d’œuvre. Le promoteur peut réagir et mettre à jour sa politique pour tenir compte d’un horizon raccourci. Par ailleurs, ce sera peut-être plus facile de modifier la politique de financement que le texte du régime. »

Claude Lockhead propose en exemple des régimes municipaux qui auront des volets avec un partage de risque différent. « Quand on se projette dans l’avenir, on arrivera au moment où le volet antérieur contiendra uniquement des retraités, tandis que dans le volet courant on aura un contexte de partage de risque. La tolérance au risque pourrait être différente, ce qui nécessiterait peut-être deux politiques de placement. Présentement, cela n’a qu’une incidence marginale, mais il y aura une prise de conscience dans les années à venir, ce qui entraînera des changements à la politique de financement. »

« Il y aura une certaine répétition et c’est bien ainsi. Après tout, l’ensemble des documents sur le régime porte sur un même sujet. »

Charles Lemieux, Willis Towers Watson

Risque de doublons?

Puisque les comités de retraite ne se réunissent pas à toutes les semaines, il est possible que l’ensemble des membres n’ait pas encore pu prendre connaissance de la politique de financement. On pourrait supposer qu’au moins dans un premier temps, ce document ne contiendra pas trop de surprises, mais il peut y avoir un délai entre sa publication et des modifications éventuelles à la stratégie de placement.

« En pratique, plus vite c’est fait, mieux c’est pour respecter les objectifs de financement, note Yann Lussier. Dans la majorité des situations, ce sera probablement le cas, car la politique de placement n’aura pas été créée en vase clos. Mais c’est important d’échanger à ce sujet. Si certains des objectifs de financement s’avéraient inatteignables, il faudrait le communiquer le plus vite possible. Il faut être cohérent et éviter, par exemple, un objectif qui, même en changeant sa stratégie de placement, est impossible pour le régime. »

Dorénavant, les politiques de placement vont devoir se baser sur celles de financement et on peut imaginer qu’elles contiendront quelques informations identiques. « Il y aura une certaine répétition et c’est bien ainsi, même si on ne consolidera pas deux documents en un, observe Charles Lemieux. Ils seront séparés, mais une bonne gouvernance les mettra en commun. Certains éléments, comme la tolérance au risque, ont certes leur place dans la politique de placement ou les règlements internes du comité de retraite. Après tout, l’ensemble des documents porte sur un même sujet. »

Question de taille?

Claude Lockhead fait remarquer qu’il faut procéder à une révision annuelle des politiques de placement, ce qui n’est pas le cas de celles de financement. « Je ne m’attends pas à une mise à jour régulière, ce qui exigera moins de ressources. »

Il est clair que les régimes plus importants ont plus de ressources à consacrer à la conception de leurs politiques, même si l’objectif de base ne dépend pas de la taille. Ces caisses de retraite ont les moyens de faire des analyses plus poussées en tenant compte de l’ensemble des facteurs de risque. « Sur le plan du financement, cela aidera pour établir des hypothèses. Par exemple, que fait-on avec les bonnes nouvelles? Augmenter les prestations ou se doter d’un coussin additionnel? demande Yann Lussier. Les régimes plus petits ont souvent des politiques de placement moins élaborées, ce qui convient à leurs besoins. On peut s’attendre à ce que ce soit ainsi pour les politiques de financement. »

Dans le cas où un régime de retraite n’a pas encore établi la sienne, il importera de le faire le plus rapidement possible. Et ce, pas seulement pour se conformer à la législation québécoise. Des règlements semblables pointent à l’horizon dans d’autres juridictions, notamment dans la province voisine. « Les cadres de financement en Ontario et au Québec risquent de s’aligner  », souligne Charles Lemieux. Les caisses de retraite québécoises sont donc bien placées pour prendre de l’avance sur leurs collègues canadiens. Et même chez ceux qui ont aujourd’hui choisi la voie simple pour se conformer à la loi, l’adoption de politiques de financement plus raffinées ne semble pas impossible.