Les applications de santé mentale sont de plus en plus nombreuses. Mais en l’absence de preuves concluantes de leur efficacité, les promoteurs de régime devraient faire preuve de prudence.

Il existe plus de 1 400 applications relatives à la santé mentale sur le marché, un nombre constamment en croissance. Constituent-elles pour autant un moyen efficace de favoriser le bien-être des employés?

Réponse : selon Nature Digital Medicine, seulement 2,6 % de ces applications sont pertinentes sur le plan médical pour contribuer à traiter la dépression.

Toutefois, souligne Ryan Weiss, vice-président produits et expérience client, marché collectif à la Great-West, les participants qui bénéficient de divers points d’accès aux services de soins de santé sont mieux en mesure de gérer leur santé et celle de leurs proches.

Si l’industrie de l’assurance collective n’a pas encore mis au point ses propres applications en santé mentale, parce qu’elles sont très coûteuses et qu’il existe déjà plusieurs options, de nombreux assureurs cherchent à améliorer leurs services de santé numériques.

En septembre, Manuvie a lancé son application Vitalité, qui propose des évaluations du bien-être mental et est destinée aux régime d’avantages sociaux collectifs. La Corporation People, de son côté, a inauguré un centre de ressources en ligne comprenant un outil d’évaluation, un service de thérapie virtuelle et la collaboration virtuelle de psychiatres.

« Nous avons vite constaté une lacune dans les services offerts, indique Judith Plotkin, vice-présidente des solutions stratégiques en santé à People Corp. Les programmes d’aide aux employés (PAE) et les outils en ligne peuvent aider, mais pour les personnes ayant besoin d’une thérapie continue, il est difficile d’accéder à un traitement abordable. Il y a de longues listes d’attente et des frais élevés. »

De son côté, EY Canada offre à ses employés un service vidéo sur demande par l’entremise de son PAE, ainsi qu’un outil numérique de thérapie cognitivo-comportementale, spécifie Kimberly Allen, leader, chef de la rémunération globale de l’entreprise. « Ce sont probablement les produits les plus importants offerts aux participants du régime. »

L’offre est abondante, mais avec peu de preuves à l’appui quant à l’efficacité de ces outils, de quoi les employeurs devraient-ils tenir compte lorsqu’ils les incluent dans leur régime d’avantages sociaux?

« Les applications sont utiles pour permettre l’accès à un traitement, mais elles pourraient perpétuer l’idée que la maladie mentale est honteuse et qu’il vaut mieux se faire soigner en cachette. »

Laura Cavanagh, Collège Seneca

Démonter les préjugés

Outre l’efficacité potentielle de ces applications, tant d’options disponibles pour accompagner les personnes ayant des problèmes de santé mentale pourrait contribuer à contrer les tabous. « En normalisant la santé mentale et en facilitant les choses, on lutte contre les préjugés, dit Judith Plotkin. Plus les ressources sont accessibles, plus on parle des problèmes de santé mentale, un enjeu assurément important. »

Bien que la sensibilisation à la santé mentale ait progressé, la stigmatisation est encore répandue, surtout en ce qui concerne la demande d’aide, rappelle Laura Cavanagh, professeure de psychologie au Collège Seneca. « Du moins, c’est mon impression. J’ai beaucoup d’étudiants qui sont prêts à révéler leurs problèmes de santé mentale, mais qui résistent encore au traitement, ce qui est assez surprenant, parce qu’ils sont inscrits à un programme de psychologie. »

Et pour les personnes qui n’ont pas l’habitude de recourir à un traitement en personne, le téléchargement discret d’applications en santé mentale sur un téléphone a une réelle valeur, ajoute-t-elle. « Beaucoup de gens qui cherchent un traitement en ligne le font surtout parce qu’ils ne consulteraient pas un thérapeute en personne. »

Cela a aussi ses bénéfices sur le plan sociétal, avance Laura Cavanagh. « Pouvoir accéder à un service à partir de son téléphone est un avantage énorme et est profitable dans une situation de thérapie à long terme, mais cela aide aussi ceux qui cherchent de l’aide dans une situation de crise. »

De l’aide disponible en temps réel – sur demande, là où se trouvent les personnes, sans autre formalité supplémentaire, ce qui pourrait les freiner – est bénéfique, mais on ne doit pas perdre de vue la stigmatisation qui existe encore, prévient-elle.

« L’aide en ligne est formidable, car elle rejoint des gens qui ne consulteraient pas de thérapeute en personne. Mais côtoyer des personnes qui elles, le font, peut contribuer à encourager les réfractaires. Je crois donc que les applications sont utiles pour permettre à l’accès à un traitement, mais qu’elles pourraient perpétuer l’idée que la maladie mentale est honteuse et qu’il vaut mieux se faire soigner en cachette. »

De réelles économies

Au cours des dernières années, des entreprises comme EY et Starbucks ont renforcé leur couverture en santé mentale. Mais les employeurs limitent le plus souvent son financement, estime Ryan Weiss. Les services numériques sont nécessaires parce qu’ils « permettent de faire encore plus de chemin avec les sommes consacrées à la santé mentale et d’offrir un meilleur accès ».

Lizann Reitmeier, chef de la pratique de santé au Canada chez Buck, admet que les coûts pour des applications en santé mentale constituent un enjeu pour les promoteurs. Cependant, elle se demande s’il s’agit réellement d’une dépense supplémentaire. « Peut-être la thérapie est-elle déjà couverte, mais pas en ligne. Ce qu’on fait avec l’appli, c’est en faciliter l’accès. »

Mais elle note aussi que, lorsque des applications de santé mentale sont disponibles, elles sont incluses dans les régimes d’avantages sociaux, de sorte que les employeurs n’ont pas à assumer de coûts supplémentaires. « Si l’employé peut compter sur une application et qu’il reste en bonne santé parce qu’il l’utilise, alors c’est assurément une victoire pour l’employeur. »

Éthique et vie privée

Comme pour tout site Web ou outil en ligne, les gens devraient se préoccuper de la façon dont leurs données sont stockées et utilisées, prévient Paula Allen, vice-présidente de la recherche et de l’analyse chez Morneau Shepell.

« Il y a un million d’applications [de santé mentale] sur l’App Store. Et je m’interroge vraiment sur certaines d’entre elles, parce que, même en les examinant, on n’est pas sûr qu’elles ont une très bonne base sur le plan médical. Cela soulève des doutes sur la façon dont elles utilisent les données, ou sur la confidentialité des données. »

C’est pourquoi il est primordial de faire appel à un fournisseur de confiance, dit-elle, soulignant qu’il est également important de s’assurer que les services fournis sont appropriés et valides sur le plan médical. « Votre programme d’aide aux employés sera toujours beaucoup mieux qu’une jeune entreprise qui vient de démarrer. »

Tant que les outils seront conformes à la législation canadienne actuelle sur la protection de la vie privée, tant au niveau fédéral que provincial, il ne devrait pas y avoir de problème, affirme Judith Plotkin. « Je pense que si vous êtes négligent avec vos informations numériques, cela peut être un problème. Mais ce sont des professionnels de la santé qui participent à ces applications, pour la plupart… et tant qu’ils mettent en place des pare-feu et toutes les dispositions nécessaires à la protection de la vie privée, tout devrait bien se passer. »

Cependant, une étude britannique publiée en 2015 dans la revue BMC Medicine a révélé que les 35 applications de santé répertoriées comme sûres et dignes de confiance par le National Health Service en 2013 ont effectivement transmis en ligne des renseignements concernant leurs utilisateurs, dont les courriels, noms et dates de naissance, et deux tiers de ces applications n’ont pas crypté les données reçues.

Mais en dehors de la possibilité que les utilisateurs perdent des renseignements dans la nature, Lizann Reitmeier ne s’inquiète pas parce qu’il n’y aurait pas moyen de lier des participants particuliers à leur employeur. Toutefois, elle croit que les utilisateurs devraient être prudents quant aux renseignements personnels qu’ils transmettent. « Je pense que chaque personne a son propre seuil. Chacun a sa propre idée de ce qu’il veut que les gens voient. »

Bien sûr, il existe aussi une responsabilité éthique chez le praticien qui administre un traitement en personne, conclut Laura Cavanagh, mais il demeure plus difficile pour les employés qui utilisent des applications de santé mentale de déterminer dans quelle mesure leur confidentialité en ligne est protégée.

Pourcentage de personnes par catégorie d’âge qui ont utilisé une application de santé mentale

60 % — 25 ans et moins

9 % — de 25 à 35 ans

7 % — de 36 à 45 ans

7 % — de 46 à 55 ans

1 % — 56 ans et plus

Source : Journal of Medical Internet Research


• Ce texte a été publié dans l’édition de novembre 2019 du magazine d’Avantages.
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