Le ­court-termisme des marchés est solidement ancré. Pour échapper à ce diktat sans trop sacrifier le rendement, les caisses de retraite sont condamnées à jongler entre volatilité et risque de liquidité.

Le ­court-termisme est aussi réel aujourd’hui qu’il y a dix ans. À la différence que la faiblesse persistante des taux d’intérêt suscite des attentes désormais plus exacerbées face aux catégories d’actif et qu’elle alimente une recherche de rendement mettant la performance à l’­avant-plan.

S’y greffent des conditions économiques favorisant la prise de risque. « ­Le rendement escompté de base par catégorie d’actif est inférieur à ce qu’il était dans le passé. Cela pousse les gestionnaires de caisse de retraite à élargir leurs horizons pour obtenir des rendements similaires à ce qu’ils étaient habitués d’avoir », résume ­Richard ­Beaulieu, ­vice-président, économiste principal à ­Addenda ­Capital.

« C’est comme si les investisseurs deviennent immunisés contre la peur du risque. »

– Richard Beaulieu, Addenda Capital

Il explique que chaque cycle économique s’étendant dans la durée entraîne une baisse graduelle de la perception du risque. « C’est comme si les investisseurs deviennent immunisés contre la peur du risque. Il en résulte une prise de risque accrue, dans de plus en plus de catégories d’actif. Et cela engendre une évaluation du marché déséquilibrée. »

­Cette plus grande prise de risque emprunte deux grands axes. La gestion devient active, plus dynamique. Et à l’intérieur d’une catégorie d’actif, le gestionnaire va s’étendre hors de la zone de confort des émetteurs de première qualité. Dans le segment à revenu fixe par exemple, il va glisser vers les titres émis par les gouvernements provinciaux, les villes, les grandes sociétés et les obligations à haut rendement, ajoutant un risque de crédit à son portefeuille.

Richard ­Beaulieu ajoute à l’équation expliquant la prédominance du court terme que « la volatilité macroéconomique a diminué. L’inflation est plus basse, plus stable, et l’intervention des banques centrales a injecté beaucoup de liquidité dans le système, qu’il faut bien utiliser ». Mais à l’échelle micro, sur les marchés, « le moindre recul devient une occasion d’acheter ». Sans compter le jeu des fonds dits alternatifs, des investisseurs activistes, du day trading et des transactions à haute fréquence qui, en exploitant le momentum, vient accentuer les mouvements.

Et ce diktat du court terme va se nourrir de l’influence qu’il exerce sur la rémunération des dirigeants d’entreprise en les incitant à exercer une répartition du capital visant la performance immédiate.

Risque de longévité

Cette réalité « peut desservir les grandes caisses de retraite, ceux qui font face à des engagements répartis dans le temps, qui ont une mission de produire des rendements à long terme en appui à leur passif à long terme », souligne ­Christian ­Robert, ­vice-président ­Solutions d’investissement et investissement guidé par le passif, également du cabinet ­Addenda.

Sylvain ­Gareau est du nombre. Le ­vice-président, responsable du régime de rentes des employés du ­Mouvement ­Desjardins, précise que le ­court-termisme se vit différemment selon que le régime est à cotisation déterminée (CD) ou à prestations déterminées (PD). Le régime de l’institution québécoise, avec ses 12 milliards d’actif sous gestion lui conférant le 7e rang dans la liste des caisses privées au ­Canada, fait partie du deuxième groupe. « ­Nous devons gérer un risque de longévité. Notre horizon est donc de long terme. »

Le spécialiste ajoute qu’avant la crise de 2008, il était pratique généralisée de viser le premier quartile. « ­Aujourd’hui, ce court terme est de moins en moins un enjeu pour des régimes comme le nôtre. Nous sommes évalués sur des rendements de cinq ans. Cela nous amène à nous engager davantage dans les catégories d’actif tels les infrastructures et l’immobilier. On peut s’y investir pour 15 à 20 ans et on y obtient du 6 à 9 % par année à long terme. Ce sont deux catégories sensibles aux taux d’intérêt, mais le rendement courant est fixe et connu. »

Sylvain ­Gareau reconnaît cependant que ces éléments d’actif ajoutent un risque de liquidité au portefeuille. « ­Il ne faudrait pas se retrouver dans une crise comme celle de 2008 ! » ­lance-t-il. Un risque qu’un régime affichant un excédent de cotisations sur les rentes à payer peut absorber, ­ajoute-t-il. Ce qui n’est pas le cas pour tous, renchérit ­Christian ­Robert. « ­De plus en plus de régimes ­PD ont atteint une certaine maturité les forçant à rechercher davantage de rendement et à réduire le risque associé à leur passif. »