Les caisses de retraite confient généralement une grande partie de leur actif à des gestionnaires de fonds, mais elles demeurent toujours responsables de l’état de santé du régime. Il est donc crucial de bien surveiller ces gestionnaires.

Des législations provinciales et fédérales encadrent les procédures de sélection et de surveillance des gestionnaires de fonds par les administrateurs d’un régime de retraite. Au Québec, la ­Loi sur les régimes complémentaires de retraite (loi ­RCR) oblige les comités de retraite à adopter un règlement intérieur qui définit leurs pratiques de gouvernance.

« ­Ce règlement intérieur doit notamment spécifier les règles à suivre pour choisir, rémunérer, surveiller et évaluer les délégataires, les représentants et les prestataires de services, précise ­Patrick Provost, actuaire à ­Retraite ­Québec. C’est donc au comité de retraite et aux parties prenantes du régime qu’il revient de se doter de bonnes pratiques dans ce domaine. »

Pour les régimes de retraite sous réglementation fédérale, la législation prévoit que l’administrateur du régime doit établir un Énoncé des politiques et des procédures de placement (EPPP), qui précise entre autres par écrit la sélection, la rémunération et le remplacement des gestionnaires de placement, afin d’encourager le respect des buts et procédures de la politique de placement.

Le recours à des gestionnaires de fonds ne change pas le fait que l’administrateur demeure l’ultime responsable de la gestion des placements et doit en assurer une supervision adéquate. « ­Le ­Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) s’attend à ce qu’il y ait des preuves d’un suivi continu des gestionnaires de placement, ce qui peut être démontré par des communications régulières entre les administrateurs du régime et les gestionnaires de placement, indique ­Carole Saindon, conseillère principale des relations avec les médias au ­BSIF. Il doit également y avoir des preuves de l’évaluation des gestionnaires de placement. »

Le ­BSIF exige que l’évaluation repose sur un ensemble de facteurs quantitatifs et qualitatifs. « L’administrateur du régime doit déterminer si le gestionnaire de placement est toujours la personne appropriée pour atteindre les objectifs de placement définis dans l’EPPP », ajoute ­Carole Saindon.

L’Association canadienne des organismes de contrôle des régimes de retraite (ACOR), dont ­Retraite Québec et le ­BSIF sont membres, publie régulièrement des lignes directrices qui fournissent des pratiques exemplaires sur de nombreux sujets, dont plusieurs s’appliquent à la gestion des placements.

Des discussions approfondies

La fréquence des échanges entre les responsables des caisses de retraite et leurs gestionnaires de fonds peut varier, mais doit rester assez régulière. Dans la plupart des cas, des discussions plus ou moins officielles ont lieu chaque trimestre, avec une rencontre plus intensive entre le comité de placement et les gestionnaires de fonds tous les 12 à 18 mois. Depuis la pandémie, les réunions s’effectuent de plus en plus par vidéoconférence, en particulier avec les gestionnaires de fonds
de l’extérieur du ­Canada.

Les éléments qui peuvent être abordés dans ces discussions sont nombreux. Il y a les rendements, bien sûr, mais aussi l’état actuel du marché et la vision que les gestionnaires ont des tendances futures, qui peuvent être favorables ou défavorables au mandat que les régimes de retraite leur ont confié, ainsi que l’identification des risques et l’attribution de performance (ce qui explique ce qui a bien ou mal été).

Avec le retour de la volatilité sur les marchés et les rendements poussifs du marché des actions, ces discussions risquent actuellement d’être plus animées qu’il y a quelques années. « ­La surveillance des rendements doit demeurer basée sur des critères objectifs, qui tiennent compte des réalités du marché, souligne ­Marie-Josée ­Vandal, conseillère principale au bureau de ­Montréal de PBI ­Conseillers en actuariat. On ne devrait pas se montrer émotifs et pénaliser trop vite un gestionnaire après une baisse de résultat à court terme. »

«Nous gardons toujours l’œil sur le fonctionnement interne de la firme de gestion d’actif. Nous voulons savoir s’il y a des changements dans sa gouvernance et dans sa haute direction, si des tensions se font sentir au sein de ses équipes ou encore si elle modifie sa stratégie de placement. »

 – Andrée Mayrand, Régime de retraite des employés de l’Université de Montréal

Elle ajoute que d’autres points devraient être discutés, par exemple les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). On peut utiliser certains outils, comme les scores de firmes telles MSCI, ­Sustainalytics ou Bloomberg, mais dans certains cas, par exemple l’intensité carbone, ­Marie Josée Vandal suggère de faire affaire avec un vérificateur externe plutôt que de se contenter des données fournies par le gestionnaire de fonds.

Andrée ­Mayrand, directrice de la gestion des placements du ­Régime de retraite des employés de l’Université de ­Montréal (RRUM), nomme un autre élément qu’elle juge essentiel de surveiller. « Nous gardons toujours l’œil sur le fonctionnement interne de la firme de gestion d’actif. Nous voulons savoir s’il y a des changements dans sa gouvernance et dans sa haute direction, si des tensions se font sentir au sein de ses équipes ou encore si elle modifie sa stratégie de placement. »

Pour elle, un fort taux de roulement parmi les employés clés d’une firme peut représenter un signal d’alarme et remettre en question la relation avec les gestionnaires. Elle admet que l’information sur le fonctionnement interne des firmes et le climat qui y règne est plus difficile à trouver que des données chiffrées comme celles sur les performances de la firme et du marché.

Andrée ­Mayrand confie qu’au moins une firme a perdu un mandat de gestion du ­RRUM pour cette raison. « ­Nous sentions des tensions au sein de la firme, puis un haut responsable a quitté son poste, ce qui nous a amenés à nous questionner et finalement à rompre nos liens avec cette entreprise », ­relate-t-elle.

«Si [un gestionnaire] a un style axé sur les actions de valeur et qu’il troque cette approche pour favoriser des titres de croissance parce que c’est la saveur du mois, cela doit vous alerter. »

 – Marie-Josée Vandal, PBI Conseillers en actuariat

Garder l’œil sur les gestionnaires de fonds image 1

Diversifier avec modération

Le ­RRUM avait, au 31 décembre 2022, 4,6 milliards de dollars en actifs sous gestion, répartis parmi une cinquantaine de mandats donnés à une vingtaine de gestionnaires, dont certains situés à l’extérieur du Canada. À l’Université ­Concordia, le régime de retraite du personnel détient environ 1,5 milliard de dollars, partagés entre une trentaine de gestionnaires, partout dans le monde.

« ­La diversification représente un atout, car elle réduit les risques reliés à une trop grande concentration des actifs au sein d’un petit nombre de gestionnaires », soutient ­Michel Magnan, titulaire de la ­Chaire de gouvernance d’entreprises Stephen A. Jarislowsky et membre du comité de retraite et de placement du ­Régime de retraite du personnel de l’Université ­Concordia.

Cependant, recourir à un aussi vaste nombre de gestionnaires ne ­représente-t-il pas une menace sur le plan de leur surveillance ? « ­Il peut y avoir un danger si un régime n’a pas le personnel suffisant ou le soutien externe nécessaire pour surveiller adéquatement tous les gestionnaires, admet Michel ­Magnan. On doit avoir un comité de placement qui accepte de se réunir souvent et ne pas dépasser la limite de ce que l’on a les moyens de gérer. »

La question se pose avec encore plus d’acuité pour certains actifs plus difficiles à évaluer, comme la dette privée ou l’immobilier. Or, les erreurs dans ces types d’actifs peuvent être ardues à rattraper. Puisqu’ils sont moins liquides, on ne peut pas en sortir aussi aisément.

« ­On a intérêt à obtenir l’évaluation d’une tierce partie au moins deux fois par année dans le cas d’actifs plus opaques, comme la dette privée, croit Marie-Josée Vandal. On ne devrait pas simplement se fier à celle des gestionnaires. »

Alerte rouge

Les membres des comités de retraite et les administrateurs de régimes doivent toujours rester à l’affût des signaux d’alarme provenant des gestionnaires de fonds. Bien sûr, un large écart entre les rendements promis et la performance réelle des fonds en est un. On doit alors essayer de comprendre si ce résultat est dû à des aléas du marché ou au travail des gestionnaires.

RÉPARTITION DES ACTIFS CANADIENS DE CAISSES DE RETRAITE PAR CATÉGORIES D’ACTIFS

GESTIONNAIRES D’ACTIFS AU CANADAActifs canadiens sous gestion

Plus forte croissance % plus de $10 G

Plus forte croissance % de à $10 G

Plus forte croissance % de à $10 G

Plus forte croissance % moins de $10 G

Gestionnaires d’actifs ­de ­régimes ­pd

Gestionnaires d’actifs ­de ­régimes d’accumulation ­de ­capital

Actifs canadiens totaux sous gestion

Gestionnaires de fonds de dotation et de fondationsGestion de placements TD a changé de nom pour Solutions de placement mondiales TD en avril 2023

« ­Le plus gros signal d’alarme, c’est le ­non-respect de la politique de placement et des cibles sur lesquelles le régime et les gestionnaires de fonds s’étaient entendus, avance ­Patrick ­Provost. Toute allégation de fraude ou des poursuites judiciaires intentées contre la firme sont en outre à surveiller, tout comme le manque de transparence dans les informations transmises par les gestionnaires. »

Pour ­Michel ­Magnan, la continuité constitue un élément important. « ­Si des employés clés ou de hauts dirigeants quittent la firme, on doit essayer de savoir si cela cache des problèmes plus profonds, affirme-t-il. On doit aussi poser des questions lorsque le gestionnaire modifie grandement sa stratégie de placement. »

Marie-Josée ­Vandal conseille de rester attentif à la stratégie du gestionnaire. « S’il a un style axé sur les actions de valeur et qu’il troque cette approche pour favoriser des titres de croissance parce que c’est la saveur du mois, cela doit vous alerter. » C’est d’autant plus important que les mandats délégués aux gestionnaires relèvent de décisions de placement réfléchies des régimes de retraite. S’ils souhaitent diversifier leur portefeuille en confiant des placements à un gestionnaire qui mise sur des actions de valeur et que ­celui-ci change d’idée en cours de route, cela met en péril la diversification des placements du régime.

De son côté, ­Michel ­Magnan prévient contre le danger de tomber en amour avec un gestionnaire. Il souligne surtout la nécessité d’avoir une bonne dynamique de gouvernance à l’intérieur de la caisse de retraite.

« ­Cela permet de s’intéresser aux vraies questions, comme la surveillance des gestionnaires de fonds, plutôt que de perdre du temps dans des tensions politiques internes, ­soutient-il. Le rôle du comité de placement, c’est de s’assurer que la caisse génère un rendement suffisant pour fournir des rentes de retraite à ses membres, tout en gérant les risques adéquatement. »

«Toute allégation de fraude ou des poursuites judiciaires intentées contre la firme sont à surveiller, tout comme le manque de transparence dans les informations transmises par les gestionnaires. »

 – Patrick Provost, Retraite Québec

Actifs canadiens sous gestion par catégories d’investisseurs


• Ce texte a été publié dans l’édition de novembre 2023 du magazine Avantages.
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