Les bénéfices nombreux, les risques aussi

Dans l’industrie de la gestion d’actifs, où l’analyse d’une quantité colossale de données est essentielle à la prise de décisions, les avancées en intelligence artificielle (IA) font miroiter des gains de performance majeurs. Mais l’intégration de l’IA dans les processus d’investissement comporte aussi son lot de risques tout aussi difficiles à cerner qu’à maîtriser.

« ­Le progrès de l’IA est l’occasion pour les gestionnaires de fonds de revoir leurs processus et de tirer parti de nouveaux outils pour générer de la valeur ajoutée, estime ­Valérie Cecchini, ­co-fondatrice et associée gestionnaire à ­Gestion d’actifs mondiale ­Borealis. Il faut expérimenter pour déterminer quels sont les domaines où l’IA a le plus d’impact », ­a-t-elle expliqué lors du ­Forum innovation en finance de ­CFA ­Montréal.

Pour la gestionnaire de portefeuille, l’intérêt de l’IA en investissement se décline en deux volets : la gestion opérationnelle et la sélection de titres.

En matière de gestion opérationnelle, les outils basés sur l’IA peuvent permettre de faciliter le travail quotidien des équipes d’investissement, notamment dans le domaine de la prévention des fraudes, du suivi réglementaire et de la communication interne. « ­On sait que les gestionnaires qui performent le mieux sont ceux où il y a beaucoup de partage d’informations au sein des équipes, affirme ­Mme Cecchini. Or, l’IA peut nous aider à faire circuler l’information plus efficacement à l’interne. »

Les capacités d’analyse considérables des modèles d’IA permettent en outre aux gestionnaires de gagner du temps.

«Plus les modèles implantés sont complexes, plus il est difficile de repérer les erreurs. Un des grands risques de l’utilisation de l’IA est d’être bon 99 % du temps, mais incroyablement mauvais 1 % du temps. »

 – Olivier Gandouet, Gestion de placements TD

« ­Lorsqu’on est en mesure d’obtenir un résumé d’une minute vingt secondes d’une conférence téléphonique, ça libère notre agenda et nous permet d’aller faire des visites sur le terrain », donne en exemple ­Valérie Cecchini.

Mais c’est surtout dans le domaine de l’aide à la sélection de titres que l’IA séduit particulièrement les professionnels du placement. Les grands modèles de langages (LLM), un type de programme d’IA, ont notamment la capacité de générer des informations qui ne sont pas disponibles facilement via les sources usuelles.

Concrètement, l’IA peut par exemple aider les gestionnaires à identifier des modèles d’affaires à risque ou des secteurs de marché susceptibles de carrément disparaître dans l’avenir.

Dérapages et hallucinations

Les bénéfices de l’intégration de l’IA aux activités d’investissement sont indéniables, mais les inquiétudes liées aux risques de dérapage sont tout à fait légitimes. Car si un modèle d’IA commet une erreur, ­celle-ci peut très rapidement se multiplier.

Olivier ­Gandouet, ­vice-président, actions quantitatives à ­Gestion de placements ­TD, raconte une expérience vécue par son équipe, qui a utilisé un modèle d’IA pour procéder à une analyse comparative de deux séries d’images satellites. « ­Sur l’une des deux séries, il y avait quelques pixels parasites sur le côté droit des images. L’IA s’est jetée ­là-dessus pour faire de la différenciation, même si ces pixels n’avaient absolument aucun intérêt. Ce genre de phénomène peut proliférer à une vitesse folle si on le laisse aller. Un modèle peut dérailler à des milliers d’endroits. »

Des indices créés par l’IA

Depuis des années, les géants de ­Wall ­Street dépensent des milliards pour automatiser grâce à l’IA des fonctions telles que la négociation de titres, la gestion des risques, la détection des fraudes et la recherche en matière d’investissement. Au cœur de ce mouvement, J.P. Morgan a lancé au mois de mai un outil d’IA générative capable de construire des indices dans le domaine de l’investissement thématique.

IndexGPT, basé sur la dernière version du logiciel d’apprentissage profond de la société ­OpenAI, génère une liste de ­mots-clés associés à un thème d’investissement émergent comme les robots, la cybersécurité ou le cannabis. Ces ­mots-clés sont ensuite introduits dans un modèle de traitement du langage naturel qui analyse les articles de presse afin de repérer les entreprises impliquées dans ce domaine.

L’institution financière affirme que cet outil permet de détecter un plus large éventail d’actions émises par des sociétés moins connues des investisseurs et d’ainsi constituer des indices plus fidèles au thème recherché. Comme la période de détention des placements thématiques est souvent assez courte, J.P. Morgan juge que l’IA permettra de mieux déterminer les thèmes émergents et les entreprises qui y sont associées de façon à profiter de la dynamique des marchés au bon moment.

Il arrive également que les modèles d’IA soient victimes « d’hallucination », c’­est-à-dire qu’ils inventent des informations ou établissent des relations fallacieuses entre certaines données. « ­On a déjà découvert que les textes sur lesquels l’IA s’était basée pour donner une opinion étaient en réalité complètement vides ! ­Pourtant, la réponse de l’IA était très cohérente en apparence. »

Valérie Cecchini fait pour sa part état de modèles d’IA qui citent des rapports d’analyse qui n’ont jamais été écrits, de listes de clients fictifs ou alors de cas de litige inventés de toutes pièces. « L’IA fait des rapprochements entre différentes données, mais cela ne veut pas dire que des liens réels existent. »

Comme les modèles d’IA doivent faire l’objet d’une surveillance constante pour ne pas s’emballer, le risque est autant humain que technologique, soutient ­Olivier ­Gandouet. « ­Plus les modèles implantés sont complexes, plus il est difficile de repérer les erreurs. Un des grands risques de l’utilisation de l’IA est d’être bon 99 % du temps, mais incroyablement mauvais 1 % du temps. »

Les difficultés peuvent aussi venir de la gestion des données utilisées par l’IA, et de la propriété intellectuelle qui les accompagne, souligne ­Valérie ­Cecchini. « ­Qu’­est-ce qui est créé par l’IA, et qu’­est-ce qui ne l’est pas ? ­Qu’­est-ce qui m’appartient et qu’­est-ce qui appartient aux sources des données ? ­Il peut également être complexe de détecter si une information est publique ou privée. Or, lorsque l’on travaille sur les marchés financiers, cela peut avoir une incidence importante en matière de conformité », note ­Valérie ­Cecchini.

Ces exemples de dérapages potentiels démontrent l’importance d’encadrer avec grand sérieux l’implantation de solutions d’IA dans les sociétés de gestion d’actifs. D’autant plus que les modèles d’IA progresseront à grande vitesse dans les prochaines années. « ­Nous n’en sommes encore qu’aux balbutiements de l’IA en finance », affirme ­Olivier ­Gandouet, qui admet qu’à l’heure actuelle, l’IA ne surclasse pas systématiquement les méthodes classiques d’analyse dans le monde de l’investissement.

« ­Intégrer des outils d’IA à nos activités de gestion d’actifs comporte certainement des risques, mais ne rien faire comporte aussi des risques », résume ­Valérie Cecchini.

54 %
des gestionnaires d’actifs à l’échelle mondiale utilisent l’IA dans le cadre de leur stratégie d’investissement ou de leur recherche sur les catégories d’actifs.

52 %
des gestionnaires estiment que l’IA pourrait avoir une incidence notable sur la génération d’alpha en améliorant le suivi des investissements existants ou potentiels.

Source : Mercer

60 %
des investisseurs canadiens déclarent qu’il est peu ou pas du tout probable qu’ils s’appuient exclusivement sur des outils de recherche fondés sur l’IA pour prendre des décisions de placement à l’avenir.

Source : Association pour l’investissement responsable


• Ce texte a été publié dans l’édition de juin 2024 du magazine Avantages.
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