Les caisses de retraite se montrent plus conscientes de la gestion de risque en cette fin de cycle. Elles ne sont pour autant pas immunisées contre les effets du prochain choc, qui viendra tester les limites d’une plus grande présence dans l’univers des placements moins liquides.

Selon les résultats d’un sondage de la firme de services financiers Wilshire Associates publiés en mai, 29 % des investisseurs institutionnels américains se disent beaucoup mieux préparés qu’en 2007 pour affronter un marché fondamentalement baissier. Un cran en dessous, 58 % des répondants affirment être mieux préparés et les 13 % restants, aussi bien qu’ils l’étaient il y a 12 ans. Du déni que cela?

« Bien que de nombreux investisseurs [institutionnels] se sentent mieux positionnés pour faire face à une éventuelle récession ou même à une crise financière potentielle, nous recommandons aux fiduciaires d’examiner de près leur répartition d’actif », répond Jean-Sébastien Garant, directeur, Ventes et relations avec la clientèle pour le cabinet MFS.

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Rappelant qu’ils ont évolué dans un environnement « privé de rendement » pendant une longue période, « à l’échelle mondiale, les investisseurs ont convergé vers des titres à revenu fixe de qualité inférieure et à rendement plus élevé. Plusieurs ont même échangé leur exposition aux titres à revenu fixe contre des actions versant des dividendes ».

Sans oublier que la quête de l’alpha a poussé de nombreuses institutions à accroître leur pondération en placements spéculatifs tels que l’immobilier, le placement privé et les infrastructures de manière importante depuis la dernière récession.

Louis Langlois, directeur des placements, du contrôle et de la comptabilité au Régime de retraite de l’Université du Québec (RRUQ), en donne l’illustration. « Avec une obligation du gouvernement fédéral offrant 1,4 % sur une échéance de dix ans, cela nous amène à regarder du côté des placements non traditionnels, des placements privés, des dettes privées, des infrastructures et de l’immobilier. Ces éléments peuvent totaliser quelque 35 % de notre portefeuille aujourd’hui, avec un peu plus de 40 % pour cible ultime, une proportion plus grande se faisant au détriment du marché boursier canadien, qui se veut plus concentré et exposé au secteur énergétique. Ces placements sont moins liquides mais nous disposons de l’avantage du temps. Et ils rapportent un revenu courant. »

« Notre régime étant à prestations déterminées, cela nous donne ce que j’appelle le luxe du temps », prend soin d’ajouter celui qui compte 35 ans dans le marché.

« Bien qu’une certaine exposition aux placements non traditionnels puisse offrir une diversification supplémentaire, cette catégorie d’actif n’a pas encore été mise à l’épreuve en période de tension sur les marchés ou de ralentissement économique majeur. »

Jean-Sébastien Garant, MFS

Épreuve des tensions

Jean-Sébastien Garant cite les données de l’Association canadienne des gestionnaires de caisses de retraite indiquant que ses membres avaient signalé une exposition totale de 15,2 % à l’immobilier, aux placements privés et aux infrastructures en 2007. Ce poids avait plus que doublé en 2018 pour atteindre 33,4 %. « Bien qu’une certaine exposition aux placements non traditionnels puisse offrir une diversification supplémentaire, cette catégorie d’actif n’a pas encore été mise à l’épreuve en période de tension sur les marchés ou de ralentissement économique majeur. »

Yanick Desnoyers acquiesce. « Les caisses de retraite ont pris un virage vers des actifs non liquides. Or le modèle d’évaluation de ces actifs, qui ne sont pas soumis aux transactions publiques et au jugement quotidien, n’est pas standardisé et les hypothèses actuarielles sous-jacentes ont peu d’historique », souligne le vice-président et économiste principal à Addenda Capital.

Ce que retient également Christian Robert. Les caisses de retraite ont récupéré de la crise, ont rattrapé le terrain perdu. Le taux de capitalisation s’est amélioré, conclut le vice-président, Solutions d’investissement et Investissement guidé par le passif également à Addenda Capital. Des efforts ont été faits du côté d’une diversification axée sur la gestion des risques et la recherche de rendement. Mais « les actifs physiques ont pris plus de place et on ne sait pas comment ils vont réagir devant un choc. Ou comment cette recherche d’un rendement plus élevé avec peu de volatilité va réagir si un besoin de liquidité se manifeste », ajoute-t-il.

Bref, les caisses de retraite affichent une meilleure santé financière qu’en 2007 mais seraient globalement plus exposées au risque. Ce qui n’empêche pas les gestionnaires d’être proactifs et d’ajuster le tir en cette fin de cycle. « On les voit aller davantage vers les rentes. D’autres ont pris le chemin des stratégies de rendement absolu et des fonds de couverture », observe Yusuke Khan, conseiller principal chez Mercer.

Les gestionnaires atténuent les risques, veulent immuniser le passif. « Ils achètent des rentes, même avec des taux d’intérêt aussi bas », renchérit Christian Robert. Et si les taux venaient à reprendre une marche ascendante, il s’ensuivrait une amélioration de la situation des régimes. Également, « l’achat des rentes deviendrait alors plus intéressant », soutient son collègue Benoît Durocher, vice-président directeur et chef stratège économique.

Le RRUQ a considéré les rentes, mais elles sont « trop coûteuses. Peut-être conviennent-elles davantage aux régimes d’entreprise ». Le régime recherche plutôt des gestionnaires dont la stratégie consiste à protéger le capital dans un marché baissier, « même si le prix à payer est un peu moins de rendement dans un marché haussier », précise Louis Langlois.

Le dirigeant ajoute que des provisions ont été constituées dans le but d’atténuer la volatilité du taux de cotisation. « Aussi, nous avons soumis nos politiques de financement et de placement à des tests de tension, réalisé des études stochastiques et élaboré des scénarios catastrophes. Il en ressort qu’il est peu probable que le régime soit incapable d’encaisser un choc comme celui de 2008. Si une telle crise perdurait, ce serait plus problématique. Mais l’on parlerait, alors, d’un scénario extrême prévoyant une crise s’étendant sur plusieurs années. »

« La gestion active demeure asymétrique. Les gestionnaires sont prêts à laisser sur la table une partie du rendement pour perdre moins en période de repli. Mais des questions restent à poser. »

Yusuke Khan, Mercer

Géopolitique et taux d’intérêt

Mais les grands enjeux demeurent. Benoît Durocher parle de la nervosité des marchés, évoque le contexte géopolitique. Il ajoute : « le marché obligataire n’offre pas de rendement exceptionnel, avec la faiblesse des taux et une durée autour de 8 ans. L’indice de rendement des obligations canadiennes, tous émetteurs confondus, se situe légèrement sous les 2 %. Avec une durée de 8 ans, ça prend une hausse de 25 points de base des taux pour effacer un rendement de 2 %. » Yanick Desnoyers de compléter : « Le rendement espéré d’un portefeuille diversifié n’est pas très bon. Le rendement tendanciel est plus faible. »

Yusuke Khan retient pour sa part que tout n’est pas que négatif, avec un taux de chômage demeurant faible et des dépenses des ménages restant vigoureuses. Mais les données financières indiquent un ralentissement de l’activité économique et de la croissance des profits des entreprises. S’ajoutent les enjeux géopolitiques, dont l’impact se fait sentir sur l’économie réelle. « Cela amène de la volatilité et accentue cette concentration des gestionnaires sur la gestion des risques et la protection des rendements. »

Louis Langlois pointe, pour sa part, en direction de la faiblesse des taux d’intérêt, plutôt problématique pour les caisses de retraite. « Elle apporte le défi d’aller chercher du rendement additionnel, d’aller vers des produits moins liquides. Et comme toutes les caisses font grosso modo la même chose, ces produits deviennent plus chers. »

Dans les catégories d’actif à privilégier, il faut également prendre acte des taux négatifs, qui concernaient en août 15 000 milliards de dollars américains ou 27 % du marché obligataire mondial, selon Bloomberg. « La gestion active demeure asymétrique. Les gestionnaires sont prêts à laisser sur la table une partie du rendement pour perdre moins en période de repli. Mais des questions restent à poser. Dans le passé, les obligations étaient une forme d’assurance qui produisait également un rendement courant. Est-ce toujours le cas aujourd’hui? » se demande le conseiller de Mercer.

Les régimes de retraite n’ont donc pas le choix de conserver une exposition appréciable au marché des actions, croit Jean-Sébastien Garant. « Par conséquent, nous suggérons de mettre l’accent sur les stratégies à faible volatilité qui réduisent le risque tout en maintenant une exposition au marché », en gardant en tête que plus le cycle économique mondial progresse, plus il faut s’attendre à une hausse importante de la volatilité.

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Pas de récession en VUE

Une récession en 2020? « Ce n’est pas notre lecture. Du moins pas à court terme », répond Benoît Durocher. Peut-être sur un horizon de 18 mois, mais les conditions d’une récession ne sont pas réunies pour l’instant. « La conjoncture économique diffère de ce que le marché boursier anticipe, des anticipations influencées par l’inversion de la courbe de rendement et par une guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine aux effets grossis. » « Surtout que cette inversion est le résultat d’un choc extérieur, venant d’Europe, du Japon. Les taux négatifs sont venus contaminer la structure de taux aux États-Unis », précise son collègue Yanick Desnoyers.

Or à l’aube d’une récession on observe des pressions sur le ratio des obligations financières, sur le service de la dette des consommateurs, venant d’un resserrement de la politique monétaire de la Réserve fédérale. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. La Fed n’a pas ajusté son taux directeur à un niveau de récession, le taux dit d’équilibre étant plus éloigné. » Les consommateurs américains sont aussi moins endettés. « Ils consomment leurs gains salariaux. On parle, ici, de gains salariaux réels, appuyés sur des gains de productivité, supérieurs aux cibles d’inflation. Cela devient inflationniste à long terme, ce qui est indicateur d’un resserrement monétaire. « Le marché prend l’inflation pour morte. Il pourrait se faire surprendre », retient Yanick Desnoyers. « Il faudra réhabiliter la courbe de Phillips », ajoute Benoît Durocher.

Au RRUQ, le scénario ne prévoit également pas une récession en 2020. « C’est une année électorale aux États-Unis, les taux d’intérêt sont bas et sont appelés à le rester et il n’y a pas d’inflation dans le système. » Cela n’empêchera pas des mouvements, des corrections dans le marché. Car celui des actions, pour ne nommer que lui, commence à être prohibitif, analyse Louis Langlois. « Et il y a ces facteurs géopolitiques! »


• Ce texte a été publié dans l’édition de novembre 2019 du magazine d’Avantages.
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