Contestée en Cour supérieure, la loi 15 sur la réforme des régimes de retraite municipaux n’en poursuit pas moins son long processus d’implantation. Quatre ans après son adoption, la négociation fait désormais place à la restructuration.

Selon les données fournies par l’Union des municipalités du ­Québec, au 1er septembre, il y avait 134 cas réglés sur 154 régimes. Parmi ces dossiers, on dénombre 116 avis d’entente, dix cas où il y a eu entente et où un avis est attendu, et huit sentences arbitrales rendues. Les 20 autres cas sont en arbitrage et devraient être réglés sous peu.

Ainsi, quatre ans après l’adoption de la ­Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal, en décembre 2014, l’heure n’est plus à la négociation. « C’est un long processus, qui a subi les effets d’un manque d’arbitres », prend soin de préciser ­Stéphane ­Gamache, directeur des régimes complémentaires de retraite à ­Retraite ­Québec.

Le prochain échéancier est fixé à décembre 2019. Ce ­rendez-vous prévoit le dépôt d’un rapport sur la mise en œuvre de la réforme. L’exercice comprendra une comparaison rétroactive par rapport à l’évaluation actuarielle du 31 décembre 2013, question d’illustrer l’impact des modifications sur l’évolution de l’état de santé des régimes. « ­Un bilan est encore prématuré, mais l’on peut dire que nous avons observé une amélioration de la santé des régimes », ajoute ­Stéphane ­Gamache.

Claude ­Paradis acquiesce et nuance. « ­Oui, il y a eu amélioration de la situation financière des régimes de retraite du secteur municipal. Mais ceux qui étaient en déficit le sont toujours. Il y a encore du chemin à parcourir pour revenir à l’équilibre », constate le conseiller principal chez ­Mercer. Les régimes de retraite à prestations déterminées (PD) ont été particulièrement secoués par la crise financière de 2008, ainsi que par la baisse des taux d’intérêt. « ­Nous pensions pouvoir récupérer les pertes ainsi subies au cours des années suivantes. Des mesures d’allégement ont également été appliquées. Ce ne fut toutefois pas suffisant pour ramener ces régimes à flot. »

Trois grands axes

Les régimes ­PD sont soumis à des changements structurels et conjoncturels constants. On pense aux modifications devant être apportées à la table de mortalité afin de suivre l’amélioration de l’espérance de vie. S’ajoute aussi cette faiblesse persistante des taux d’intérêt venant affecter le passif actuariel des régimes et abaisser les rendements fu turs anticipés. « ­Oui, le rendement sur l’actif a compensé, mais pas suffisamment pour rétablir complètement le ratio de capitalisation à 100 % », insiste ­Claude ­Paradis. Bref, le portrait au 31 décembre 2013 des régimes de retraite du secteur municipal était plutôt sombre et les élus ne cessaient de rappeler que les coûts afférents se reflètent directement dans le taux de taxation.

En rétrospective, la loi 15 ­est-elle une bonne affaire ? « ­Il est difficile de répondre à cette question, d’autant plus qu’elle est contestée sur le plan juridique par les associations syndicales devant la ­Cour supérieure, ajoute M. Paradis. Elle a toutefois permis une prise de conscience des coûts des régimes et incité à une meilleure gestion des risques afin d’en assurer la pérennité. À ce titre, la loi 15 a eu l’effet d’un traitement choc. »

Rappelons que la loi 15 s’articule essentiellement autour de trois grands axes. Pour les services passés avant le 31 décembre 2013, elle vient transformer l’indexation permanente des rentes versées aux retraités présents et futurs en une indexation ponctuelle liée à la santé financière des régimes. Aussi, le partage des déficits actuariels se fait entre les participants et la ville selon un ratio ­50-50 (avec la possibilité de se rendre à 45 % pour les participants et 55 % pour la ville).

Pour les services rendus à partir de 2014, la loi 15 introduit un partage des coûts entre employés et employeur selon un ratio ­50-50. Et elle vient renforcer la gestion des risques en instaurant un fonds de stabilisation prévoyant une cotisation additionnelle équivalant à 10 % de la cotisation d’exercice.

Dernier élément : un plafond de coûts est fixé, les sommes consacrées annuellement au régime ne pouvant dépasser 18 % de la masse salariale (20 % pour les policiers et pompiers) au 1er janvier 2014.

« D’un point de vue actuariel, tout cela n’est qu’une étape dans un long processus visant à maintenir les régimes de retraite en équilibre. Et une surveillance constante sera nécessaire », soutient le conseiller du cabinet ­Mercer. Stéphane ­Gamache rappelle pour sa part que « la réforme des régimes du secteur municipal s’inscrit dans un processus plus large et plus global ayant aussi porté sur la pérennité des régimes publics et complémentaires ».

Contestation en cours

La ­loi 15 est toutefois loin de faire consensus. L’opposition des syndicats et des employés municipaux concernés par ce qui était à l’origine le projet de loi no 3 a été plutôt musclée, conduisant à des moyens de pression, des manifestations et des journées de grève. L’image de ces policiers patrouillant en pantalon de couleur est devenue le symbole de cette mobilisation généralisée, qui a donné naissance à la ­Coalition syndicale pour une libre négociation. Son ­porte-parole, ­Marc ­Ranger, promettait de porter la cause devant les tribunaux, et ce, jusqu’en ­Cour suprême s’il le fallait. C’est chose faite. La cause est débattue devant la ­Cour supérieure depuis le 24 septembre 2018.

Aujourd’hui directeur québécois du ­Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), ­Marc ­Ranger n’en démord pas. « ­Cette loi est inconstitutionnelle. Elle se veut une attaque frontale au droit d’association et vient nous retirer les moyens de négocier. » ­La partie demanderesse, qui réunit toutes les organisations représentant les employés municipaux, incluant les pompiers et les policiers, n’exige rien de moins qu’une remise en l’état avec clause de protection. « ­Les policiers continuent avec nous même si la cour d’appel a donné raison à la ­Fraternité des policiers et policières de ­Montréal. Car la ­Ville va sûrement en appeler devant la ­Cour suprême. »

M. Ranger évoque cette décision rendue en juin dernier dans laquelle la cour d’appel se rend à l’argumentaire de la ­Fraternité en reconnaissant que le régime de retraite des policiers et policières n’avait pas été établi par un organisme municipal. Un jugement lié à cette cause qui ne devrait pas avoir d’effet, estime cependant ­Stéphane ­Gamache.

La ­Ville de ­Montréal confirme : « ­Le jugement de la cour d’appel sur l’assujettissement du régime de retraite des policiers de la ­Ville n’a aucune incidence sur les autres régimes, car il est spécifique à celui des policiers de ­Montréal. Ce jugement fait actuellement l’objet d’une demande en autorisation d’appel en ­Cour suprême du ­Canada. »

Le syndicaliste qualifie ce contentieux de « gros dossier en matière de droit du travail » et parle d’un long échéancier. La cadence prévue s’étend sur quatre jours par semaine pendant deux semaines, séparés par une semaine d’arrêt, suivis d’une relâche durant la période des ­Fêtes et d’une reprise des travaux au même rythme en janvier, pour se poursuivre jusqu’au printemps.

Marc ­Ranger insiste : « ­Il n’y a pas de marge de manœuvre pour la négociation dans cette loi et il y a absence de pouvoir sur la gouvernance. Même des arbitres le concèdent. » ­Il revient à la toile de fond ayant conduit à cette intervention du gouvernement. « ­La santé des régimes était très variable, mais il n’y avait pas péril en la demeure. Certains cas étaient plus sérieux mais aucunement menacés. L’impact de 2008 était en train de se résorber. » ­Il cite celui des cols bleus de la ­Ville de ­Montréal, l’un des plus problématiques avec son ratio d’un participant actif pour un bénéficiaire. « ­Nous avions une entente qui apportait une solution. D’ailleurs, dans le préambule de cette entente de 2012, il était écrit qu’elle assurait la pérennité et la viabilité du régime. »

Montréal s’inscrit en faux

À la ­Ville de ­Montréal, le discours est tout autre. « L’enjeu des régimes de retraite constitue en soi un point chaud. La situation financière des régimes demeure préoccupante. D’une année à l’autre, la charge de retraite est sensible aux variations des marchés financiers, entre autres. Une prochaine crise pourrait créer une pression à la hausse sur les dépenses de la ­Ville », ­souligne-t-elle par voie de courriel.

Le contexte démographique et économique des dernières années aurait aussi contribué à une hausse importante de la charge de retraite. L’exercice de restructuration encadré par la loi 15 était souhaité et nécessaire pour assurer la pérennité et la viabilité des régimes de retraite de la ­Ville de ­Montréal. Au bilan, les sept régimes visés – ceux des cadres, des cols bleus, des contremaîtres, des fonctionnaires, des policiers, des pompiers et des professionnels – ont été modifiés pour se conformer aux exigences de la loi, ­précise-t-elle.

« ­La ­Ville doit demeurer vigilante, car les régimes de retraite continuent d’exercer une pression financière très importante sur les finances publiques de ­Montréal. En 2017, la charge pour les régimes de retraite était de 345 millions (soit 15 % de la rémunération globale de la ­Ville). Dans le budget 2018, cette charge est de 320 millions. Ce sont des montants considérables et la capacité de payer des contribuables montréalais n’est pas illimitée », ­écrit-elle en réponse aux questions d’Avantages. Le coût plus élevé des régimes de retraite avait, d’ailleurs, été évoqué dans le premier budget de la mairesse ­Valérie ­Plante.

Pour le service passé, le déficit global à financer pour les régimes de retraite de la ­Ville était de 1,2 milliard au 31 décembre 2013. La loi 15 a eu pour effet de réduire ce montant à environ 800 millions, par le partage des déficits. « ­Malgré cette baisse d’environ 400 millions, le fardeau demeure important, car la ­Ville est entièrement responsable de financer le déficit restant sur une période de 15 ans, ce qui se traduit par une cotisation annuelle de près de 80 millions. Ce déficit ne peut être réduit par des gains actuariels futurs et la ­Ville demeure responsable de tous nouveaux déficits futurs en lien avec le service passé », martèle la ­Ville.

Si la restructuration des régimes de retraite municipaux fait tranquillement son chemin au ­Québec, il paraît évident qu’on n’a pas fini d’entendre parler.


• Ce texte a été publié dans l’édition de novembre 2018 du magazine d’Avantages.
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