Le recours aux services d’un assureur ­est-il vraiment essentiel pour offrir un régime d’assurance collective ? À la ­Fraternité des policiers et policières de ­Montréal (FPPM), la question ne se pose même pas. Depuis 1954, le plus grand syndicat de policiers municipaux du ­Québec gère son propre régime, ce qui lui confère une souplesse sans pareil. Pour comprendre les atouts et les défis d’un tel modèle, ­Pierre-Luc ­Trudel a rencontré ­Pascal ­Poirier, ­vice-président au secrétariat et à la trésorerie de la ­FPPM.

Avantages : ­Comment fonctionne votre régime ? ­Est-ce que tous les volets sont ­auto-assurés?

Pascal ­Poirier : ­Les volets maladie et soins dentaires du régime sont ­auto-assurés. Pour les volets assurance vie, décès et mutilation accidentels (DMA) et voyage, nous faisons affaire avec ­SSQ, car ce serait beaucoup trop compliqué de gérer ces couvertures à l’interne. Notre régime n’inclut pas de volet assurance invalidité. C’est l’employeur qui assume directement les coûts liés aux prestations de courte durée, alors que les prestations de longue durée sont versées par le régime de retraite. En ce qui concerne l’administration, toutes les réclamations sont traitées à l’interne par une équipe de cinq préposés. ­Ceux-ci s’occupent aussi du service à la clientèle.

Quels sont les principaux avantages d’auto-administrer certains volets d’un régime d’assurance collective?

En plus de permettre de réduire les coûts par rapport à un régime assuré standard, un régime ­auto-assuré est très souple. Même si notre régime n’offre pas de composantes flexibles, nous sommes capables de facilement personnaliser nos couvertures selon les besoins de nos participants.

­Avez-vous des exemples?

Lors des manifestations étudiantes de 2012, notre groupe ­anti-émeute a été mis à forte contribution. Les policiers devaient marcher et courir plusieurs heures par jour. Certains ont développé des problèmes aux genoux et des périostites, par exemple. Un jour, un des membres est venu me voir et m’a expliqué que la physiothérapie sportive pourrait ­peut-être l’aider, mais qu’elle n’était pas couverte par le régime. On a donc rencontré une physiothérapeute sportive pour connaître exactement les soins qu’elle prodiguait et comment ­ceux-ci pourraient améliorer la santé de nos membres. La rencontre a été concluante et nous avons finalement décidé de couvrir ce type de professionnels dans notre régime. Nous participons également à un projet pilote d’un médicament pour traiter les chocs ­post-traumatiques. Tout dépendant des résultats, on pourrait décider de le couvrir dans notre régime, même s’il ne figure pas sur la liste de la ­RAMQ. Ce sont de bons exemples de la capacité que nous avons à nous ajuster rapidement aux besoins de nos membres et à adapter les couvertures de notre régime.

« Dans l’ensemble, l’avantage d’être un régime ­auto-assuré, c’est d’avoir accès facilement à nos données. On peut ainsi étudier l’incidence de la consommation et mieux cibler les problèmes. »

– Pascal ­Poirier, Fraternité des policiers et policières de Montréal

pascal_poirier_100x150

Quels sont les problèmes de santé les plus courants chez vos participants ? ­Sont-ils spécifiques au métier de policier?

Le problème de santé le plus fréquent chez les policiers, ce sont les maux de dos. Cela s’explique par le port du ceinturon, qui contient l’arme et d’autres équipements. L’ergonomie dans les véhicules de patrouille n’est pas forcément optimale non plus, et les policiers restent longtemps assis dans cet espace restreint. Avec les années, les problèmes de dos se développent chez tout le monde. D’ailleurs, quand on rencontre les jeunes policiers, on les avertit qu’ils vont avoir mal au dos au cours de leur carrière. C’est inévitable.

Et quel impact cela ­a-t-il sur le régime?

Nous recevons énormément de demandes de règlement pour les services paramédicaux, tels que la physiothérapie, l’ostéopathie, et la chiropractie. On essaie de trouver des solutions en engageant des ergonomes et en faisant de la prévention, mais il y a des éléments qu’on ne peut pas vraiment corriger. Comme la contribution de l’employeur n’est pas très élevée dans le régime, nous sommes obligés de limiter le remboursement pour les soins paramédicaux. Nous avons un plafond de 700 $ pour l’ensemble des professionnels. Un second plafond à l’intérieur du maximum total a aussi été fixé pour certains services, notamment la naturopathie et la massothérapie. On considère qu’ils ont un effet positif sur le ­bien-être, mais qu’ils n’ont pas une incidence majeure sur la santé des participants.

Qu’en ­est-il de la consommation de médicaments?

On observe une certaine problématique. Il y a des données très préoccupantes concernant la prévalence des troubles de déficit de l’attention chez les policiers. Ils consomment beaucoup plus de médicaments pour traiter ces troubles que la moyenne du marché. La consommation de médicaments pour traiter le cancer est également plus élevée chez les policiers que dans la population en général. On le remarque autant chez les employés actifs que chez les retraités. Pour être capable de creuser plus loin, je devrais faire appel à une chaire de recherche, mais c’est très coûteux. Je n’ai malheureusement pas les fonds pour investiguer davantage pour le moment. Mais dans l’ensemble, l’avantage d’être un régime ­auto-assuré, c’est d’avoir accès facilement à nos données. On peut ainsi étudier l’incidence de la consommation et mieux cibler les problèmes.

Y ­a-t-il certains troubles de santé qui sont moins fréquents chez vos participants que dans la population en général?

C’est certain que pour tout ce qui touche les maladies cardiovasculaires, notre consommation de médicaments est beaucoup plus basse. Pour devenir policier, les candidats doivent passer des tests physiques. En début de carrière, ils sont donc très en forme comparativement à d’autres employés qui ne sont pas sélectionnés selon des critères physiques. Par contre, la situation se détériore nettement une fois qu’ils tombent à la retraite. Ils font moins d’activité physique, modifient leurs habitudes de vie, ce qui fait grimper la consommation de médicaments pour traiter les troubles cardiovasculaires.

Qu’­offrez-vous à vos participants en matière de soutien psychologique?

Nous avons un programme d’aide aux employés qui ne fait pas partie du régime d’assurance collective proprement dit. Cependant, s’il y a un besoin urgent de faire de la prévention ou d’envoyer des psychologues sur le terrain, après un suicide par exemple, on peut débloquer des fonds provenant du régime.

Les fonds peuvent donc être transférés entre les différents volets du régime?

Chaque volet est techniquement indépendant, mais puisque nous sommes propriétaires des fonds, on a la possibilité de transférer des sommes. C’était l’un de nos objectifs lorsque nous avons rapatrié les soins dentaires dans le régime ­auto-assuré en 2016. Les coûts de ce volet sont très stables d’une année à l’autre et nous les avons réduits depuis que nous faisons la gestion à l’interne. Les économies réalisées nous permettent d’investir davantage dans d’autres couvertures. Par exemple, si le volet maladie a connu une année catastrophique, alors que le volet dentaire est en surplus, on pourrait décider de transférer des fonds plutôt que de hausser les cotisations. Cette décision doit être entérinée par un vote des participants en assemblée générale.

Quelle est votre plus grande inquiétude relativement à la pérennité de votre régime?

L’augmentation du coût des médicaments est certainement le plus gros défi auquel nous devrons faire face au cours des prochaines années. Je pense que l’arrivée sur le marché de médicaments très dispendieux pour traiter des maladies orphelines préoccupe tous les régimes [d’assurance collective]. Nous n’avons pas encore beaucoup de très grands réclamants, mais quelques assurés coûtent jusqu’à 200 000 $ par année en médicaments. L’enjeu des prochaines années va vraiment être de contrôler ça.

Quelles mesures de contrôle des coûts ­avez-vous mises en place?

L’enjeu chez nous, c’est que la consommation de médicaments d’origine est proportionnellement très élevée par rapport à celles de médicaments génériques. C’était le cas même avant la nouvelle loi qui permet la substitution générique obligatoire. C’est certain qu’à partir de maintenant, nous allons envisager fortement cette possibilité. Notre ancien système informatique ne nous permettait pas d’implanter la substitution générique, mais la transition vers un nouveau système est en cours. D’ici là, nous allons continuer d’informer les participants qui consomment des médicaments originaux pour les sensibiliser au coût que cela représente pour le régime et les encourager à regarder du côté des génériques. On incite aussi les assurés à demander des prescriptions d’une durée plus longue. Nous disposons également d’une assurance pour les gros sinistres de façon à nous protéger contre les très grandes réclamations. Autrement, nous ne serions pas en mesure d’absorber les coûts.

Votre régime compte un nombre relativement important de participants. ­Est-ce que des régimes plus petits pourraient aussi envisager l’­auto-assurance?

Tout à fait, c’est seulement la structure d’administration qui devrait être adaptée. Je connais des petits régimes, par exemple à ­Longueuil, qui ont aussi peu que 700 participants, et qui sont ­auto-assurés. Par contre, ils ne disposent pas d’employés affectés comme chez nous à faire l’entrée de données et répondre aux questions des participants.

Puisque la gestion du régime se fait à l’interne, la communication avec les participants ­est-elle plus simple?

Comme dans la plupart des régimes d’assurance collective, nos participants ne sont pas trop au courant de leur couverture et des restrictions qui s’appliquent. Les gens trouvent ça plate l’assurance, ils ne veulent pas lire l’information qu’on leur envoie. On a des infolettres, une revue annuelle et des rencontres avec nos représentants syndicaux au moins quatre fois par année. On a une bonne structure de communication en place, mais ça demeure difficile.

Les participants ­sont-ils satisfaits de leur régime?

Dans l’ensemble, je pense qu’ils sont très satisfaits, surtout avec les améliorations apportées récemment. Nous avons notamment instauré le paiement direct pour les médicaments, alors que nous avions recours au paiement différé auparavant. Nous avons aussi développé de nouveaux outils qui permettent aux participants de faire leur déclaration en ligne. L’avantage avec l’­auto-assurance, c’est que nous sommes près de nos membres. Quand ils ne sont pas satisfaits, ils m’appellent directement ou ils envoient des courriels. Ce n’est pas très long qu’on connaît leurs insatisfactions, ce qui nous permet de corriger le tir.

Le régime en bref

– Environ 9 000 participants (4 500 employés actifs, 4 500 retraités)

– Volets maladie et soins dentaires ­auto-assurés

Volets assurance vie, ­DMA et voyage confiés à ­SSQ ­Assurance

– Volet invalidité de courte durée assuré par l’employeur

– Volet invalidité de longue durée assuré par le régime de retraite

– Partage des cotisations : 75 % employés, 25 % employeur

– Prime totale de toutes les garanties du régime : 21,7 M$ par année