Les gestionnaires de caisses de retraite jouent la carte de la sélectivité face au marché du crédit. Ce qui n’empêche pas de donner à cette prudence manifestée à l’endroit des titres à revenu fixe une saveur plus internationale.

« Nous sommes plus près de la fin du cycle, résume Christine Girvan, directrice principale, chef de la distribution au Canada de la firme MFS. La liquidité du marché obligataire est moins élevée aujourd’hui qu’au début de la crise financière mondiale. La sélection des titres devient plus importante que jamais, les écarts de taux s’étant resserrés dans l’ensemble et la compensation pour la prise de risque ayant diminué. »

Ce faisant, à court et à moyen terme, la probabilité que la Banque du Canada abaisse plutôt que relève son taux directeur est plus élevée. « Nous continuons de croire que les taux d’intérêt et la croissance économique canadienne resteront faibles pendant une période prolongée », ajoute Mme Girvan.

Les obligations peuvent devenir plus risquées dans cet environnement de fin de cycle caractérisé par un taux d’endettement élevé et par un effet de levier grandissant, ajoute Jean-Michel Charette. Le directeur adjoint, Investissements à Blue Bridge retient également un scénario de recul des taux directeurs.

Jean-François Pépin, directeur principal, Financement, trésorerie et caisses de retraite à Hydro-Québec, observe cette frilosité grandissante face au marché du crédit en fin d’expansion depuis plus de dix ans.

« Surtout pour le crédit de moindre qualité. Nous faisons preuve de plus de modération face, notamment, aux obligations à haut rendement et au crédit privé. »

Qui dit fin de cycle dit levier et risque de défaut accrus. « Le risque de perte est plus élevé que le potentiel d’une bonification du taux d’intérêt nominal des obligations à coupons. » Il ajoute qu’avec cette courbe de rendement plutôt plate, il n’y a pas d’appétit pour la duration. D’autant qu’avec les taux d’intérêt demeurant historiquement bas au Canada, il n’y a pas d’incitation à prendre un risque sur la durée.

Au demeurant, l’impact d’une baisse des taux d’intérêt dans un contexte de récession ou de crise se ferait davantage ressentir dans l’échéance de 5 à 10 ans.

Le régime de retraite d’Hydro-Québec abrite un actif de 26 milliards de dollars. « Nous sommes grosso modo à 57 % en revenu variable, et à 43 % en revenu fixe. Ce dernier segment est assez diversifié, comprenant des obligations gouvernementales, fédérales et provinciales, et d’entreprises de qualité. On y retrouve également un peu d’obligations à rendement réel, dans le but d’offrir une protection contre l’inflation, et un peu d’émergents », énumère le gestionnaire.

Cela vaut pour l’actif. Côté passif, Sylvain Gareau, vice-président responsable du régime de retraite au Mouvement Desjardins, rappelle que « nous ne sommes pas là pour spéculer. Nous ne nous occupons pas de l’évolution au jour le jour des taux. Nous ne prenons pas de risque de marché. Notre priorité est de nous assurer d’un appariement adéquat avec nos engagements. » La caisse de retraite de l’institution coopérative coiffe un actif sous gestion de 14 milliards. Elle est environ à 50 % en obligations. Dans ce segment, « nous sommes à 85 % Canada long terme, comme c’est le cas pour la majorité des caisses à prestations déterminées ».

Une exposition qu’est venue renforcer la loi 29 visant à stabiliser le financement des régimes à prestations déterminées. Cette modification apportée à la Loi sur les régimes complémentaires de retraite incite à mettre davantage l’accent, au passif, sur les échéances de long terme, minimalement de 10 à 15 ans.

« L’objectif, ici, est de s’immuniser contre les mouvements de taux, de tendre à éliminer les pressions sur la trésorerie et de protéger la pérennité du régime », résume Sylvain Gareau.

« Avec cette courbe de rendement plutôt plate, il n’y a pas d’appétit pour la duration. »

Jean-François Pépin, Hydro-Québec

Intérêt pour la Chine

L’étude annuelle 2019 d’Invesco sur les titres à revenu fixe donne également le ton. L’entreprise de gestion d’actif a recueilli les réponses de 145 spécialistes responsables de la partie à revenu fixe de portefeuilles dont l’actif combiné totalise quelque 14 000 milliards de dollars américains. Ces répondants évoquent une fin de cycle économique, avec la phase d’expansion se terminant dans un an ou deux. Ils entrevoient un atterrissage en douceur de l’activité économique, une correction boursière davantage qu’un délestage de titres obligataires, et une courbe de rendement plate combinée à un creusement des écarts de crédit. Ils sont majoritaires à se positionner à long terme, à l’abri de la volatilité. Et pour la première fois, les répondants manifestent un intérêt marqué pour le marché chinois.

L’Empire du Milieu étant appelé à prendre du poids dans les principaux indices de référence, les gestionnaires envisagent d’accroître leur exposition aux titres à revenu fixe chinois. « Il y a effectivement tendance en ce sens, et cet intérêt accru pour les titres chinois n’est pas confiné aux obligations », ajoute Jean-Michel Charette.

Si auparavant la Chine était synonyme de croissance, cette économie tend vers la maturité au fur et à mesure qu’elle se positionne pour devenir la plus importante sur la planète. Or, malgré ce poids grandissant dans le PIB mondial, l’État demeure sous-représenté dans les indices de référence. Il y aura ajustement. « Il n’y a pas que la Chine. On observe un intérêt grandissant pour nombre de pays émergents. Au fil des ans, on a assisté à une diminution du risque dans cet « univers ». Il est devenu moins complexe, plus liquide sur le marché international et plus transparent. Aussi, les émergents offrent des taux d’intérêt plus élevés que les économies dites développées. »

« La Chine attire effectivement l’attention des investisseurs. De la sous-exposition de ce pays dans les indices de référence découle un sous-investissement qui ne reflète pas le poids de cette économie dans le PIB mondial », renchérit Jean-François Pépin. « On ne peut l’ignorer et l’on va vouloir s’y exposer davantage au cours des prochaines années. Des firmes spécialisées essaient déjà de développer des outils d’investissement devant permettre de percer ce marché. »

Des stratégies « core plus »

Dans un sens plus large, Christine Girvan estime pour sa part que les régimes de retraite pourraient, dans leur approche axée sur la prudence, privilégier les stratégies dites « core plus » ou « long plus » à ce stade-ci du cycle, lesquelles permettent de déborder de leur indice de référence. « Une stratégie « core plus » peut répondre aux besoins des régimes souhaitant diversifier leurs placements canadiens et étrangers. En choisissant des placements à l’extérieur du Canada, les investisseurs peuvent obtenir une exposition à des catégories d’actif qui ne sont pas offertes au pays et qui, souvent, affichent une faible corrélation avec les titres à revenu fixe canadiens. »

Car il n’y a actuellement pas davantage d’occasions dans l’approche classique. « Tout est présentement serré relativement aux prix. Il n’y a pas de rendement accru pour prendre un risque plus grand présentement », constate Jean-Michel Charette. D’où le souhait d’une approche plus globale ne se limitant pas au Canada. « Les États-Unis offrent de belles possibilités. Les émergents également, le risque ayant diminué dans ces pays. En Europe, par contre, on en est encore aux taux négatifs. »

La directrice principale de MFS estime pour sa part qu’on pourrait privilégier les obligations de sociétés américaines de qualité supérieure. « Le marché américain des obligations de sociétés est le plus vaste parmi tous les marchés obligataires de pays développés à l’échelle du globe. L’économie américaine s’est montrée plus résiliente que celle d’autres pays développés et la Réserve fédérale américaine a indiqué plus tôt cette année qu’elle avait interrompu son cycle de resserrement des taux, du moins pour le moment, apaisant les craintes d’un risque de surchauffe économique. »

Christine Girvan admet toutefois un petit penchant pour le segment des obligations notées BB/BBB, « qui permet à un régime de retraite de tirer parti d’inefficiences dans le marché obligataire ». Elle estime notamment que les agences de notation évaluent mal ces titres, certaines des meilleures sociétés étant erronément notées « à rendement élevé », surtout dans la catégorie BB. Elle souligne également qu’ils sont désormais accessibles à un plus grand nombre d’investisseurs institutionnels, ce qui ajoute de la pression sur les prix. « Au moyen d’une approche « core plus », les régimes de retraite peuvent profiter des obligations à rendement plus élevé, dont la note pourrait être revue à la hausse. »

À l’international

Faut-il en déduire que la part des obligations canadiennes dans les portefeuilles est trop élevée? « Il est logique de suggérer aux régimes de retraite de diversifier leurs placements à l’extérieur du Canada. Mais pour ceux qui ont des passifs liés aux taux d’intérêt canadiens, cette diversification doit être établie de manière réfléchie, car une exposition accrue à des titres à revenu fixe à l’extérieur du pays peut en fait accroître le risque si elle n’est pas bien effectuée », répond Christine Girvan. En particulier, les régimes de retraite doivent gérer le risque lié à la courbe des taux découlant des placements non canadiens. « Le passif est lié à la structure du taux d’intérêt canadien. S’exposer aux taux étrangers n’est pas toujours un bon choix, ajoute Jean-François Pépin. Pas certain, non plus, qu’il soit judicieux d’y ajouter un risque de devise. »

Ce bémol étant fait, les régimes de retraite peuvent améliorer le rendement prévu à long terme de leur portefeuille de titres à revenu fixe en le diversifiant au moyen d’une exposition accrue aux obligations de sociétés de qualité supérieure. Et dans ce segment aussi, souligne Christine Girvan, « compte tenu de l’univers limité des obligations de sociétés canadiennes de qualité supérieure à long terme, il peut être logique d’accroître l’exposition internationale ».


• Ce texte a été publié dans l’édition de juin 2019 du magazine d’Avantages.
Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web
.