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Complexité réglementaire et diversification des stratégies d’investissement viennent rendre plus pertinentes que jamais les solutions d’impartition des placements pour les caisses de retraite. Il appartiendra toutefois à l’administrateur du régime de ne pas se laisser envelopper dans le faux sentiment de sécurité que peut procurer l’externalisation.

Limpartition gagne en popularité. Selon les données du cabinet Aon, l’actif mondial sous gestion déléguée, ou modèle OCIO (outsourced chief investment officer), atteignait 1 820 milliards de dollars américains au 31 mars dernier, en hausse de 5,8 % sur un an et de 51,1 % sur une période de cinq ans. Si, durant les années 1990, c’était l’apanage des fondations et grandes fortunes privées de s’en remettre à des consultants externes, l’impartition des placements s’est ensuite étendue aux caisses de retraite de petite taille souffrant d’une insuffisance de ressources internes.

« Depuis quelques années, les joueurs de plus grande taille s’intéressent également à nos services. Chez nous, plusieurs clients ont plus de 1 G$ d’actif sous gestion », précise Yvan Breton, chef des services d’impartition chez Mercer. Et aux firmes spécialisées, souvent issues du milieu bancaire, se sont greffées, à partir du milieu des années 2000 au Canada, les grandes firmes de consultation en actuariat : les Mercer, Aon, Morneau Shepell et Willis Towers Watson de ce monde.

Les lendemains difficiles de la crise financière de 2008 ne sont évidemment pas sans expliquer une partie de cette popularité. « Dans un contexte de faibles taux d’intérêt, la recherche de rendement se déplace vers les placements non traditionnels. Or, cela exige plus de compétence, de connaissances », explique Tolga Cenesizoglu, professeur titulaire au Département de finance de HEC Montréal.

La demande accrue pour de tels services peut aussi venir d’un contexte de tension ou de volatilité élevée dans le marché, ce qui exige de rééquilibrer plus fréquemment ou rapidement les portefeuilles. « Le temps de réaction est plus court avec l’impartition », affirme Yvan Breton.

Pas que l’alpha

L’offre de services s’est également raffinée, le degré de délégation proposé s’étendant du modèle non discrétionnaire à la gestion discrétionnaire. « Le client ne recherche pas nécessairement que l’alpha. La performance est certes importante, mais l’avantage sur le plan de l’exploitation découlant de l’impartition peut l’être également », soutient Yvan Breton.

Selon un sondage de Natixis Investment Managers publié en 2019, 75 % des administrateurs de régimes de retraite affirment externaliser certaines fonctions de gestion de placement afin d’accéder à une expertise spécialisée. Aussi, 36 % font appel à l’impartition dans leur quête de stratégies adaptées à leur profil risque-rendement, et 32 % estiment que l’externalisation leur donne de nouvelles sources de diversification et de rendement.

Dans l’édition 2017 de ce sondage, 49 % des répondants s’en remettant à l’impartition disaient rechercher l’expertise spécialisée, 22 % voulaient obtenir un meilleur rendement, 12 % abaisser les coûts, 9 % atténuer le risque réglementaire et 7 % réduire le risque fiduciaire.

Suivi simplifié, frais minimisés

Les atouts de l’impartition apparaissent donc indéniables. D’entrée de jeu, « plus le régime de retraite est petit, plus il aurait avantage à y recourir », affirme Michel Jalbert. Le vice-président directeur, développement des affaires et partenariat avec la clientèle à Addenda Capital évoque un accès élargi à plus de catégories d’actif et de stratégies de placement. Le suivi de ces placements s’en trouve également facilité. Pour l’en-semble des régimes, Michel Jalbert souligne également la réglementation allant en se complexifiant, ce qui ajoute aux difficultés et à la lourdeur de la gestion pour les administrateurs.

« L’impartition devient, ici, une extension du trésorier ou du chef des services financiers, qui peut se concentrer sur d’autres questions stratégiques », dit-il. Le gestionnaire d’actif nichant dans le créneau institutionnel parle également des économies d’échelle inhérentes à cette approche, qui permettent d’abaisser les honoraires.

Yvan Breton acquiesce. « Nous exerçons un certain pouvoir d’achat, ce qui permet de diminuer les frais », explique le spécialiste de Mercer, ajoutant que même en additionnant les frais de la firme externe et les frais du gestionnaire de portefeuille, le total sera équivalent aux coûts rattachés au modèle de gestion traditionnel, voire plus bas.

« L’impartition devient une extension du trésorier ou du chef des services financiers, qui peut se concentrer sur d’autres questions stratégiques. »

– Michel Jalbert, Addenda Capital

Source : sociétés ayant participé au sondage Top 40 des gestionnaires d’actifs du Canadian Institutional Investment Network, automne 2020

«Nous recherchons une diversification par catégorie d’actif et par gestionnaire. Si l’on confiait cette sélection en impartition, on perdrait notre diversification par gestionnaires. On aurait un gestionnaire par catégorie d’actif, un seul style d’investissement. On serait dépendant de sa performance individuelle. »

– Alain Vallée, Régime de retraite de l’Université du Québec

Source : sociétés ayant participé au sondage Top 40 des gestionnaires d’actifs du Canadian Institutional Investment Network, automne 2020

L’approche a ses limites

En revanche, si le choix des gestionnaires de placement est imparti, le comité de retraite peut avoir l’impression de perdre une partie du contrôle. Aussi, dans le cas d’une telle délégation, un inconvénient viendrait d’une situation de conflit d’intérêts potentiel entre la firme de gestion déléguée et le gestionnaire de fonds, soulève Tolga Cenesizoglu, qui insiste sur la transparence de la relation avec le client, l’importance de la gouvernance et du suivi continu auprès de la firme OCIO.

Ici, la théorie économique dite de la relation mandant-mandataire ou du principal-agent relation s’applique, précise le professeur, qui dirige également l’Insti-tut canadien des dérivés. Résumé simple-ment, ce principe s’attarde aux problèmes rencontrés lorsque l’action du « mandant » (qui détient le capital ou l’autorité de déléguer une décision) dépend de l’action du « mandataire » (le sous-traitant ou celui qui prend la décision pour le mandant). On se retrouve en présence d’une asymétrie d’information.

Au demeurant, il peut en découler un problème de diversité des gestionnaires, le jeu de la concentration de l’actif dans le but d’abaisser les frais pouvant se faire au prix d’une consolidation des gestionnaires, voire de l’exclusion des gestionnaires émergents ou de niche. « Il faut définir les objectifs et les attentes dès le départ pour éviter toute confusion entre le fiduciaire et la firme OCIO », insiste le professeur.

« L’impartition peut engendrer un faux sentiment de sécurité, ajoute Michel Jalbert. Le comité de retraite demeure ultimement responsable. On ne délègue pas la responsabilité fiduciaire. Il faut bien faire ses devoirs, effectuer la vérification diligente. »

« Il faut définir les objectifs et les attentes dès le départ pour éviter toute confusion entre le fiduciaire et la firme OCIO. »

–Tolga Cenesizoglu, HEC Montréal

Quant au différentiel de rendement, « on se retrouve avec cette éternelle réflexion sur la valeur ajoutée qu’apporte la gestion active par rapport à la gestion indicielle », illustre Tolga Cenesizoglu. Dans le cas de l’impartition, la comparaison avec un indice de référence se heurte à la singularité des portefeuilles répondant au profil et à la tolérance au risque du client. Cette nuance étant, l’Alpha Nasdaq OCIO Broad Market Index, calculé selon la performance de 575 firmes OCIO, a affiché en 2019 un rendement net des frais de 18 %, contre 19,4 % pour un portefeuille traditionnel à répartition 60-40, selon Institutional Investor. À la fin de 2019, sur dix ans, l’indice a cependant enregistré des gains annuels moyens de 8 %, contre 7 % pour le portefeuille de référence. Quelle que soit la répartition d’actif, l’indice n’a pu faire mieux que le S&P 500 sur des périodes de un, trois, cinq ou dix ans.

Et sur le terrain ?

Alain Vallée, directeur général du Secrétariat du Régime de retraite de l’Université du Québec (RRUQ), en donne une illustration. Lui et sa petite équipe font eux-mêmes la sélection de leurs gestionnaires. « J’aime me comparer à Teachers, qui coiffe 204 milliards d’actif sous gestion contre 4,7 milliards pour nous au 31 décembre 2019. Je coûte le même prix que Teachers, qui est 40 fois plus gros », dit-il. Le RRUQ affiche bon an mal an des frais totaux d’administration et de gestion de 70 points de base sur l’actif net. « En 2019, c’était 67 points de base contre 79 pour Teachers. Quant au rendement, nous avons fait du 12,4 % contre 10,4 % pour le régime des enseignants de l’Ontario. Sur quatre ans, nous enregistrons un rendement de 8,2 % (brut) contre 6,6 % pour Teachers (net de frais). »

Le RRUQ détermine sa politique de placement et sélectionne les gestionnaires externes. « Nous recherchons une diversification par catégorie d’actif et par gestionnaire », précise Alain Vallée. Il estime que « si l’on confiait cette sélection en impartition, on perdrait notre diversification par gestionnaires. On aurait un gestionnaire par catégorie d’actif, un seul style d’investissement. On serait dépendant de sa performance individuelle. À titre d’exemple, pour les obligations, je m’en remets à quatre gestionnaires. Cette diversification est importante ». Et il ajoute aimer maintenir un lien direct avec les gens qui gèrent l’argent du régime.

Aussi, contrairement aux craintes de voir les plateformes d’OCIO proposer une diversité limitée de l’offre en raison d’une présence dominante des géants de la gestion d’actif institutionnel, le directeur général du RRUQ observe que « les gros noms sont sur ces plateformes, mais les petits le sont et les joueurs de niche également ».

Ce qui n’empêche pas que l’externalisation puisse être une option à sérieusement envisager, notamment pour les caisses de plus petite taille qui recherchent un regroupement, une mise en commun ou des économies d’échelle. « La formule peut aussi appuyer une offre de services de consultation auprès des déposants ou répondre à un besoin d’aide ou d’accompagnement, énumère Alain Vallée. S’il en résulte une réduction des frais… »


• Ce texte a été publié dans l’édition de Novembre-décembre 2020 du magazine Avantages.
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