Ce n’est pas tous les jours que des étudiants universitaires provenant de partout en ­Amérique du ­Nord, et même dans le monde, se rassemblent pour trouver des solutions aux problèmes de financement des régimes de retraite à prestations déterminées. C’est pourtant ce qui s’est produit en novembre dernier à ­Montréal lors de la première édition du ­McGill ­International ­Portfolio ­Challenge (MIPC).

Pendant deux mois, la quarantaine d’équipes participantes, composées d’étudiants en finance, se sont cassé la tête pour trouver la meilleure façon de renflouer le régime ­PD ­sous-capitalisé d’une entreprise fictive du secteur du bois d’œuvre basée en ­Colombie-Britannique. Leur mission : concevoir une nouvelle stratégie de répartition d’actif pour le régime et atteindre un niveau de solvabilité de 100 % d’ici cinq ans, tout en minimisant l’injection de fonds de la part du promoteur.

Après une première ronde de sélection, les 25 meilleures équipes, provenant notamment de ­New ­York, ­Chicago, ­Toronto, ­Halifax, ­Berkeley, ­Genève, ­Sydney et même ­Hong ­Kong, ont été invitées à venir à ­Montréal pour présenter le fruit de leur travail devant un panel de juges composé d’experts de l’industrie canadienne de la retraite. Parmi eux, des représentants de l’Office d’investissement du ­Régime de pensions du ­Canada, de ­Teachers, de la ­Caisse de dépôt et placement du ­Québec, d’Investissements ­PSP et de grandes sociétés de gestion d’actif.

« C’est rafraîchissant d’entendre de nouvelles idées dans notre secteur, qui est parfois un peu traditionnel. »

– Raymond Kerzhéro, PWL Capital

Des idées « rafraîchissantes »

Appariement ­actif-passif, investissement dans les actifs réels, stratégie axée sur les obligations de marchés émergents, investissement ­ESG, couverture de devise, derisking, transfert de passif : les compétiteurs ont imaginé une panoplie de solutions pour résoudre le problème qui leur était posé.

Si certaines équipes ont préféré adopter une approche classique, d’autres n’ont pas hésité à se montrer plus créatifs. L’équipe gagnante, de ­HEC ­Montréal (voir l’encadré à la page 23), a par exemple élaboré une stratégie audacieuse reposant largement sur l’utilisation de dérivés.

« ­Les compétiteurs m’ont vraiment fait bonne impression. C’est rafraîchissant d’entendre de nouvelles idées dans notre secteur, qui est parfois un peu traditionnel », souligne ­Raymond ­Kerzhéro, directeur de la recherche à ­PWL ­Capital et juge lors de la ronde finale.

S’il est d’avis que certaines stratégies présentées par les concurrents seraient difficiles à implanter dans un contexte réel, l’ancien gestionnaire de portefeuille estime que les enjeux ont dans l’ensemble été bien compris et que les participants se sont bien débrouillés pour répondre aux questions parfois très pointues posées par les juges.

« ­Le cas sur lequel ils devaient se pencher contenait plusieurs particularités, notamment tout ce qui touchait le niveau de solvabilité. Ce n’est pas évident quand on n’est pas familiarisé avec ces notions », ­ajoute-t-il.

Au terme de la compétition, l’équipe gagnante a remporté le grand prix de 25 000 $, tandis que les quatre autres équipes finalistes se sont partagé un chèque de la même valeur.

« Ce genre d’événement peut donner envie à certains étudiants de faire carrière dans l’industrie, tout en permettant à des professionnels expérimentés de transmettre leur passion. »

– Sebastien Betermier, Université McGill

Faire naître des vocations

Au-delà de l’aspect compétitif de l’événement, la première édition du ­MIPC a été un moment de réflexion des plus intéressants pour l’industrie canadienne des régimes de retraite, estime l’un de ses initiateurs, ­Sebastien ­Betermier.

« ­Le monde de la retraite est en crise, il y a urgence d’agir. Un tel concours peut apporter de l’air frais, générer des idées nouvelles », affirme le professeur associé de finance à l’Université ­McGill.

En amenant des étudiants en finance à se pencher sur le cas fictif, mais tout de même très réaliste, d’un régime ­PD largement ­sous-capitalisé, le ­MIPC a également pu piquer l’intérêt d’une éventuelle relève.

« ­Malheureusement, il n’y a pas beaucoup de cours sur les régimes de retraite dans les programmes de finance. Ce genre d’événement peut donc donner envie à certains étudiants de faire carrière dans cette industrie, tout en permettant à des professionnels expérimentés de transmettre leur passion », croit M. Betermier, qui ajoute que la plupart des participants n’avaient pas beaucoup de notions sur le fonctionnement des régimes ­PD avant de se lancer dans l’aventure.

Les commanditaires de l’événements ont d’ailleurs bien compris que ce concours rassemblant certains des meilleurs étudiants en finance d’Amérique du ­Nord était une occasion rêvée de faire du recrutement. Plusieurs d’entre eux ont même réalisé des entretiens d’embauche dans les locaux où s’est déroulé la compétition, à l’Université ­McGill.

« C’est un concours qui demande énormément de travail. Les étudiants qui ont participé étaient très motivés. Ils cherchaient un défi plus grand que de simplement obtenir des bonnes notes », explique ­Sebastien ­Betermier.

Les étudiants auront fort probablement encore l’occasion de se surpasser l’année prochaine. Forts du succès de la première édition du ­MIPC, les organisateurs entendent bien renouveler l’expérience l’année prochaine. « ­Nous aimerions en faire un ­rendez-vous annuel de réflexion sur la retraite », soutient M. Betermier.

Après tout, ce sont les étudiants d’aujourd’hui qui auront la lourde tâche d’assurer la pérennité des régimes de retraite de demain.

L’équipe de HEC a remporté le grand prix.
L’équipe de HEC a remporté le grand prix.

L’AUDACE DE HEC A PAYÉ

Parmi la quarantaine d’équipes qui se sont livré bataille, ce sont des concurrents de HEC Montréal qui ont su convaincre les juges et remporter les grands honneurs. Formée de Kiril Gatev, Vincent Stabili, Othmane Zenati et Jonathan Rioux, finissants à la maîtrise en finance et à la maîtrise en ingénierie financière, l’équipe de l’école de gestion montréalaise a pris des risques qui ont payé, les juges ayant accordé une grande importance à la créativité.

Audacieuse et complexe, la stratégie imaginée par les étudiants de HEC sort assurément des sentiers battus. « Nous étions conscients que notre approche n’était pas traditionnelle pour des régimes de retraite, mais nous savions que ce que l’on proposait existait sur le marché. Nous étions confiants », explique Kiril Gatev.

« On voulait sortir du lot et on savait qu’on n’était probablement pas les plus forts du côté macro. On a donc misé sur notre expertise, qui est davantage quantitative », ajoute Othmane Zenati.

C’est ainsi que les quatre équipiers ont imaginé une stratégie en trois couches. La première, constituée d’un portefeuille obligataire immunisé, est conçue de façon à couvrir le passif du régime à court terme. Vient ensuite se greffer un portefeuille de contrats à terme sur indice boursier, dont l’objectif est de générer du rendement. De cette façon, la caisse de retraite est exposée aux marchés boursiers mondiaux en profitant du levier implicite créé par de tels instruments. La dernière couche repose finalement sur l’achat d’options de vente (put options) et la vente d’options d’achat (call options), qui font office d’outils de gestion de risque, notamment en cas de recul important des marchés.

Les gagnants ont également créé un algorithme qui leur a permis de calculer la probabilité d’atteindre un ratio de solvabilité de 100 % dans les délais fixés et d’estimer les injections de capital requises de la part du promoteur.

Comme on peut l’imaginer, l’élaboration d’une telle stratégie a demandé un travail colossal. Les quatre équipiers soutiennent avoir mis près de 40 heures chacun dans la préparation de leur rapport, en plus de plusieurs rencontres d’équipe chaque semaine pendant de nombreuses semaines. « C’est un challenge qui nous a permis de sortir du cadre universitaire. Lorsqu’on est en fin de maîtrise, on commence à penser plus loin », indique Othmane Zenati.

Parlant d’envisager l’avenir, deux des quatre membres de l’équipe ont effectué des stages à la Caisse de dépôt et placement du Québec, et ont donc un peu baigné dans le monde de la gestion d’actif de caisses de retraite. Souhaitent-ils faire carrière dans l’industrie ? «C’est effectivement quelque chose qui m’intéresse», indique Vincent Stabili.