Voilà dix ans que la Loi sur les régimes volontaires d’épargne-retraite (RVER) est entrée en vigueur. Bien qu’elle ait permis d’augmenter le nombre de travailleurs couverts par un programme d’épargne-retraite en milieu de travail, elle est loin d’avoir rempli toutes ses promesses.

Si cette loi adoptée en 2014 a été à l’origine de la création de l’outil d’épargne nommé RVER, l’élément le plus important de la législation demeure l’obligation faite à toutes les entreprises de 10 employés et plus d’offrir un quelconque moyen d’épargner par l’entremise de retenues salariales.

En cas de ­non-respect, l’entreprise peut faire l’objet d’une plainte à la ­Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Entre 2019 et 2024, le nombre de plaintes a varié entre une et sept par année. « ­Les principaux manquements rapportés sont le refus de l’employeur de mettre en place un ­RVER et celui d’inscrire la travailleuse ou le travailleur au régime de son entreprise », selon ­Antoine ­Leclerc-Loiselle, conseiller en relations de presse à la ­CNESST. Les amendes imposées aux entreprises fautives vont de 500 $ à 10 000 $, et sont doublées en cas de récidive.

Le ­RVER, un ­pis-aller

Retraite ­Québec estime que la loi sur les ­RVER a eu une incidence positive. « ­Grâce aux ­RVER, plus de 100 000 travailleurs de plus ont accès à un régime collectif d’­épargne-retraite, souligne par courriel le ­porte-parole de l’organisme, ­Frédéric ­Lizotte. Comme l’employeur peut choisir d’offrir un autre véhicule que le ­RVER, le succès de la loi ne se limite pas spécifiquement à la participation à un ­RVER. »

Mais le ­RVER en tant que tel n’a pas été si populaire. « ­Pour se conformer à la loi, bon nombre d’employeurs lui ont préféré un combo ­REER collectif et régime de participation différée aux bénéfices (RPDB) », constate ­Michèle ­Frenette, fondatrice de la firme de consultation ­GRMF. Une formule très fréquente voit l’employeur cotiser au ­RPDB, à condition que l’employé verse un montant équivalent ou supérieur à son ­REER collectif.

Les employeurs aiment la souplesse de cette formule de même que certains atouts, par exemple le fait que les cotisations au ­RPDB ne soient pas considérées comme des avantages imposables. Elles sont aussi déductibles d’impôt.

Michèle ­Frenette estime que la qualité des fonds disponibles dans ce genre de véhicule est supérieure aux produits de placement offerts dans les ­RVER. Cela vient notamment du fait que les frais de gestion et d’administration des ­RVER sont plafonnés à 1,25 % de l’actif sous gestion pour l’option par défaut, un fonds de type cycle de vie, et à 1,50 % pour les autres options, ce qui limite les stratégies de placement.

« ­Donc, les fournisseurs offrent des fonds très génériques aux participants, qui pourraient peut-être trouver mieux avec un conseiller », croit Michèle ­Frenette. Elle craint par ailleurs que certains salariés s’imaginent que, puisqu’ils cotisent à un ­RVER au travail, ils sont en voie d’épargner suffisamment pour la retraite, ce qui n’est généralement pas le cas, selon elle.

L’Observatoire de la retraite a une vision un peu différente de la situation. « ­Il est possible que les administrateurs de ­RVER contactés par des employeurs aient dirigé cette clientèle vers des produits plus lucratifs, comme les ­REER collectifs, dont les frais ne sont pas plafonnés », avance le professionnel de recherche ­Riel ­Michaud-Beaudry.

Manque de visibilité

De son côté, ­Pierre-Carl ­Michaud, directeur scientifique de l’Institut sur la retraite et l’épargne de ­HEC ­Montréal, déplore l’absence de statistiques détaillées sur le groupe de travailleurs visé par la loi. Cette dernière ne prévoit aucune obligation de collecte de données auprès des administrateurs de régimes.

« C’est donc difficile de savoir si le taux global d’épargne de ces personnes a augmenté, et si le fait de cotiser obligatoirement à un régime de retraite a eu des impacts sur leur situation financière, comme une hausse de l’endettement, par exemple. »

«Pour se conformer à la loi, bon nombre d’employeurs ont préféré un combo REER collectif et régime de participation différée aux bénéfices. »

 – Michèle Frenette, GRMF

À ­Retraite ­Québec, le ­porte-parole ­Frédéric ­Lizotte rappelle que le plan stratégique 2024‑2027 de l’organisme prévoit de réaliser des travaux de recherche, des portraits et des sondages sur ces sujets. « ­Ceux-ci permettront d’avoir plus d’informations sur les cotisations patronales et salariales aux ­RVER, mais également de dégager des constats sur la retraite et ainsi susciter des réflexions et des échanges », ­assure-t-il.

­Pierre-Carl ­Michaud s’inquiète aussi des taux de cotisation généralement faibles des employés, qui dépassent rarement le niveau minimal décrété par la loi. Ce taux était de 2 % du salaire brut au départ. Il a été haussé à 4 % en janvier 2019. « ­Comme les employeurs n’y cotisent généralement pas, ça soulève des questions sur le taux de couverture en matière de revenu de retraite de ces employés », note ­Pierre-Carl Michaud.

Quelques caractéristiques du RVER

• Le travailleur est automatiquement inscrit, mais peut se retirer
• Le taux de cotisation par défaut est de 4 % du salaire
• L’employeur n’a aucune obligation de cotiser
• Les cotisations au RVER n’entraînent pas de taxes sur la masse salariale
• Le total des frais déductibles du rendement facturé par l’administrateur doit être inférieur ou égal à 1,25 % de l’actif moyen pour l’option de placement par défaut (cycle de vie), et 1,5 % pour toute autre option de placement
• L’administrateur doit offrir une option de placement par défaut et trois à cinq autres options comportant divers niveaux de risque et de rendement
• Les cotisations de l’employeur, le cas échéant, sont immobilisées

Le rôle des employeurs

Dans son rapport de 2023 sur l’­épargne-retraite, Sun ­Life révélait qu’à peine 14 % des employeurs cotisaient au ­RVER de leurs salariés. Au ­Royaume-Uni, le gouvernement impose désormais aux employeurs de cotiser à un régime de retraite, à hauteur de 3 % du salaire. Le ­Québec ­est-il prêt pour une telle approche ?

À la ­Fédération canadienne des entreprises indépendantes (FCEI), la réponse est un non sans équivoque. « ­Les ­PME n’ont pas beaucoup de marge de manœuvre financière et les charges salariales sont déjà très élevées au ­Québec, où elles dépassent de 30 % la moyenne nationale », soutient ­François ­Vincent, ­vice-président de la ­FCEI pour le ­Québec. Dans le ­Baromètre des affaires 2023 de cet organisme, 65 % des ­PME québécoises interrogées désignent les charges salariales comme la principale pression sur leurs coûts.

«Les employés doivent bien comprendre pourquoi c’est important
de cotiser à leur ­RVER et pourquoi 5 % du salaire, c’est mieux que 2 %. »

 – Pierre-Carl Michaud, HEC Montréal

Michèle ­Frenette aussi se montre mitigée devant cette proposition. « ­Si tous les employeurs doivent cotiser, ce n’est plus un avantage compétitif », remarque-t-elle.

Le son de cloche est tout autre du côté de l’Observatoire de la retraite, qui réclame une contribution obligatoire de l’employeur. « ­Sans cotisations de l’employeur, ce n’est pas sérieux », déplore le coordonnateur ­François L’Italien.

S’il concède que les charges salariales sont déjà lourdes pour les ­PME, il invite à faire preuve d’imagination pour surmonter cet écueil. « ­On peut envisager toutes sortes de solutions, comme la création de régimes ­multi-employeurs qui permettent de diminuer les frais de gestion, et même une révision plus globale de la fiscalité des entreprises », ­avance-t-il.

Selon lui, le gouvernement doit élargir sa lentille et regarder les conséquences de maintenir la situation actuelle. « À combien s’élèvent les coûts pour le système et l’impact sur les finances publiques de devoir venir en aide à beaucoup de personnes âgées qui sont pauvres parce qu’elles n’ont pas eu accès à un bon régime de retraite ? », ­demande-t-il.

Il ajoute qu’à l’époque, le groupe de travail qui a planché sur la loi était constitué de ­Retraite ­Québec, des employeurs et des institutions financières, mais que les représentants des salariés n’avaient pas été conviés à la table. « ­Après, on ne doit pas s’étonner que notre régime soit le plus chiche pour les travailleurs par rapport à tous ceux qui ont été mis sur pied dans les pays ­anglo-saxons », ­relève-t-il.

«La loi a amélioré le taux de couverture des régimes de retraite en milieu de travail ; cependant, les régimes mis en place, comme des REER, des RVER et des RPDB, sont de piètre qualité. Les montants économisés restent faibles et les régimes ne permettent pas d’obtenir de bons revenus de retraite. »

 – Riel Michaud-Beaudry, Observatoire de la retraite

Une réflexion globale

On le comprend, les deux ­porte-parole de l’Observatoire de la retraite ne se satisfont pas du tout de la situation qui règne, dix ans après l’adoption de la loi sur les ­RVER. « ­La loi a amélioré le taux de couverture des régimes de retraite en milieu de travail ; cependant, les régimes mis en place, comme des ­REER, des ­RVER et des ­RPDB, sont de piètre qualité, juge ­Riel ­Michaud-Beaudry. Les montants économisés restent faibles et les régimes ne permettent pas d’obtenir de bons revenus de retraite. »

Le plus récent rapport de gestion de ­Retraite ­Québec indique que l’ensemble des ­RVER actifs dans la province comptent 102 000 participants pour 426 millions de dollars d’actif sous gestion. « Cela donne un peu plus de 4 000 $ en moyenne par participant pour des régimes mis en place à la fin des années 2010, calcule le chercheur. Si l’objectif consiste à s’assurer que les salariés jouiront d’une retraite confortable, c’est un échec. »

«Sans cotisations de l’employeur, ce n’est pas sérieux. Depuis 20 ans, nous avons bricolé ce système [de retraite] et nous avons mis des rustines pour bloquer certains trous, mais le temps est venu de nous demander si les moyens que nous utilisons répondent réellement à nos objectifs. »

 – François L’Italien, Observatoire de la retraite

Le RVER en chiffres

2015 (première année complète de disponibilité du RVER)
• 9 régimes
• 1 373 employeurs
• 9 168 participants
• 3,8 millions de dollars d’actif

2023
• 9 régimes
• 12 277 employeurs
• 102 704 participants
• 425,9 millions de dollars d’actif

Source : Retraite Québec

Le décaissement, lentement mais sûrement

Ce qui ne veut pas dire qu’il faut jeter le bébé avec l’eau du bain. « ­Pour les personnes qui ne souhaitent pas épargner ou qui ne sont pas habiles avec l’épargne, le ­RVER revêt certaines caractéristiques intéressantes, comme les portefeuilles cycle de vie, les frais de gestion inférieurs aux fonds communs de placement et un taux de cotisation par défaut », souligne-t-il.

Nombre de plaintes traitées en lien avec les RVER

2024 (au 31 août) : 1
2023 : 6
2022 : 1
2021 : 4
2020 : 1
2019 : 7

Source : CNESST

De son côté, ­Pierre-Carl ­Michaud aimerait qu’un mécanisme soit adopté pour assurer que le niveau de cotisations des employés progresse dans le temps. « ­Par exemple, une partie des augmentations salariales pourrait être automatiquement consacrée à bonifier les cotisations », ­illustre-t-il.

Il cite aussi le besoin crucial d’éducation financière. « ­Les employés doivent bien comprendre pourquoi c’est important de cotiser à leur ­RVER et pourquoi 5 % du salaire, c’est mieux que 2 % », ­indique-t-il.
Si le dixième anniversaire de la loi sur les ­RVER représente l’occasion de dresser un bilan, elle devrait surtout déclencher une réflexion beaucoup plus large sur l’architecture de notre système de retraite au Québec, selon François L’Italien. « ­Depuis 20 ans, nous avons bricolé ce système et nous avons mis des rustines pour bloquer certains trous, mais le temps est venu de nous demander si les moyens que nous utilisons répondent réellement à nos objectifs. »


• Ce texte a été publié dans l’édition de novembre 2024 du magazine Avantages.
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