Même si leur popularité les a rendues onéreuses, les stratégies à faible volatilité demeurent pertinentes, ne ­serait-ce que pour leur effet défensif. Un rééquilibrage des risques est toutefois recommandé.

La crise de 2008 a fait mal à tous et a mis à nu le risque de liquidité. Dans l’univers des caisses de retraite, les régimes de retraite à prestations déterminées (PD) ont été frappés de plein fouet par le rendement négatif en ­Bourse et la volatilité, puis par le recul des taux d’intérêt, alors que les régimes fermés ont ressenti l’urgence d’atténuer le risque mais dans un environnement de faibles rendements. « ­On a vu un basculement des actions vers les stratégies à faible volatilité, question d’avoir un pied dans le marché des actions dans un contexte d’abaissement du risque », explique ­Christine ­Girvan, dirigeante du réseau canadien de distribution du cabinet ­MFS ­Gestion de placements.

Cette logique vaut également pour les régimes qui n’évoluent pas en mode décaissement et pour ceux à cotisation déterminée (CD), pour lesquels l’effet défensif demeure aussi important. « ­Ces stratégies permettent à leurs membres de « rester investis » sur tout le cycle, et d’éviter des retraits au plus bas du marché, précise ­Mme ­Girvan. Dans la mesure où la volatilité du passif est moins élevée, l’actif à faible volatilité peut servir de couverture », ajoute ­BMO ­Gestion d’actifs.

Pondérer différemment

Ce que l’institutionnel recherche avec ces stratégies entrant dans la famille des bêta judicieux, c’est le rendement égal ou supérieur (à l’indice ou au portefeuille de référence) avec une volatilité moins élevée que celle des indices de marché. « ­Il veut pondérer différemment, obtenir un rendement moins risqué et réduire sa vulnérabilité aux excès de marché », explique ­Mario ­Lavallée, professeur au ­Département de finance de l’École de gestion de l’Université de ­Sherbrooke.

La mythique relation ­risque-rendement s’en trouve donc remise en question. Et cela fonctionne ? « ­Oui, répond ­Claude ­Lockhead, associé chez ­Aon ­Hewitt. Nous disposons d’études empiriques couvrant une longue période et d’expérience terrain de plusieurs années. À long terme, les stratégies de faible volatilité font mieux que les stratégies de marché. »

Alain ­Desbiens, ­vice-président, fonds négociés en ­Bourse (FNB) à ­BMO, indique que, de juin 1994 à août 2017, la volatilité minimale a donné un rendement annualisé de 9 % pour les ­FNB de la famille bêta judicieux contre 8,2 % pour le marché, soit le même qu’un portefeuille ­Valeur, mais avec 30 % moins de risque annualisé. Le portefeuille ­Actions de qualité retenu dans cet exemple a offert un rendement annualisé de plus de 11 %, légèrement sous les 11 % pour un fonds dividendes, mais avec 27 % de plus de risque annualisé dans les deux cas.

« L’institutionnel veut pondérer différemment, obtenir un rendement moins risqué et réduire sa vulnérabilité aux excès de marché. »

– Mario ­Lavallée, Université de Sherbrooke

BMO a mesuré que les ­FNB à faible volatilité peuvent capter, bon an mal an, entre 70 et 90 % de la hausse de l’indice de référence, mais entre 35 et 60 % de la baisse. L’on s’appuie ici sur l’observation voulant que les actions à faible volatilité ont tendance à enregistrer des rendements inférieurs dans des marchés haussiers, mais des rendements largement supérieurs dans des marchés baissiers, avec de 20 à 30 % moins de risque que les stratégies d’actions traditionnelles. L’effet cumulatif à long terme est un rendement supérieur par rapport à l’indice pondéré en fonction de la capitalisation boursière. L’on retient également la mathématique démontrant qu’un taux de rendement négatif nécessite proportionnellement un rendement positif plus élevé pour récupérer les pertes.

Les analystes de ­Gestion de placements ­TD ont également démontré qu’une stratégie purement axée sur les actions à faible volatilité peut produire les meilleurs rendements ajustés en fonction du risque. « ­Cette stratégie se trouve plus près de la frontière efficiente puisqu’elle permet de réduire considérablement la volatilité des rendements sans pour autant sacrifier les rendements attendus, comparativement à l’indice pondéré en fonction de la capitalisation boursière », ­peut-on lire dans une analyse de l’institution.

Aussi, « une plus faible volatilité libère du budget de risque qui peut être réparti ailleurs pour générer des rendements supérieurs », dit ­BMO ­Gestion d’actifs. « ­En réduisant le risque de ses stratégies d’actions, le gestionnaire peut investir davantage en actions que ce qu’il ferait normalement. S’il a 40 % d’actions, 60 % d’obligations, il peut passer à ­50-50 sans nécessairement accroître son risque », souligne ­Mario ­Lavallée.

Corriger les excès

Ces stratégies de faible volatilité demeurent pertinentes dans l’environnement actuel. Sur le plan technique, même si les régimes de retraite privés québécois n’ont plus à comptabiliser sur une base de solvabilité, « la ­Loi 29 a, certes, changé la donne mais elle confère plus de latitude. Et à long terme, l’obligation du régime ne change pas. Sans compter que beaucoup d’entre eux sont matures ou fermés », commente ­Christine ­Girvan.

Sur une base conjoncturelle, ces stratégies sont efficaces lorsque les excès de marché se corrigent, ajoute ­Mario ­Lavallée. « Elles sont ­anti-momentum. S’il est vrai que l’on se dirige vers une correction, surtout aux ­États-Unis avec tout ce poids exercé par les ­Google, ­Amazon, ­Facebook, etc., elles devraient bien faire. »

« Les stratégies à faible volatilité demeurent d’actualité, mais il serait opportun de revoir les risques et les recalibrer au besoin. »

– Christine ­Girvan, ­MFS Gestion de placements

Christine ­Girvan note que l’environnement de marché pourrait être moins favorable dans l’avenir. « ­Ces stratégies demeurent d’actualité, mais il serait opportun de revoir les risques et les recalibrer au besoin. »

D’autant que les actions à faible volatilité, qu’on peut apparenter aux stratégies axées sur la valeur, se recrutent souvent dans la famille des titres plus sensibles à une hausse du loyer de l’argent. On peut penser aux entreprises de télécommunications, de services publics et aux fiducies immobilières. « ­La question est pertinente car, effectivement, nous évoluons dans une période de baisse ou de faibles taux d’intérêt depuis les années 1980 », souligne ­Claude ­Lockhead. Et les analystes sont plus nombreux à estimer que l’approche volatilité minimale est devenue dispendieuse, payant le prix de sa popularité.

Aon ­Hewitt le met en exergue. « ­Les faibles rendements des titres à revenu fixe et les faibles rendements potentiels des actifs traditionnels à risque semblent avoir renforcé l’attrait des actions à faible volatilité pour les investisseurs », écrit le cabinet dans une note de novembre 2016. « ­Faible volatilité ne veut pas nécessairement dire bon marché ! ­La popularité croissante de l’indice de volatilité minimum et son solide rendement relatif depuis 2014 ont rendu la stratégie assez coûteuse par rapport à l’historique et à d’autres stratégies. » L’analyste parlait d’un ratio ­cours-bénéfice du ­MSCI ­volatilité minimale atteignant alors les 23 fois, contre 20 pour l’indice ­MSCI ­tous pays.

D’autant que « les stratégies de faible volatilité viennent généralement avec des algorithmes propres aux gestionnaires. Elles s’articulent autour de facteurs qui, tels la volatilité, le style valeur, le style qualité ou le momentum, se positionnent différemment selon le cycle. L’approche est généralement passive, appliquant une méthodologie quantitative plutôt stricte, reposant sur des paramètres statistiques précis, sans nécessairement renfermer des perspectives de marché. Il faut se poser la question d’où nous en sommes dans le cycle », insiste ­Claude ­Lockhead.

Dans un rôle de complémentarité, à ­MFS, on applique plutôt une approche active articulée autour d’une bonne diversification, reposant sur la recherche à la fois fondamentale et quantitative permettant d’éviter les biais inhérents aux différentes stratégies de faible volatilité. Notamment le risque de concentration découlant d’un indice dont la pondération est altérée par rapport à l’indice de référence.

Même regard à ­BMO ­Gestion d’actifs, ­Alain ­Desbiens parlant toutefois d’une priorité accordée au bêta plutôt qu’à la variance. Chez ­Aon on dit également retenir la gestion active.

« À long terme, les stratégies de faible volatilité font mieux que les stratégies de marché. »

– Claude ­Lockhead, ­Aon ­Hewitt

Hausse des taux d’intérêt

Dans une note publiée en mars 2017, ­Alex ­Bryan, directeur de la recherche ­nord-américaine sur les stratégies passives auprès de ­Morningstar, a comparé les rendements obtenus lors de différentes conjonctures de taux d’intérêt à partir de données de décembre 1990 à novembre 2016. En période de hausse des taux, le S&P 500 faible volatilité a affiché une performance annualisée de 1,4 % et le ­MSCI américain volatilité minimale, de 3,6 %, contre 37,4 % pour le S&P 500 bêta élevé. En période de baisse des taux, la performance annualisée est de 10,6 %, 17,3 % et -26,1 % respectivement. L’on reconnaît également que lorsque les rendements obligataires amorcent leur remontée, la volatilité minimum commence à générer des rendements inférieurs.

« ­La hausse des taux d’intérêt pourrait freiner les stratégies à faible volatilité, mais beaucoup d’entre elles continuent d’être de bons placements à long terme, a toutefois conclu M. Bryan. Ces stratégies ont eu une tendance à mieux résister que le marché en période de baisse, et malgré leur sensibilité aux taux d’intérêt, elles sont plus stables que le marché. »