Face à une démographie vieillissante et une situation financière difficile, Via Rail n’a eu d’autre choix que d’apporter d’importants changements au régime de retraite qu’elle offre à ses employés. Mais plutôt que de simplement remplacer son régime à prestations déterminées (PD) par un régime à cotisation déterminée (CD) comme l’ont fait tant d’entreprises, la société de la Couronne a opté pour une solution hybride.

En 2013, Via Rail devait verser l’équivalent de 43 % de sa masse salariale dans le régime PD de ses employés. Le déficit actuariel représentait alors 400 % des revenus annuels du transporteur ferroviaire.

« Nos résultats financiers étaient plombés par le régime de retraite. Chaque année, nous devions obtenir du financement du gouvernement fédéral pour pouvoir verser les cotisations nécessaires dans le régime », raconte Emilie Dugas, directrice spécialiste, rémunération globale à Via Rail Canada.

À la fin des années 1990, Via Rail a profité des importants surplus générés par la caisse de retraite pour prendre des congés de cotisation et bonifier les dispositions du régime. Des décisions qui ont eu de lourdes conséquences à long terme.

De bonification en bonification, le régime est devenu très généreux au fil des ans. « Le taux de remplacement du revenu avant impôt atteignait 107 % à 65 ans. C’est plutôt inusité! », fait remarquer Mme Dugas. À elles seules, les prestations accessoires, telles que l’indexation et la rente au conjoint, représentaient 30 % des coûts totaux.

La situation financière du régime a commencé à se détériorer en 2005, et est devenue critique en 2009 lorsque le régime a enregistré son premier déficit de solvabilité.

« La révision de notre programme de retraite s’est amorcée en 2013. Il fallait alors s’assurer de la pérennité de notre régime, qui n’était plus viable financièrement, explique Emilie Dugas. Notre population d’employés évoluait très rapidement à ce moment-là, c’était une belle occasion d’apporter des changements. »

« On explique à nos participants qu’il s’agit du meilleur des deux mondes. Ils ont une portion qui leur garantit un revenu à vie, et une portion qui leur offre davantage de flexibilité. »

Emilie Dugas, Via Rail

Diminuer les coûts, partager les risques

Le statu quo n’étant plus une option, Via Rail étudie différentes possibilités avant de privilégier la mise en place d’un régime hybride pour les employés syndiqués. Celui-ci inclut une composante PD, dont les paramètres de prestations et de cotisations ont été revus à la baisse, ainsi qu’une composante CD. « On explique à nos participants qu’il s’agit du meilleur des deux mondes. Ils ont une portion qui leur garantit un revenu à vie, et une portion qui leur offre davantage de flexibilité », illustre Mme Dugas.

Pour la portion PD, la formule de rente est passée de 2 % à 0,75 %. Les employés ne cotisent pas à ce volet, dont les risques sont assumés entièrement par l’employeur. Les salariés doivent en revanche verser une cotisation obligatoire de 4 % de leur salaire dans le volet CD, et ont la possibilité de débourser jusqu’à 3 % en cotisations facultatives. Ces dernières leur permettent d’obtenir une cotisation de contrepartie pouvant atteindre 50 % de la part de l’employeur.

Pour alléger les coûts du régime, les prestations accessoires, comme la rente au conjoint, ont été révisées. Celles-ci sont toujours disponibles, mais entraînent une diminution des prestations de base.

Les objectifs principaux de Via Rail avec l’instauration du nouveau régime consistaient à stabiliser les cotisations de l’employeur, à réduire les risques et à maintenir un partage de coût 50-50 à long terme entre l’employeur et les employés.

Cinq ans après la création du régime hybride, la stratégie semble avoir porté ses fruits. Alors que les cotisations de Via Rail se chiffraient à près de 80 M$ en 2013, elles ont fondu à environ 15 M$ en 2019.

La société s’attend également à pouvoir réduire de 40 % le niveau de risque de ses régimes PD d’ici 25 ans. À l’heure actuelle, le ratio de solvabilité du régime oscille autour de 100 %, et Via Rail n’a presque plus besoin de verser de cotisations d’équilibre.

Les employés embauchés avant l’établissement du nouveau régime hybride en 2014 sont pour leur part demeurés dans l’ancien régime PD et continuent d’y accumuler des droits.

À la fin de 2018, on comptait 1 744 participants syndiqués dans l’ancien régime PD et 1 096 dans le régime hybride.

Une transition en douceur

Le régime hybride a été bien accueilli dès le début chez les nouveaux employés, assure Emilie Dugas. « C’est un régime assez généreux et attrayant, une solution différente sur le marché. Quand les recruteurs en parlent, ça suscite la curiosité des candidats. »

Via Rail s’est assurée qu’il n’y ait pas de « différence notable » concernant la rémunération des régimes de retraite des nouveaux participants au régime hybride et des anciens participants au régime PD. Le taux de remplacement de revenu net avant impôt atteint 107 % pour les participants du régime PD, et 93 % pour les participants du régime hybride.

Après cinq ans d’existence, la société de la Couronne dresse un bilan largement positif de son régime hybride, mais ne cache pas qu’une telle formule représente un important défi en matière de gestion et de communication. « C’est certain qu’il s’agit d’un régime complexe à administrer, concède Emilie Dugas. On doit s’assurer que la gestion des deux volets soit efficiente. Il faut aussi faire en sorte que les participants soient capables de bien comprendre leur relevé. On travaille à développer des outils de communication plus ciblés, notamment pour inciter les employés à verser des cotisations facultatives. C’est encore un défi pour nous. »

Ces défis n’ont toutefois rien d’insurmontable, assure-t-elle, et Via Rail entend bien conserver son régime hybride à long terme. « C’est une recette qui nous a bien servis et qui nous sert encore. Elle nous permet d’assurer la pérennité du régime, et n’a pas eu d’impact négatif sur l’attraction ou la rétention du personnel. Il nous reste seulement à peaufiner certains éléments. »

Un régime CD pour les non syndiqués

Alors que l’ancien régime PD couvrait l’ensemble des employés, le nouveau régime hybride n’est offert qu’aux employés syndiqués. Via Rail s’est plutôt tourné vers un régime CD traditionnel pour son personnel non couvert par le syndicat. Le transporteur explique avoir pris cette décision après une analyse des grandes tendances en régimes de retraite dans le secteur privé.

« La présence d’un syndicat a joué un rôle dans le maintien de l’ancien régime PD pour les participants actuels et l’instauration d’un régime hybride pour les travailleurs syndiqués nouvellement embauchés », acquiesce Emilie Dugas.

Dans le régime CD, employés et employeur versent chacun une cotisation de 4 %. Les employés peuvent, s’ils le désirent, ajouter jusqu’à 3 % supplémentaires. Le cas échéant, Via Rail versera également 3 % de plus. La cotisation maximale combinée atteint donc 14 %.

Même chez les employés syndiqués, le régime hybride est loin de faire l’unanimité. La convention collective de plus de 2 000 syndiqués d’Unifor vient à échéance le 31 décembre prochain, et le syndicat entend mettre le régime de retraite au cœur des négociations avec l’employeur.


• Ce texte a été publié dans l’édition de novembre 2019 du magazine d’Avantages.
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