Manquer de fonds pour payer les prestations des retraités est probablement le pire cauchemar des administrateurs de régimes de retraite. Pour éviter de tomber à sec, mieux vaut gérer rigoureusement ses liquidités.

En plein cœur de la crise financière, en 2008, c’est la panique dans les bureaux du ­California ­Public ­Emloyees’ ­Retirement ­System (CalPERS). Aux prises avec de graves problèmes de liquidité, la plus grande caisse de retraite publique des ­États-Unis doit vendre des actions en catastrophe pour honorer les appels de capitaux provenant de fonds privés et de partenaires immobiliers.

Cette vente de feu, effectuée alors que les marchés boursiers sont au plus bas, transforme des pertes virtuelles en pertes bien réelles, écrivait à l’époque le ­Wall ­Street ­Journal. En 2008, ­CalPERS doit notamment liquider 370 M$ ­US d’actions d’Apple, alors que le titre est fortement déprécié. Aujourd’hui, ces mêmes actions vaudraient plus de 2,7 G$ ­US.

En plus de réaliser des pertes sur la vente de certains titres boursiers, ­CalPERS n’a pas pu profiter pleinement du rebond des marchés au début de 2009. Au bout du compte, la caisse de retraite aura laissé filer 70 G$ ­US d’actifs durant la crise financière, et une partie de ces pertes peut s’expliquer par une gestion déficiente de la liquidité.

À l’heure où les caisses de retraite s’arrachent les actifs illiquides sur les marchés privés, le cas de ­CalPERS rappelle l’importance de ne jamais prendre ce risque à la légère.

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En début d’année, le président et chef de la direction de l’Office d’investissement du ­Régime de pensions du ­Canada, ­Mark ­Machin, a d’ailleurs fait part de ses inquiétudes face au transfert massif d’actifs des marchés publics vers les marché privés. Il entrevoit dans cette tendance un amplificateur potentiel de la prochaine crise financière. « S’il devait se produire une dislocation soudaine et profonde sur les marchés, les gestionnaires de caisses de retraite devront vendre rapidement la part de leur actif investie sur les marchés publics », ­a-t-il affirmé en entrevue à ­Bloomberg.

Un risque mal compris

Il est rare qu’un régime se rende au point où il manque de fonds pour payer les prestations de ses retraités, mais ce n’est pas le seul problème qui peut découler d’une mauvaise gestion des flux de trésorerie. Un investisseur à court de liquidités se trouve par exemple dans l’incapacité de saisir certaines occasions d’investissement lorsqu’elles se présentent.

« C’est un sujet qui est clairement plus discuté qu’auparavant, observe ­Felix ­Boyer, conseiller en gestion d’actif chez ­Normandin ­Beaudry. En même temps, les gens comprennent souvent mal ce risque, ce qui peut les amener à le ­sous-estimer. Par désir de diminuer d’autres risques ou d’obtenir des rendements supérieurs, certains peuvent aller trop loin. »

Le risque de liquidité se matérialise lorsqu’un investisseur n’est pas en mesure de vendre ou d’acheter certains placements à bon prix. « ­Il risque alors d’être coincé avec un positionnement différent de celui qu’il désire, et de ne pas pouvoir s’ajuster pour faire face à la conjoncture de marché qu’il anticipe », explique ­Felix ­Boyer.

Contrairement au risque de marché, qui peut occasionner des pertes directes, le risque de liquidité est plus subtil, ce qui peut parfois créer de la confusion chez les investisseurs. « ­On ne parle pas d’un placement trop risqué qui va générer des pertes directes. Avec le risque de liquidité, les pertes vont se matérialiser dans un second temps, lorsque trop de placements illiquides vont empêcher le repositionnement du portefeuille. Il faut faire la nuance », précise M. Boyer.

Peu d’actifs sont à l’abri

Pour gérer adéquatement ses liquidités, une caisse de retraite doit d’abord définir ce qu’elle considère comme un actif liquide. Et ce n’est pas aussi simple que ça en a l’air.

« ­Les politiques de placement des caisses de retraite donnent généralement une définition claire de ce qui est liquide et de ce qui ne l’est pas, souligne ­Elina ­Betman, ­vice-présidente, ­Investissement alternatifs à ­Gestion de placements ­Greystone ­TD. Mais dans la réalité, même un actif qu’on définit comme liquide peut devenir moins liquide dans certaines situations.

On n’a qu’à penser à 2008. C’est pourquoi il est primordial de comprendre les facteurs d’exposition au risque de liquidité propres à chaque actif. »

Crises financières et crises de liquidité vont souvent de pair sur les marchés publics. En revanche, les marchés privés sont illiquides en permanence. Les problèmes de liquidité peuvent donc frapper en tout temps les caisses de retraite qui font preuve de négligence. « ­Sur les marchés privés, l’écart entre le prix que l’on peut obtenir en étant patient et celui qu’on obtient en vendant immédiatement ­peut être très important », prévient ­Felix ­Boyer.

« ­Même au sein des placements dits alternatifs, il y a différents profils de liquidité, note ­Elina ­Betman. L’immobilier, les dettes hypothécaires et les infrastructures génèrent par exemple des revenus récurrents, ce qui n’est pas nécessairement le cas d’autres types d’actifs. La diversification à l’intérieur même du portefeuille de placements non traditionnels est donc importante. »

Dans le domaine du placement privé, les fonds fermés ont une structure qui leur est propre. Avant d’y placer leurs billes, les promoteurs de régime doivent s’assurer de bien comprendre leur modèle d’appels de capitaux et de distributions. « ­Lorsqu’on investit dans un fonds privé, il faut savoir à quelle fréquence on peut avoir accès à de la liquidité », note ­Elina ­Betman.

Si les caisses de retraite qui détiennent un portefeuille d’actifs non traditionnels bien garni doivent se montrer particulièrement prudentes en matière de liquidité, celles qui y sont peu exposées ne doivent en aucun cas se croire immunisées. En période de crise, certains titres liquides peuvent s’assécher très rapidement.

« ­Les investisseurs portent plus attention au risque de liquidité lorsqu’ils investissent dans les marchés privés, mais ça demeure une notion importante dans les marchés publics aussi. On ne peut pas mesurer son exposition au risque de liquidité simplement en regardant sa répartition en actifs non traditionnels », soutient ­Mme ­Betman.

Anticiper le pire

Aucune formule magique ne permet de déterminer en quelques étapes faciles la tolérance au risque de liquidité d’un régime de retraite. ­Celle-ci dépend d’une foule de facteurs, comme sa taille et sa maturité. Évidemment, un régime très mature dont les flux monétaires sont négatifs sera plus sensible au risque de liquidité qu’un régime plus jeune.

« ­Il faut faire des tests de résistance selon différents scénarios », explique ­Felix ­Boyer. L’objectif est d’anticiper le comportement du portefeuille en cas de faible liquidité. Par exemple, si l’immobilier et l’infrastructure offrent une bonne performance dans une période où la ­Bourse chute, la caisse risque de se retrouver ­sous-pondérée en actions, et donc en actifs plus liquides. « ­Et à ce ­moment-là, on ne pourra pas vraiment faire de rééquilibrage », mentionne M. Boyer.

« ­Le risque de liquidité n’est pas statique, il bouge à tous les jours selon les mouvements de marché, ajoute ­Elina ­Betman. Envisager les pires scénarios nous permet de comprendre l’interaction entre les différentes stratégies au sein du portefeuille. »

Suivre aveuglément les grands investisseurs institutionnels canadiens, dont certains ont une cible en placements illiquides de presque 50 %, est donc une très mauvaise idée, insiste ­Felix ­Boyer. « ­Effectuer sa propre analyse permet de trouver la répartition idéale en actifs moins liquides pour son régime. Dans certains cas, ça peut être 15 %, et dans d’autres, 35 %. »

Trouver le point d’équilibre, voilà le secret. Car se montrer trop prudent n’est pas toujours mieux, prévient ­Elina ­Betman. « ­La première chose qui nous vient en tête lorsqu’on pense au risque de liquidité, c’est de ne pas en avoir suffisamment. Mais en avoir trop peut aussi être un risque. Ça signifie qu’on n’a pas un portefeuille aussi diversifié qu’il pourrait l’être, et qu’on laisse de l’argent
sur la table. »

L’approche systématique de BCI

Avec près de 30 % de son actif total investi sur les marchés privés, et une cible à 50 %, la British Columbia Investment Management Corporation (BCI) a mis en place un processus exhaustif pour gérer adéquatement son risque de liquidité.

« La prochaine crise arrive. Il faut être prêt, autant pour éviter d’avoir à vendre des actifs en catastrophe que pour acheter des actifs à escompte », a souligné Samir Ben Tekaya, vice-président, Risques d’investissement à la BCI lors d’une conférence de l’Institut canadien des actuaires en février dernier à Montréal.

BCI traite les questions de liquidité sous deux angles : la liquidité de marché, soit la capacité à liquider un actif rapidement, et la liquidité de financement, qui consiste à détenir suffisamment de liquidités pour couvrir ses besoins.

Pour s’assurer de ne jamais tomber à sec, BCI, dont l’actif sous gestion atteint 145 G$, réalise de nombreux tests de résistance inspirés du ratio de couverture de liquidité utilisé par les banques.

De prime abord, le calcul est plutôt simple : il suffit de diviser le montant total des sources de financement du régime par le montant total de financement requis. BCI fait en sorte que ce ratio se situe en permanence autour de 2. « Le ratio optimal varie selon les régimes. Nous sommes relativement prudents, car cela nous permet d’être opportunistes sur les marchés », explique Samir Ben Tekaya.

Les sources de financement (ou de liquidité) incluent notamment les cotisations, les intérêts, les dividendes, les émissions de dettes, les marges de crédit et les actifs liquides, soit l’encaisse et les obligations gouvernementales.

Le financement requis (ou la demande de liquidité) est pour sa part constitué du paiement des prestations, des remboursements de dettes et des appels de capitaux provenant du marché privé, entre autres.

« Les placements privés sont des sources de liquidité grâce aux dividendes généralement élevés qu’ils versent, mais ils requièrent aussi de la liquidité via les appels de capitaux », note M.Tekaya.

Grâce à ce ratio, BCI est en mesure d’indiquer à ses déposants pendant combien de mois ceux-ci seraient capables de continuer à payer les prestations sans impact s’ils arrivaient à court de liquidité.

Le cinquième plus grand investisseur institutionnel au pays a également élaboré un plan de contingence dans l’éventualité où une crise de liquidité surviendrait. « L’idée de ce plan n’est pas forcément de déterminer quoi faire avec l’actif, mais plutôt de s’assurer que toutes les personnes concernées soient bien au courant de leur rôle, que tous les décideurs soient présents et que toutes les divisions [de l’entreprise] soient prêtes », dit-il.


• Ce texte a été publié dans l’édition de mai 2019 du magazine d’Avantages.
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