Ça y est, il fallait bien que ça se produise un jour : votre régime d’assurance médicaments vient de recevoir sa première réclamation de plus de 100 000 $. Inutile de vous pincer, ce n’est pas un cauchemar, c’est la nouvelle réalité.

L’arrivée sur le marché de nouveaux médicaments biologiques extrêmement coûteux permet certes de changer la vie de patients souffrant de maladies graves, mais elle fait aussi trembler les promoteurs, qui craignent de plus en plus pour la viabilité à long terme de leur régime.

Nouvellement approuvé par Santé Canada, le Strensiq, utilisé pour traiter l’hypophosphatasie, une rarissime maladie osseuse, coûte la somme astronomique de 1,2 million de dollars par an. Et même s’il s’agit d’un exemple extrême, le Strensiq est loin d’être le seul médicament dont le prix peut donner froid dans le dos.

Il y a à peine 20 ans, les médicaments les plus onéreux coûtaient tout au plus quelques milliers de dollars annuellement. Le portrait a évolué si rapidement qu’aujourd’hui les médicaments de spécialité sont responsables de près de 30 % des coûts des régimes privés d’assurance médicaments, alors qu’ils constituent à peine 1 % du nombre de réclamations, selon des données de TELUS Santé.

Au cours des neuf dernières années, le coût de ces médicaments a gonflé de 15,9 % par année, comparativement à une croissance annuelle de seulement 1,5 % pour les médicaments dits réguliers. Si une telle tendance se poursuit, le poids des médicaments spécialisés dépassera celui des médicaments réguliers d’ici six ans au sein des régimes d’assurance collective.

Même s’ils représentent une infime minorité des participants, ceux que l’on appelle les grands réclamants doivent donc faire l’objet d’un suivi serré de la part des promoteurs de régime.

« Il s’agit d’une problématique inquiétante, confirme Marie-Hélène Dugal, gestionnaire du portefeuille de produits, Solutions de gestion de l’assurance médicaments à Croix Bleue Medavie. Les régimes sont de plus en plus nombreux à devoir composer avec des grands réclamants. Quelque chose qui était anecdotique il y a 10 ou 15 ans est devenu monnaie courante aujourd’hui. »

On qualifie généralement les assurés qui consomment pour plus de 10 000 $ de médicaments par année de grands réclamants. Une petite partie d’entre eux sont des grands utilisateurs de médicaments réguliers, mais ce sont surtout les médicaments de spécialité qui sont en cause. Dans le bloc d’affaires de Croix Bleue Medavie, sur les 0,6 % d’assurés qui réclament pour plus de 8 000 $ de médicaments par année, seulement 0,1 % prennent uniquement des médicaments réguliers.

« Les grands réclamants ne sont pas l’unique cause de la hausse des coûts dans les régimes d’assurance médicaments. Dans la plupart des cas, à eux seuls, ils ne vont pas forcément mettre en danger les régimes », tempère Jacques-André Morin, conseiller principal, assurances collectives chez Normandin Beaudry.

Il explique que la situation est surtout inquiétante pour les PME. Pour elles, l’arrivée d’un grand réclamant peut faire augmenter les primes de manière considérable. « On commence même à voir des petits promoteurs aux prises avec de très hauts réclamants se faire refuser par des assureurs. Mais c’est loin d’être généralisé pour le moment », dit-il.

Couvrir ou ne pas couvrir?

Totalement ignorée il n’y a pas si longtemps, la problématique des grands réclamants est aujourd’hui prise au sérieux par la plupart des employeurs. Pour se protéger contre des hausses de coûts insoutenables, ceux-ci doivent s’assurer de mettre en place un certain nombre de saines pratiques de gestion.

La première étape est de se pencher sur la liste des médicaments couverts. Au Québec, un grand nombre de régimes privés utilisent encore une liste régulière, c’­est-à-dire que tous les nouveaux médicaments homologués par Santé Canada sont automatiquement remboursés. Une situation que déplore Johanne Brosseau, consultante en assurance médicaments.

« Je ne suis pas nécessairement en faveur de limiter la couverture des régimes privés à la liste de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), mais il faut quand même cesser de couvrir tous les nouveaux médicaments sans même se demander s’ils apportent vraiment une amélioration par rapport à ceux déjà sur le marché », soutient-elle.

Mme Brosseau évoque par exemple le cas du Sativex, un vaporisateur buccal à base de cannabis utilisé pour diminuer les douleurs neuropathiques des personnes souffrant de sclérose en plaques. « Ce produit n’est pas couvert par le régime public, car il est jugé trop cher. Pourtant, je ne connais pas un seul régime privé qui a refusé de le rembourser à un patient », insiste-t-elle.

Ce n’est pas la responsabilité des promoteurs de décider d’exclure ou non un médicament en particulier, mais plutôt celle des groupes consultatifs formés par les assureurs. Ces groupes d’experts déterminent si les médicaments affichent un prix trop élevé par rapport à la valeur thérapeutique qu’ils procurent. La décision d’utiliser une liste régulière ou une liste gérée selon un tel processus revient toutefois au promoteur.

Certains promoteurs frappés par des hausses de coûts importantes pourraient être tentés d’aller encore plus loin et de ne couvrir que le strict minimum en se basant sur la liste de la RAMQ. « C’est probablement une des mesures les plus draconiennes. Certaines entreprises l’ont fait, mais ce n’est pas encore la majorité », indique Jacques-André Morin.

Les régimes qui décident au contraire de conserver une couverture plus étendue doivent faire preuve de prudence s’ils ne veulent pas devoir rembourser certains médicaments onéreux à des conjoints disposant d’un régime moins généreux, prévient l’actuaire. « Les promoteurs doivent mettre en place des règles administratives pour se protéger, par exemple exiger des conjoints qu’ils fournissent une preuve de perte de couverture pour être assurable. »

Dans le même ordre d’idées, les employeurs devraient à tout le moins s’assurer d’avoir un processus d’autorisation préalable en place. « Avant de rembourser un médicament très coûteux, on exige qu’un formulaire soit rempli par le médecin traitant. On peut ainsi étudier la possibilité d’avoir recours à une thérapie par étapes où l’on rembourse d’abord un traitement plus abordable avant de passer aux coûteux traitements de deuxième ou troisième ligne », explique Jacques-André Morin.

Tests génétiques à la rescousse?

Un médicament a beau coûter les yeux de la tête, rien ne garantit qu’il va fonctionner sur un patient en particulier. Pour éviter des dépenses inutiles, les tests pharmacogénétiques, qui sont en mesure de déterminer la réponse d’un individu à une médicamentation, sont prometteurs. « ­Rembourser un traitement de 100 000 $ quand on est sûr qu’il va produire les effets attendus, c’est totalement différent que de débourser des dizaines de milliers de dollars sans savoir si ça va fonctionner », soutient ­Johanne ­Brosseau. Pour inciter les médecins à prescrire de tels tests, elle estime que tous les promoteurs devraient demander à leur assureur d’ajouter une clause à leur contrat qui prévoit que les tests pharmacogénétiques à des fins de validation de l’efficacité d’un traitement sont couverts jusqu’à concurrence d’un certain montant annuel. « ­Je dis à tous mes clients de le faire, et je les encourage à en informer leurs employés. À mon avis, une telle couverture devrait être systématique dans tous les contrats d’assurance. »

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