Les régimes de capitalisation sont là pour rester, et ce, même s’ils sont souvent critiqués pour leur incapacité à offrir des revenus de retraite suffisants. Y aurait-il moyen de les améliorer?

Plus personne aujourd’hui ou presque au Canada n’ouvre de régime de retraite à prestations déterminées (PD). Jean-Daniel Côté, vice-président retraite à BFL Canada, raconte d’ailleurs une anecdote à ce sujet : il y a quelques années, il se souvient d’avoir eu du mal à remettre la main sur un modèle d’offre de service pour la mise en œuvre d’un régime PD.

« Personne n’avait plus fait ça depuis bien longtemps, souligne-t-il. Je suis dans le milieu depuis 2003 et depuis cette époque, la grande tendance, ce sont les régimes de capitalisation. Certes, le secteur public et les industries qui sont très syndiquées ont encore des régimes PD ouverts. Mais dans le secteur privé, ils sont fermés aux nouveaux membres. »

Ce qui ne signifie pas qu’ils n’existent plus. Les deux régimes coexistent, les plus anciens employés bénéficiant d’un PD tandis que les autres cotisent à un régime de capitalisation.

« Ceci explique que la très grande majorité des actifs se situent encore dans les régimes PD, ajoute M. Côté. Les gens continuent à cotiser et l’obligation de financement légal est telle que ces régimes n’ont pas fini de grossir. Le temps que tout ce monde-là passe en mode décaissement, ça va prendre encore une quarantaine d’années avant que les actifs dans les régimes de capitalisation ne dépassent ceux détenus dans les régimes PD. »

Pas assez d’essence dans le moteur

Il n’y aura pas de retour en arrière, les régimes de capitalisation sont là pour rester. L’objectif est maintenant de trouver la meilleure façon de gérer ce nouveau système, afin qu’il contribue à offrir une bonne qualité de vie à la retraite.

« Les régimes de capitalisation sont des bonnes machines, affirme Jean-Daniel Côté. Encore faut-il bien les nourrir. Si les deux parties, employeurs et employés, cotisent chacune à hauteur de 8 % par exemple, soit 16 % au total, on obtient un excellent régime. Le problème, c’est que la cotisation médiane se situe aujourd’hui en dessous de 4,5 %. Avec seulement 9 % en tout, c’est sûr qu’il n’y a pas assez d’essence dans le moteur. »

Si l’argument mis de l’avant par les employeurs pour fermer leurs régimes à prestations déterminées et aller vers la capitalisation était de réduire le risque fiduciaire, la grande majorité d’entre eux en ont en effet aussi profité pour réduire leurs taux de cotisation.

La solution passerait-elle par l’application de minimums ? Il en a récemment été question lors des discussions ayant mené à l’instauration du régime volontaire d’épargne-retraite (RVER), mais la piste a été écartée. Jean-Daniel Côté avance que cette mesure aurait eu un effet boule de neige sur tous les régimes de capitalisation et que cela aurait certainement fait « descendre les employeurs dans la rue ».

Il semble pourtant que dans les pays où des seuils ont été fixés, les régimes de capitalisation génèrent des retraites plus généreuses.

« En Australie, le taux de cotisation obligatoire est de 9,5 % pour la partie employeurs et il augmentera graduellement à partir de 2021 pour atteindre 12 % en 2025, indique Christine Girvan, directrice générale de MFS Canada. Sans même prendre en compte ce que l’employé cotise, on est déjà au-dessus du taux de cotisation total médian au Canada. »

Adhésion automatique et autres incitatifs

Sans fixer de minimum, certaines pratiques pourraient inciter les employés à cotiser plus dans leurs régimes de retraite. Mme Girvan affirme notamment que l’adhésion automatique avec option de renonciation récolte de bons résultats.

« Il y a deux options, précise-t-elle. Soit c’est à l’employé de remplir les formulaires d’inscription pour être membre du régime, soit celui-ci est automatiquement inscrit et s’il le souhaite, il peut se désinscrire. On se rend compte que dans le deuxième cas de figure, les pratiques d’épargne-retraite sont plus systématiques. »

Claude Harnois, directeur des rentes assurées à iA Groupe financier, évoque lui aussi la nécessité de mettre en place des incitatifs facilitant l’accumulation.

« L’entreprise pourrait décider de fixer des taux de cotisation qui augmentent lorsque l’employé cotise plus, illustre-t-il. Ainsi, ceux qui veulent obtenir des dollars supplémentaires de la part de l’employeur doivent eux-mêmes faire un effort. »

Il évoque également la possibilité que le taux de cotisation augmente lorsque les salaires sont plus élevés, voire en fonction de l’âge de l’employé, tout en admettant que sur ce dernier point, l’industrie ne peut agir seule car elle enfreindrait la loi interdisant toute discrimination en fonction de l’âge.

Guider les participants dans le décaissement

La grande différence entre les régimes PD et les régimes de capitalisation figurent dans le fait que les épargnants ne savent pas à l’avance quel sera le montant de leurs revenus à la retraite, ni s’ils seront capables d’assumer leurs dépenses jusqu’à la fin de leurs jours. D’où la nécessité de se tenir informés des différentes occasions et possibilités qui s’offrent à eux. Les compagnies d’assurance qui fournissent ces régimes aux entreprises rivalisent aujourd’hui de stratégies pour conseiller les employés à tous les stades de leur vie active.

« Les participants ont la possibilité de parler avec un conseiller, indique M. Harnois. Ils évoquent les différentes options et stratégies d’investissement en fonction du profil et des besoins de chacun. Nous organisons des séminaires de retraite et nous nous déplaçons chez l’employeur afin de déterminer individuellement la meilleure planification de retraite de chacun. »

Les fournisseurs s’appuient également de plus en plus sur la technologie afin de permettre à l’employé de faire ses propres projections en fonction de divers scénarios.

« Nous équipons nos clients en leur proposant des solutions pour aider leurs employés à atteindre la sécurité financière », précise Jean-Michel Lavoie, vice-président régional, Développement des affaires au groupe Régimes collectifs de retraite de la Sun Life au Québec. « On a quelque peu minimisé l’importance de la phase de décaissement et l’encadrement des employés, dont les connaissances en finances sont souvent rudimentaires. Il est donc souhaitable de mettre à la disposition des cotisants des outils et calculateurs qui tiennent compte du remplacement de revenu et qui fournissent de puissantes projections. »

Guider les participants dans le décaissement, dans un contexte de volatilité des marchés et de perspectives de rendements amoindries, voilà donc ce à quoi s’affaire l’industrie aujourd’hui. Car tout le monde s’accorde à dire qu’il y a encore du pain sur la planche et que le temps presse. Les premiers participants ayant cotisé à des régimes de capitalisation à atteindre la retraite aujourd’hui ont généralement aussi des revenus en provenance d’anciens régimes PD. Mais les prochaines générations, les Y notamment, ne pourront se reposer que sur le pactole qu’elles auront pu mettre de côté.

« La structure des régimes de retraite à cotisation déterminée (CD) manque nettement de flexibilité, tout particulièrement au Québec, parce qu’ils ont été bâtis à partir des lois et de la logique applicables aux régimes PD, estime Jean-Grégoire Morand, associé chez Normandin Beaudry. Par conséquent,
le seul projet d’épargne – ou presque – pour un régime CD est la constitution d’une rente à la retraite. Ce n’est pas très sexy pour les jeunes. »

Exploiter les émotions

Pour M. Morand, les épargnants demandent davantage de soutien et de flexibilité de la part de leur employeur. Il faut ainsi viser des régimes avec une empreinte émotive plus forte et offrant davantage de flexibilité dans les points d’entrée et les points de sortie. Cette approche permet aux épargnants d’économiser pour leur retraite, mais aussi de pouvoir prendre d’autres sorties sur le chemin.

« Que ce soit l’achat d’une maison, le retour aux études, le financement des études des enfants, une année sabbatique de ressourcement ou pour du bénévolat, précise-t-il. Et ultimement la retraite.

Contrairement au 401(k) aux États-Unis, il est malheureusement très difficile pour les Canadiens de rassembler tous les besoins en épargne dans un seul produit. Ainsi, la clé de la flexibilité se trouve dans une offre combinant plusieurs produits. »

Les Canadiens ayant cotisé à un régime CD se voient quant à eux offrir deux possibilités : l’achat d’une rente viagère ou le transfert des sommes accumulées durant toute leur vie active dans un fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) ou un fonds de revenu viager (FRV).

Si la première permet de pallier le risque de longévité, les bas taux d’intérêt actuels la rendent peu attractive. Les FEER et FRV, de leur côté, ne règlent pas le risque de longévité, d’autant que les Canadiens ont tendance à gérer leurs actifs de manière prudente.

Enjeu de compétitivité

L’industrie et le législateur travaillent donc de concert pour permettre la mise en marché de nouveaux produits de retraite. Les derniers blocages législatifs ont d’ailleurs récemment été levés afin que les participants puissent décaisser à même le régime de retraite de l’employeur. L’avantage pour les participants serait de continuer à bénéficier de frais réduits et de placements réalisés par des experts ayant des actifs importants à gérer. Mais peu d’acteurs croient réellement que les employeurs veulent garder leurs ex-employés au sein de leurs régimes, avec toute la responsabilité qui va avec.

« Ils préfèrent déplacer cette responsabilité vers les compagnies d’assurance, note Eddy Levy, vice-président, Distribution régimes collectifs à Manuvie. Nous avons d’ailleurs mis en place des programmes permettant aux participants de bénéficier de conseils individualisés et de contracter les produits dont ils ont besoin, tout en bénéficiant de frais de gestion avantageux par rapport aux solutions disponibles à la vente au détail. »

« Les retraités font face à deux risques importants : leur longévité et la volatilité des marchés, ajoute Christine Girvan. En même temps, ils souhaitent avoir des revenus garantis mais aussi la flexibilité d’accéder à leur capital. Ce ne sont pas des facteurs dont il est facile de tenir compte dans un seul produit. C’est là que se situe tout l’enjeu. »

Un enjeu de compétitivité, puisque les experts s’entendent pour dire que dans le contexte de pénurie de main-d’œuvre qui prévaut au Québec, l’offre de régime de retraite demeure plus que jamais un facteur d’attraction et de rétention important pour l’entreprise.

« Les habitudes des nouvelles générations en milieu de travail requerront des régimes qui savent s’adapter avec une plus grande flexibilité et une portabilité, conclut Jean-Michel Lavoie. Il faut encadrer les employés, qui se sentent souvent seuls et mal outillés. Notre rôle est de leur rendre la vie plus facile. »

Tendances chiffrÉes

• 90 % des actifs investis (2 000milliards de dollars) dans les régimes de retraite au Canada le sont dans des régimes à prestations déterminées, contre seulement 10 % (210milliards de dollars) pour les régimes de capitalisation. En Australie, la part des actifs dans les régimes de capitalisation est de 87 %, et de 60 % aux États-Unis.

• En ce qui concerne le secteur privé uniquement, les actifs sont aux deux tiers détenus dans des RRPD (400milliards de dollars), contre un tiers pour les régimes de capitalisation (200milliards de dollars).

• 80 % des participants à un régime de retraite se trouvaient dans des régimes PD en 2006contre seulement 67 % en 2016. La proportion de membres actifs dans le secteur public est passée de 93 % en 2006à 91 % en 2016. Pendant ce temps, elle passait de 67 % à 41 % dans le secteur privé.

• Au sein des régimes de capitalisation, les actifs dans les régimes à cotisations déterminées s’élèvent à 97milliards de dollars, contre 93milliards dans les REER collectifs et 14milliards de dollars dans des régimes de participation différée aux bénéfices (RPDB).

• La combinaison d’un REER/RPDB est nettement la préférence des entreprises au Québec quand vient le temps de mettre en place un nouveau régime de retraite.

Sources : Normandin Beaudry, Benefits Canada, Statistique Canada

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• Ce texte a été publié dans l’édition de septembre 2019 du magazine d’Avantages.
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