Les régimes de retraite au pays doivent s’habituer à de nouvelles règles en matière de financement. Quelle incidence ­auront-elles sur les stratégies de gestion des placement?

Malgré l’amélioration des niveaux de solvabilité, les premiers mois de 2018 ont posé d’importants défis aux régimes de retraite. Tandis que l’évolution des politiques monétaires a exercé une pression sur les portefeuilles obligataires, le début de l’année a été marqué par la volatilité des actions après neuf ans de marché haussier.

Chez les actions, l’indice composé S&P/TSX est passé d’un haut de presque 16 413 points en date du 4 janvier à un creux de 15 035 points le 9 février. Les baisses les plus marquées sont survenues au début de février et, alors que l’indice s’est maintenu autour de 15 000, le niveau de volatilité s’est depuis estompé. L’indice ­Dow ­Jones a évolué de façon similaire après avoir atteint un sommet plus tard dans le mois de janvier.

Alors que les investisseurs recommencent à s’intéresser à la volatilité, ­Justin ­Harvey, stratège en solutions chez T. Rowe ­Price, s’inquiète du sentiment d’euphorie qui s’installe chez les investisseurs institutionnels. Il prévient contre un excès d’optimisme à l’avenir. « C’est quasiment comme si les dernières années de croissance avaient effacé des mémoires tout ce qui s’est passé auparavant », ­dit-il.

Dans ce contexte d’incertitude, l’Ontario a récemment emboîté le pas au ­Québec et proposé plusieurs réformes aux règlements encadrant les régimes à prestations déterminées (PD), qui pourraient avoir une incidence sur la perception des risques auxquels sont exposés les portefeuilles.

Les changements majeurs proposés dans la province voisine comprennent entre autres la réduction de 100 à 85 % du seuil de capitalisation sur une base de solvabilité, ainsi que la création d’une provision pour écarts défavorables, qui restreindra les possibilités d’investissement des régimes de retraite et modifiera leur façon de gérer le risque.

Alors que ces changements réglementaires s’ajoutent aux discussions sur la répartition de l’actif, les promoteurs de régime doivent se questionner sur les changements à apporter aux stratégies de placement dans un marché déjà imprévisible. La question se pose : où les régimes de retraite ­voudront-ils investir compte tenu de la conjoncture des marchés et de la nouvelle réglementation?

Ross ­Servick, chef de la distribution pour le ­Canada chez ­Schroders ­Investment ­Management, souligne l’engouement récent des régimes de retraite pour les placements privés. Dans un régime de retraite, ces investissements évoluent moins en dents de scie, ­note-t-il, en partie parce qu’il est plus difficile de vérifier le prix de ces actifs que celui des actifs cotés en ­Bourse.

Toujours selon M. Servick, la possibilité de consulter en temps réel le cours des actifs cotés en ­Bourse accroît la volatilité. En revanche, lorsque le prix est établi sur une base trimestrielle, comme c’est le cas pour les placements privés, « il y a moins d’observations et donc moins de volatilité ».

La réduction proposée des exigences de capitalisation du déficit de solvabilité pourrait toutefois rendre les régimes ontariens plus tolérants à la volatilité des actions, ce qui ralentirait la ruée vers les placements privés, ajoute M. Servick.

« Beaucoup de gestionnaires planchent sur les solutions modulables qui permettraient d’accéder à des catégories d’actifs comme les infrastructures et l’immobilier. »

Jafer Naqvi, Greystone Managed Investments

D’un autre côté, les actifs non traditionnels comme l’immobilier et les infrastructures semblent exercer un certain attrait, observe ­Jafer ­Naqvi, ­vice-président des stratégies à revenu fixe et ­multi-actifs de ­Greystone ­Managed ­Investments. « ­Beaucoup de gestionnaires, nous y compris, planchent sur des solutions modulables qui permettraient à des régimes ­PD – même un petit régime de 10 à 20 M$ – d’accéder à des catégories d’actifs comme les infrastructures
et l’immobilier. »

Les règlements proposés en ­Ontario reconnaissent ce que M. Naqvi nomme la « nature mixte » des actifs non traditionnels et font la distinction entre le revenu fixe et le revenu non fixe, car leur profil de risque contient des éléments communs aux deux catégories.

Dans l’ensemble, les marchés se dirigent ­peut-être vers un niveau de volatilité que les comités de retraite auront du mal à gérer efficacement, faute de souplesse, note ­Justin ­Harvey. La volatilité perçue lors d’une réunion tenue au début de 2018 aurait été très différente de celle perçue pendant une rencontre à la fin du premier trimestre, ­ajoute-t-il. Et la faible fréquence des réunions de nombreux comités peut avoir pour conséquence de masquer la volatilité réelle.

La prédilection des investisseurs pour le marché monétaire témoigne d’une certaine aversion pour le risque provoquée par la volatilité accrue, fait remarquer M. Harvey. En ­Amérique du ­Nord, en ­Europe et au ­Japon, la fin des programmes d’assouplissement quantitatif des banques centrales pourrait ébranler la stabilité des obligations et inciter les investisseurs à détenir des liquidités plus longtemps que d’habitude.

Afin de naviguer dans les eaux troubles à l’horizon, les investisseurs devront faire preuve de souplesse, ajoute ­Justin ­Harvey. Ainsi, ils devront porter une attention particulière aux préoccupations macroéconomiques qui pourraient être annonciatrices de difficultés futures et ajuster leurs répartitions en actions en conséquence.

Compte tenu du conflit commercial entre les ­États-Unis et la ­Chine, il ne manque pas de fluctuations macroéconomiques, le spectre d’une guerre tarifaire pouvant être le grain de sable dans l’engrenage du commerce mondial et nuire aux bénéfices des entreprises.

« On voit beaucoup d’intérêt pour les mandats axés sur les actions mondiales, par rapport à ceux liés à une région ou un secteur quelconque. »

Justin Harvey, T. Rowe Price

« ­Chez les promoteurs de régime, et ce, partout au monde, on voit beaucoup d’intérêt pour les mandats axés sur les actions mondiales, par rapport à ceux liés à une région ou un secteur quelconque, dit M. Harvey. Essentiellement, [on accorde au] gestionnaire la souplesse de diversifier par secteurs, territoires et devises pour chercher de la valeur là où se produisent ces bouleversements de marché. »

En même temps, les investisseurs donnent certains signes d’une volonté de détourner des actions. Un sondage de ­BlackRock publié en janvier a en effet constaté que 45 % des investisseurs institutionnels canadiens et américains prévoyaient réduire leur exposition aux marchés boursiers cette année. Mais quelle que soit la pertinence de ce sentiment, il convient de garder l’incertitude en perspective. Après tout, à quand remonte la dernière fois, ces 20 dernières années, où il n’existait aucune raison de s’inquiéter ?

ZOOM SUR LES CHIFFRES

Les actifs des caisses de retraite des 40 plus importants gestionnaires au pays ont crû de 9,3 % en 12 mois pour atteindre 855,9 milliards de dollars en date du 31 décembre dernier, selon la plus récente édition du sondage de nos collègues du ­Canadian ­Institutional ­Investment ­Network.

Il s’agit d’un chiffre nettement supérieur à celui enregistré en 2016, alors que les actifs gérés se sont appréciés de 4,2 %.

L’année 2017 a été témoin d’une évolution importante du palmarès, même si les noms des quatre premiers gestionnaires demeurent inchangés. Dans l’ordre, ­Gestion de placements ­TD, ­BlackRock ­Canada, ­Phillips, ­Hager & ­North et ­Gestion d’actifs ­Manuvie.

C’est ­Goldman ­Sachs qui a connu la croissance la plus importante, soit 84,8 %, pour atteindre près de 18 G$, grâce notamment à l’arrivée d’un nouveau client.

Plusieurs autres gestionnaires ont par ailleurs mentionné l’apparition de nouveaux régimes de retraite parmi leur clientèle, ainsi que les bons rendements sur les investissements.

Texte écrit par ­Martha ­Porado, journaliste à ­Benefits ­Canada.Traduction et adaptation de ­Simeon ­Goldstein.