Entre la volatilité accrue sur les marchés, l’inflation galopante et les enjeux liés à la transition vers une économie plus sobre en carbone, les caisses de retraite sont soumises à une forte pression pour générer des rendements suffisamment élevés pour respecter leurs obligations envers leurs participants. Heureusement, les turbulences sont parfois créatrices d’opportunités.

« On a bien des raisons de penser que les 10, 15 ou 20 prochaines années sur les marchés financiers seront fort différentes de ce que l’on a connu jusqu’à présent », a soutenu Aaron Bennett, chef des investissements au University Pension Plan de l’Ontario (UPP) dans le cadre du Forum de l’Institut canadien de la retraite et des avantages sociaux.

Né du regroupement des régimes de retraite de trois universités ontariennes, UPP, dont l’actif sous gestion atteint 10,5 milliards de dollars, a été créé en juillet 2021 et regroupe plus de 35 000 participants.

« La forte hausse de l’inflation nous pousse à envisager plus rapidement que nous aurions pensé certaines transformations à nos portefeuilles », explique Aaron Bennett, qui estime qu’à court terme, la fin des perturbations liées à la pandémie et le rétablissement progressif des chaînes d’approvisionnement pourraient contribuer à diminuer les pressions inflationnistes.

En revanche, des facteurs à plus long terme tels que la démographique et la démondialisation continueront de favoriser des pressions à la hausse. « Je ne pense pas que les taux actuels d’inflation vont perdurer, mais je ne crois pas non plus que l’on retournera aux taux de 1 ou 2 % auxquels nous étions habitués avant la pandémie », dit-il, en insistant du même coup sur l’importance pour les régimes de retraite de bien comprendre la sensibilité de leur passif à l’inflation.

Toujours au chapitre de l’inflation, Aaron Bennett souligne la difficulté de trouver le bon équilibre dans les portefeuilles. « Les actifs traditionnels permettant de se protéger contre l’inflation, comme les obligations à rendement réel, sont plutôt chers. Les produits de base aussi. L’immobilier et l’infrastructure font du bon travail à ce niveau, mais sont peu liquides et très opportunistes. Il faut faire preuve d’innovations et chercher d’autres solutions, comme les crédits carbone, qui sont en forte croissance et sont liés à l’inflation. »

Gérer la liquidité

Dans tous les cas, les investisseurs institutionnels doivent s’assurer de détenir suffisamment de liquidités en portefeuille pour pouvoir saisir les opportunités lorsque celles-ci se présentent, affirme pour sa part Asif Haque, chef des investissements au régime de retraite des collèges d’arts appliqués et de technologie de l’Ontario (CAAT).

« La chute des marchés boursiers ces dernières semaines et, incidemment, l’augmentation du poids relatif de nos investissements moins liquides au sein de notre portefeuille nous ont forcés à entamer des discussions sur la liquidité. Combien d’encaisse doit-on conserver dans la caisse ? Que doit-on vendre en premier, en deuxième ? On ne veut surtout pas arriver au point où on serait obligé de vendre un actif à un prix terriblement bas », soutient M. Haque, en ajoutant que le niveau de capitalisation élevé du régime lui permet d’absorber davantage de volatilité.

Pour autant, le régime de CAAT et ses 18 milliards de dollars d’actif sous gestion ne tournent pas le dos aux actifs d’immobilier et d’infrastructure moins liquides. « Ces actifs occupent toujours une place de choix dans nos stratégies à long terme, mais il faut être plus sélectifs aujourd’hui et s’assurer d’avoir de bons partenaires. Dans l’environnement actuel, il est aussi essentiel de bien comprendre le niveau de sensibilité à l’inflation de chacune de nos transactions. »

« L’argent facile en immobilier et en infrastructure, ça n’existe plus, elle a déjà été faite », confirme Aaron Bennett. Tout comme son homologue, il insiste sur l’importance d’être très sélectif et de miser sur la création de valeur à long terme. Dans un marché de plus en plus mature, les opportunités se trouvent possiblement dans les marchés de niche, ajoute-t-il.

Le régime des CAAT observe d’ailleurs avec beaucoup d’attention le marché des terres agricoles, des actifs d’autant plus intéressants en période de forte inflation.

L’ESG encore à ses balbutiements

Même si le régime de retraite des CAAT a créé sa politique d’investissement responsable en 2007, il reste lui reste encore énormément de travail à accomplir dans le domaine, admet Asif Haque. « Les renseignements climatiques sont encore difficiles à obtenir. On a un besoin critique de données standardisées si on veut être capable de réduire notre empreinte carbone. Nos portefeuilles sont tellement gros et investis dans tellement de secteurs qu’il est ardu de capter tous les impacts environnements et sociaux de nos investissements. »

Et s’il n’y a aucun doute que les considérations climatiques doivent être au centre des décisions prises par les investisseurs institutionnels, Asif Haque estime que la transition vers une économie à plus faible émission de carbone ne sera pas sans conséquence sur l’inflation.

Au-delà des marchés financiers

En tant que chefs des investissements de grandes caisses de retraite, Asif Haque et Aaron Bennett partagent des préoccupations qui vont bien au-delà des marchés financiers. Dans un marché de l’emploi extrêmement serré, ils doivent s’assurer d’attirer et de retenir les meilleurs talents au sein de leur organisation.

« Être sûr que mon équipe soit engagée envers notre mission et continue de trouver de bonnes idées pour que nos portefeuilles performent est l’une de mes grandes inquiétudes », confie Asif Haque. Pour créer un milieu de travail de premier plan, le régime des CAAT s’efforce d’offrir à ses employés une rémunération juste, le plus de flexibilité possible et de nombreuses possibilités de formation et de perfectionnement. « On veut que nos employés aient une carrière, pas seulement un emploi », résume-t-il.

À UPP également il est difficile de trouver les bons candidats pour pourvoir les postes disponibles, confirme Aaron Bennett. Le régime de retraite mise notamment sur les principes d’équité, de diversité et d’inclusion pour favoriser un milieu de travail plus accueillant. « On veut que les jeunes travailleurs issus de la diversité aient des modèles dès les premiers stades de leur carrière, qu’ils puissent se reconnaître dans les dirigeants en place, se projeter à long terme dans l’organisation. »

« On n’a pas de contrôle sur les risques systémiques de l’économie et des marchés financiers, poursuit-il. Mais on peut au moins s’assurer que les gens qui travaillent pour nous se sentent bien et engagés. »