Le grand patron de l’agence fédérale d’infrastructure estime qu’il existe une voie rapide pour mettre en valeur sa pertinence, et croit qu’elle peut se démarquer en s’attaquant aux risques démesurés pour attirer des milliards de dollars du privé dans de nouveaux projets de construction.

Ehren Cory, récemment nommé au poste de président-directeur général de la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC), a souligné que le risque et l’incertitude freinaient les investissements privés dans de nombreux projets à travers le pays.

Le gouvernement libéral de Justin Trudeau a créé en 2017 l’agence pour combler cet écart, en utilisant 35 milliards $ de financement fédéral pour attirer deux ou trois fois ce montant en dollars du secteur privé, faisant valoir que cela augmenterait la capacité d’Ottawa à financer la construction de routes, de ponts, de projets énergétiques, d’aqueducs et de systèmes d’eaux usées.

Les libéraux espéraient ainsi financer des projets générateurs de revenus, pour lesquels il y aurait un rendement pour les investisseurs, afin de libérer des subventions pour d’autres travaux.

Alors que les bailleurs de fonds du secteur privé calculent le rendement sur leurs investissements, M. Cory a souligné que l’agence examinait plutôt ce qu’elle pouvait obtenir au chapitre des résultats publics, comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou la connexion de nouvelles maisons à internet haut débit.

Mais maintenant, elle doit se démarquer dans un marché où les taux d’intérêt ont atteint leur plus bas niveau en raison de la pandémie. Les grands investisseurs peuvent emprunter de l’argent bon marché ici et investir à l’étranger, où la croissance démographique et les rendements sont plus élevés.

Ce que l’agence fédérale peut faire pour garder le capital au pays, c’est prendre une position financière « avec un risque démesuré pour notre argent bon marché », a expliqué M. Cory, rendant l’investissement pour le secteur privé beaucoup plus satisfaisant.

« Je veux toujours qu’ils partagent ce risque avec moi _ sinon pourquoi collaborer avec eux, mais il s’agit de (…) combler l’écart du risque », a précisé M. Cory lors d’une entrevue.

« À la BIC, nous ne croyons pas que la clé réside dans le faible coût de financement. La clé réside dans la manière dont nous sommes prêts à surmonter l’incertitude commerciale, technologique et économique, juste assez pour que l’aspect économique des projets fonctionne. »

Un lien avec le monde politique

La nomination de M. Cory a été l’une des nombreuses initiatives des libéraux dans les six derniers mois, après des années de critiques reprochant à la banque d’être trop lente à approuver le financement et de mettre en valeur des projets trop marginaux pour réussir à attirer de gros investisseurs.

Le gouvernement a révisé le mandat de l’agence et a nommé un nouveau président du conseil.

Les libéraux ont permis à l’agence de se concentrer à court terme sur des projets qui comblent des lacunes critiques, stimulent l’économie et peuvent passer rapidement du concept à la construction à l’utilisation, a expliqué M. Cory.

En tant que société d’État, il est raisonnable que la banque investisse dans les domaines prioritaires fixés par le gouvernement, mais qu’elle reste indépendante dans ses décisions d’investissement, a-t-il ajouté.

Le lien politique de l’agence est quelque chose que les investisseurs institutionnels gardent en tête. L’orientation du gouvernement envers l’agence pourrait changer, ou un nouveau gouvernement pourrait la fermer, comme les conservateurs et les néo-démocrates ont chacun promis de le faire.

M. Cory a affirmé que les préoccupations concernant la politique et les élections ne s’étaient pas glissées dans les conversations qu’il a sur le marché. Les inquiétudes tournent toujours autour des risques, a-t-il précisé, en évoquant des projets à taux zéro assortis d’incertitude au sujet de la technologie, des coûts ou de l’évolution, ou de ce qui arrivera à la taxe sur le carbone.

Depuis l’automne, l’agence a annoncé le financement de trois nouveaux projets, dont un prêt de 407 millions $ sur 35 ans pour agrandir l’infrastructure d’irrigation dans le sud de l’Alberta.

M. Cory a indiqué que d’autres projets devraient être annoncés dans les semaines et les mois à venir, dont un pour des autobus de transport en commun à émissions nulles, pour lesquels les économies générées par l’absence d’achat du diesel peuvent rembourser le prêt de la banque qui a servi à financer les coûts d’achat initiaux plus élevés.

Les changements internes à l’agence pour accélérer les examens devraient permettre à la banque d’avoir réalisé une dizaine d’investissements d’ici l’été, a-t-il calculé, avec une valeur d’environ 2,5 milliards $ en capital de la BIC et de 6 milliards $ en valeur totale de projets.

Si cela se passe bien, M. Cory croit que cela devrait intéresser le marché et générer un intérêt à court terme pour la banque.

Mais il reconnaît que l’agence dispose d’une voie limitée pour démontrer sa valeur à long terme.

« Il n’y a personne, à aucun niveau de gouvernement, d’aucun parti politique, qui dit que nous n’avons pas besoin de davantage (d’infrastructures) construites plus rapidement, et de meilleures qualités que ce que nous avons fait par le passé », a affirmé M. Cory.

« Si nous pouvons démontrer que nous sommes utiles dans cet espace, alors je pense que la BIC aura un rôle à jouer pendant très, très longtemps. »

Initiative pour les communautés autochtones

L’institution a lancé un programme pour offrir un financement à faible taux d’intérêt et à long terme pour les projets d’infrastructure autochtones.

Selon la banque, l’Initiative d’infrastructures autochtones (IICA) offrira des prêts d’au moins 5 millions $ pour un maximum de 80 % du coût total des projets associés aux infrastructures vertes, à l’énergie propre, à internet haut débit, au transport en commun et au commerce et transport.

Les prêts visent à créer une croissance économique dans les communautés autochtones, à améliorer la sécurité énergétique, à réduire les gaz à effet de serre et à donner à davantage de personnes un accès à internet fiable et à de l’eau potable.

Le programme intervient après que le gouvernement fédéral a demandé à la banque, en février, d’allouer au moins 1 milliard $ aux projets d’infrastructure autochtones dans les secteurs prioritaires.

À elles seules, les communautés des Premières Nations font face à un déficit d’infrastructure totalisant jusqu’à 30 milliards $, selon un rapport de 2016 du Conseil canadien pour les partenariats public-privé.

Une analyse de 2020 de Nunavut Tunngavik, qui représente les Inuits du territoire et leurs droits en vertu de la Loi sur le Nunavut, n’a pas quantifié le déficit d’infrastructure dans sa communauté, mais a conclu que l’infrastructure du territoire était généralement « inadéquate, en mauvais état ou tout à fait absente » par rapport au niveau de référence canadien.