Le 27 décembre dernier, le gouvernement du Québec a déposé un projet de règlement dont on parle peu, et qui, pourtant, vient révolutionner les règles d’immobilisation qui ont toujours constitué la base même des régimes de retraite traditionnels.
Ce projet de règlement vise à libéraliser les règles d’immobilisation pour les retraités de 55 ans et plus qui détiennent des sommes dans un Fonds de revenu viager (FRV) ou dans un régime de retraite à cotisation déterminée offrant les prestations variables (PV).
S’il est adopté, il permettra aux participants inactifs de 55 ans et plus de toucher, sans condition, la totalité des sommes qu’ils y détiennent. Exit le concept d’immobilisation qui visait à garantir l’étalement viager des sommes accumulées pour la retraite.
Pourquoi un tel revirement ? D’abord, à cause de la prise de conscience générale des risques liés à la longévité pour les nombreux Québécois qui n’ont pas accès à un régime de retraite à prestations déterminées. Puis, par concordance avec la volonté du gouvernement du Québec de favoriser un accès plus tardif aux revenus des régimes publics que sont le Régime de rentes du Québec et la pension de la Sécurité de la vieillesse.
Les rentes provenant des régimes publics étant viagères, garanties peu importe les conditions du marché et pleinement indexées, elles constituent un outil tout désigné pour gérer le risque de longévité et protéger le pouvoir d’achat une fois à la retraite.
Rappelons également que le Régime de rentes du Québec a été bonifié par l’ajout d’un régime supplémentaire, par la hausse du maximum des gains admissibles à ce régime, et par l’introduction de facteurs de rééchelonnement avantageux pour le report du début des versements entre 65 et 72 ans. La pension de la Sécurité de la vieillesse a également été bonifiée par l’augmentation de 10 % de la rente payable à compter de l’âge de 75 ans.
Or, pour appliquer la stratégie du report des rentes provenant des régimes publics, il faut disposer de suffisamment de fonds d’autres sources entre le début de la retraite et le versement ultérieur de ces rentes. C’est là où les règles d’immobilisation traditionnelles, qui ne permettent que le décaissement viager graduel des sommes accumulées, viennent jouer les trouble-fête. D’où le changement proposé par le gouvernement du Québec.
Qu’est-ce qui changera ? Diverses règles de calcul des revenus viagers et temporaires avant l’âge de 55 ans seront modifiées, mais essentiellement, lorsqu’il sera adopté, le règlement abolira le plafond des retraits dès l’âge de 55 ans.
Montants maximums provenant d’un FRV ou de PV (règles générales)
Règles actuelles | ||
Moins de 54 ans* | 54 à 64 ans* | 65 ans et plus |
Revenu viager (retrait plafonné) | Revenu viager (retrait plafonné) | Revenu viager seulement (retrait plafonné) |
Revenu temporaire (retrait plafonné) moins portion des autres revenus de l’année | Revenu temporaire (retrait plafonné) sans égard aux autres revenus |
*Au 31 décembre de l’année précédente
Règles proposées | |
Moins de 55 ans | 55 ans et plus |
Revenu viager (plafond augmenté) | Revenu au choix ; aucun plafond applicable aux retraits |
Revenu temporaire (plafond augmenté) moins totalité des autres revenus de l’année |
Notons que bien que le projet de règlement vise les FRV et les régimes à cotisation déterminée offrant les PV, il aura, par ricochet, un impact potentiel sur le décaissement des régimes à prestations déterminées de compétence provinciale qui permettent le transfert de la valeur actuarielle de la rente après l’âge de 55 ans.
Si le règlement est adopté tel quel, le plafond du retrait viager du FRV et des PV sera aboli pour les 55 ans et plus à compter du 1er juillet 2024 et les administrateurs de régimes auront alors l’obligation d’en informer les participants. Ils auront par la suite jusqu’au 1er janvier 2025 pour appliquer les nouvelles règles de calcul des revenus viagers et temporaires et mettre à jour la documentation.
Voilà qui révolutionne la prémisse de revenu viager propre aux régimes de retraite traditionnels. Ces nouvelles règles sont le reflet d’une approche globale qui permet d’individualiser de plus en plus les stratégies de décaissement à la retraite.
Cette flexibilité vient avec une plus grande responsabilisation de la part des participants pour ne pas épuiser trop rapidement leurs sommes accumulées pour la retraite. Et cette responsabilisation entraîne un besoin immense d’information et de conseils avisés.
Michèle Frenette est conseillère spécialisée en régimes de retraite collectifs et fondatrice de GRMF inc.
Pierre Marcotte est expert, retraite, avantages sociaux et rémunération chez Marcotte Information