La gestion du risque lié aux régimes de retraite canadiens par le biais de stratégies guidées par le passif suscite un vif intérêt de la part des promoteurs de régimes de retraite à prestations déterminées (PD). Selon un sondage effectué par Towers Watson en 2014, 53 % des promoteurs sont susceptibles d’effectuer un achat de rentes collectives au cours des deux à trois prochaines années. Cet intérêt accru s’observe alors que de nombreux promoteurs vivent des défis financiers considérables liés à leurs régimes de retraite. La chute des taux d’intérêt ainsi que la volatilité des marchés boursiers au cours des dernières années ont contribué à l’émergence d’une culture de gestion de risques au sein des entreprises.

Mais justement, qu’est-ce qui motive les promoteurs à passer de la parole aux actes et à acheter des rentes collectives ? La question est valable. Pour y répondre, il faut d’abord comprendre qui sont les promoteurs qui agissent et quels sont les principes directeurs qui les poussent à appuyer sur la détente. Nous examinerons par la suite le processus d’achat.

Soulignons que ce sont les organisations du secteur privé qui ont le plus d’appétit pour l’achat de rentes comme stratégie de gestion de risques, selon le sondage. Le secteur public, quant à lui, a indiqué être davantage intéressé à revoir la conception des régimes et à utiliser des stratégies de gestion de l’actif comme moyens de gérer les risques. Alors qu’historiquement les achats de rentes collectives se faisaient généralement suite à une liquidation de régime, de plus en plus d’organisations du secteur privé achètent des rentes pour des régimes qui demeurent en vigueur. Ainsi, comme le montre le graphique ci-dessous, les achats de rentes collectives comme stratégie de transfert de risques pour les régimes en vigueur représentent près des deux tiers (68 %) du volume total en 2014 selon l’Indice du volume d’achat de rentes Towers Watson, un record.

Principes directeurs

Quatre principes directeurs fondamentaux motivent une entreprise à acheter des rentes collectives :

  • Stratégie pré-liquidation

Nombre de promoteurs de régimes ont déjà pris la décision de cesser l’accumulation des prestations déterminées d’une manière ou d’une autre et de les remplacer par un régime à cotisation déterminée (CD), du moins pour les employés nouvellement embauchés. Dans ces cas, une liquidation du régime par le biais d’un achat de rentes et du versement de sommes forfaitaires se produira éventuellement. Par une surveillance active du marché des achats de rentes, plusieurs promoteurs ont été en mesure de saisir des bonnes occasions sur le marché et de garder un certain contrôle des impacts financiers en réglant les engagements de façon échelonnée sur la période menant à la fermeture complète du régime.

  • Réduction de la taille du régime

Plus de la moitié des répondants (57 %) au sondage ci-mentionné considèrent les obligations actuelles au titre de leur régime PD comme étant importantes par rapport à la taille de l’entreprise. Pour certains, les obligations du régime exposent l’entreprise à des risques ayant une incidence importante sur les résultats financiers, voire qui sont susceptibles de mettre l’entreprise en péril. Sur le plan financier, la souscription de rentes collectives a permis à certains promoteurs de rajuster l’exposition au risque à un degré plus convenable à l’entreprise en réduisant la taille du régime par rapport à celle de l’entreprise. Ainsi, le fardeau financier a pu être maintenu à un niveau acceptable, ce qui a assuré la pérennité de l’entreprise et dans certains cas, du régime de retraite.

Sur le plan législatif, rappelons que le Comité d’experts sur l’avenir du système de retraite québécois – le comité D’Amours – recommandait en avril 2013 « d’autoriser l’achat de rentes auprès d’un assureur en cours d’existence du régime, afin d’acquitter les rentes de service et de se dégager ainsi de la responsabilité à l’égard de ces retraités et bénéficiaires ». Si cette recommandation venait à être implantée, un achat de rentes permettrait donc un règlement complet des engagements liés aux participants sous juridiction québécoise. Ceci aurait pour effet d’augmenter davantage l’intérêt des promoteurs à l’égard des achats de rentes collectives.

  • Atténuation du risque de longévité

C’est bien connu; les dernières décennies ont été marquées par une augmentation considérable de l’espérance de vie. Cette tendance pourrait très bien se maintenir dans le futur. Une augmentation non-planifiée d’une année à l’espérance de vie se traduit par une augmentation de l’obligation d’un régime d’environ 3 % à 4 %, ce qui constitue un risque qui, historiquement, n’a pas été récompensé. Certains régimes se sont tournés tout naturellement vers la gestion du risque de longévité. Par la souscription d’un contrat de rentes collectives auprès d’un assureur, le promoteur transfère ce risque à ce dernier qui devient responsable du versement des rentes jusqu’à leur échéance. La tendance grandissante vers la gestion du risque de longévité par les promoteurs de régimes PD au Canada semble suivre celle observée au Royaume-Uni au cours des dernières années.

  • Alternative au revenu fixe

Les stratégies de placement telles que la révision de la composition de l’actif ont été populaires au cours des dernières années afin d’obtenir une certaine protection contre le mouvement des taux d’intérêt. Cependant, ces stratégies n’éliminent pas le risque de mésappariement des flux financiers et le risque de longévité. Certains promoteurs ont éliminé ces risques en considérant les contrats de rentes collectives comme une catégorie d’actif à part entière du portefeuille du régime. En effet, un contrat de rentes peut être considéré comme étant un type de titre à revenu fixe qui procure un appariement parfait des flux financiers et une couverture complète du risque de longévité, en plus de parfois générer un rendement implicite supérieur au portefeuille actuel.

La liquidation de titres à revenu fixe pour acquitter la prime de l’achat de rentes collectives a été utilisée à maintes reprises au cours des deux dernières années. En effet, cette stratégie élimine une des préoccupations les plus fréquentes des décideurs : les taux d’intérêt sont-ils trop bas pour justifier un achat de rentes ? La substitution de titres à revenu fixe par des rentes collectives répond à cet enjeu. À titre illustratif, acheter une maison suite à une forte hausse du marché immobilier n’est pas une préoccupation si cette transaction s’accompagne de la vente simultanée d’une propriété de même valeur.

Examinons maintenant les différentes étapes pour les promoteurs qui songent à une stratégie d’achat de rentes.

Processus d’achat de rentes

Un achat de rentes représente une transaction financière pouvant atteindre plusieurs centaines de millions de dollars. Les promoteurs de régime doivent donc bien comprendre la rigueur entourant le processus d’implantation d’une telle stratégie.

En premier lieu, le promoteur doit déterminer la répartition de l’actif du régime. Cette étape consiste à définir la répartition de l’actif en préparation à l’achat de rentes et, pour les régimes qui demeurent en vigueur, la répartition de l’actif suivant la transaction. Nous avons observé qu’une stratégie efficace est d’accumuler des titres à revenu fixe dans la caisse qui serviront ensuite à payer la prime à l’assureur sélectionné au moment de la transaction. En effet, cette approche évite que la transaction ne soit remise en question au moment de l’achat de par les aléas des marchés boursiers et des taux d’intérêt. À titre d’exemple, certains promoteurs ont été en mesure de procéder à un achat de rentes en octobre 2014, en pleine volatilité des marchés boursiers, puisqu’ils avaient préalablement accumulé des titres à revenu fixe pour acquitter l’entièreté de la prime.

La prochaine étape est de sélectionner le type de contrat de rentes à mettre en place soit « avec » ou « sans » rachat des engagements, qu’on a tendance à nommer selon la terminologie anglaise buy-out et buy-in respectivement. Bien que ces deux types de contrat procurent un transfert semblable des risques, certaines nuances existent au point de vue législatif et financier. Le choix du type de contrat dépend largement des objectifs et des priorités du promoteur.

Ensuite, l’établissement d’une stratégie de mise en marché appropriée est primordial pour obtenir une soumission avantageuse. Le groupe entier de participants peut être transféré à un seul assureur, ou réparti en plusieurs tranches entre différents assureurs. D’ailleurs, dans les deux dernières années, des achats de taille importante, soit de plusieurs centaines de millions de dollars, ont été complétés avec de telles tranches. Cette stratégie a permis aux promoteurs d’obtenir un meilleur prix d’achat étant donné les préférences de taille de transactions de certains assureurs. Il demeure toutefois possible d’assurer des groupes de taille importante sans l’utilisation de tranches avec certains assureurs ou en ayant recours à un réassureur.

De façon générale, une soumission reçue d’un assureur pour un achat de rentes n’est valide que pour une courte période (souvent quelques heures seulement). La prise de décision peut être facilitée en établissant d’avance un certain nombre de déclencheurs qui reflètent les objectifs du promoteur (ex. : incidence comptable, coût de provisionnement, degré de solvabilité, profil de l’assureur, etc.). Finalement, le paiement de la prime se fait généralement en espèces provenant de la vente d’actifs de la caisse de retraite. Une autre option consiste à effectuer un transfert des titres de la caisse du régime directement à l’assureur. Cette option est surtout avantageuse pour les transactions de taille importante puisqu’elle permet d’éviter la vente d’un volume significatif de titres, ce qui pourrait en influencer leur valeur marchande.

Déterminer ses besoins

De nombreuses stratégies s’offrent alors aux promoteurs de régimes qui désirent réduire le risque lié à leurs régimes PD. Plusieurs ont décidé d’acheter des rentes collectives au cours des dernières années et d’autres le feront certainement dans les deux à trois prochaines années. Et ce, malgré le bas niveau des taux d’intérêt. Pour ceux ayant déjà agi, la décision de procéder s’est faite suite à un examen des principes directeurs de l’entreprise et avec une compréhension complète des impacts d’un achat de rentes.

Toute organisation qui désire gérer les risques de ses régimes de retraite PD serait alors bien avisée de tout d’abord déterminer ses besoins et de considérer l’éventail de stratégies qui s’offrent à elle. La mise en place d’un processus décisionnel rigoureux constitue la clé pour atteindre ses objectifs de gestion des risques.

Marco Dickner, FICA est chef du secteur Retraite de Montréal et de l’Équipe d’achats de rentes chez Towers Watson

Jonathan Morin, FICA est responsable des transactions, Équipe d’achats de rentes chez Towers Watson