Attrapez la télécommande, décapsulez une bière et installez-vous bien confortablement : la nouvelle saison de la LNH vient de commencer.

Et pendant que les partisans auront les yeux rivés à leur écran, la Ligue nationale de hockey et le syndicat des athlètes – l’Association des joueurs de la LNH (AJLNH) – vont continuer de peaufiner la trajectoire à long terme du nouveau régime de retraite à prestations déterminées (PD). Celui-ci contribue à assurer l’avenir des joueurs, qu’ils soient américains ou canadiens, et élimine d’importantes disparités qui existaient jusqu’alors entre les joueurs de part et d’autre de la frontière.

« Nous voulions être certains d’être prêts pour la vie après le hockey », résume Colin Greening, ailier gauche des Sénateurs d’Ottawa, qui est également l’un des fiduciaires du régime de l’AJLNH. Le nouveau régime est entré en vigueur au début de l’année dernière, dans le cadre de l’accord intervenu après un lock-out de plusieurs mois.

M. Greening précise que le régime PD était une priorité pour les joueurs au cours des négociations, car en dépit de leur jeune âge, ils étaient conscients de la valeur de ce type de régime. « Au cours du processus de négociations, nous avions des gars de 18 ou 19 ans conscients des avantages à long terme d’un régime PD, explique-t-il. Ce n’est pas un sujet que l’on aborde d’habitude à 18 ou à 19 ans. »

La LNH a déjà disposé à une certaine époque d’un régime PD. Mais en 1986, elle était passée à un système de cotisation déterminée (CD), dans le cadre de la convention collective négociée alors. Le régime CD, administré par la Financière Sun Life, a été gelé et tous les nouveaux joueurs sont inscrits au régime PD. En échange de ce dernier, les joueurs ont accepté de percevoir un pourcentage moins important des revenus de la ligue, à savoir 50 %, et donc un recul depuis le niveau de 57 % qui figurait dans la précédente convention collective, explique Jessica Berman, vice-présidente et directrice adjointe des affaires juridiques de la LNH.

« L’argent qui aurait alimenté les salaires a été affecté aux régimes à la place », explique Alex Dagg, le directeur des opérations de l’AJLNH. Cette décision, précise M. Dagg, vient du fait que la carrière de la plupart des joueurs de la LNH est de courte durée. La longueur d’une carrière dans le hockey professionnel peut varier beaucoup en effet, de un an à 20 ans, rappelle M. Greening. Mais il ajoute : « Si vous pouvez jouer professionnellement pendant cinq, dix, voire 15 ans, alors c’est fantastique. »

Jeu de puissance

Le nouveau régime PD est uniquement enregistré aux États-Unis, ce qui veut dire que les joueurs canadiens seront à présent régis par la réglementation américaine sur les retraites.

Disposer d’un régime américain semble toutefois logique, puisque 23 des 30 équipes de la LNH sont établies au sud de la frontière, estime l’avocat torontois, David Vincent, un associé du cabinet Canadian Benefits Law. C’est également logique, ajoute-t-il, car la réglementation canadienne impose des restrictions plus importantes sur les montants que les gens peuvent épargner pour leur retraite dans le cadre d’un régime PD, ce qui est une réalité particulièrement peu propice aux carrières de courte durée dans la LNH.

Ainsi, la réglementation canadienne régissant les régimes PD ne permet pas d’épargner plus de 2 % de la valeur de son revenu annuel, explique Mitch Frazer, un associé chez Torys LLP à Toronto. « Alors, si vous désirez toucher une rente correspondant à 70 % de votre revenu avant la retraite, il vous faudrait jouer dans la LNH pendant 35 ans, ce qui est évidemment impossible », précise-t-il.

La raison d’être de ce plafond de 2 % vient de la réglementation que les revenus provenant d’un régime PD ne peuvent pas dépasser les 70 % de ceux avant la retraite, explique M. Vincent. Ce niveau de 70 % est obtenu en multipliant 2 % par 35, qui est le nombre d’années maximal qu’une personne peut épargner en vue de sa retraite au Canada. Quelqu’un qui travaillerait plus de 35 ans ne pourrait donc pas bénéficier d’années supplémentaires pour calculer ses prestations de retraite, ajoute-t-il.

La réglementation américaine sur les régimes PD applique une formule différente pour calculer la prestation maximale. Mais en règle générale, les plafonds américains sont plus élevés, indique John McGowan Jr., un associé chez Baker & Hostetler LLP à Cleveland, en Ohio. Au bout du compte, ce régime PD américain pour tous les joueurs de la LNH implique que les athlètes canadiens peuvent tirer profit des plafonds plus élevés. « Ce nouveau régime PD crée une parité dans toute la ligue », conclut M. Greening.

Il ajoute par ailleurs que le nouveau programme élimine les problèmes qui se présentaient lors des échanges d’athlètes entre les équipes de la LNH. En effet, un joueur peut entamer sa carrière au Canada en pensant qu’il prendra sa retraite avec un certain montant d’épargne, mais il peut ensuite être échangé aux États-Unis; ou vice versa. Dans le passé, ce type de déplacements transfrontaliers pouvait modifier les calculs d’un joueur concernant sa retraite, remarque M. Greening. « Si vous pensez que vous allez prendre votre retraite en disposant d’une certaine somme d’argent et que vous faites l’objet d’un échange vers un autre endroit où les dispositions du régime sont différentes, alors cela peut être frustrant pour des joueurs dans ce cas de figure », explique-t-il.

Mais comment est-il légalement possible pour des joueurs canadiens, qui s’acquittent de leurs impôts au Canada, de cotiser à un régime de retraite aux États-Unis, qui est lui soumis à l’imposition américaine et aux réglementations régissant les retraites dans ce pays ?

Pour permettre aux joueurs canadiens de toucher les prestations que le régime américain leur promet, ils devront bénéficier d’une entente spéciale au Canada, à savoir une convention de retraite, explique M. Dagg.

La convention n’est pas une entente de retraite enregistrée. C’est un instrument permettant aux salariés à revenus élevés d’épargner davantage en vue de leur retraite que ce qu’autorise le gouvernement canadien. La convention implique également que les joueurs au pays devront acquitter un impôt supplémentaire considérable au gouvernement canadien, ajoute M. Dagg. « C’est presque comme un compte d’épargne haut de gamme, précise M. Frazer. La convention de retraite est conçue pour reproduire pour les employés d’équipes canadiennes des prestations équivalentes à celles qu’ils recevraient s’ils étaient au sein d’équipes américaines, ce qui les amènerait à dépasser les plafonds en matière de retraite au Canada. »

Une équité perfectible

Bien que le nouveau régime PD permette aux joueurs évoluant de part et d’autre de la frontière de toucher les mêmes prestations de retraite, il persiste toutefois des différences en ce qui concerne les montants que les joueurs américains et canadiens peuvent mettre de côté par l’entremise des régimes d’épargne-retraite volontaire, tels que les 401(k) aux États-Unis et les Régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER) au Canada.

À l’image des plafonds des régimes PD, les limites américaines pour ces instruments sont aussi plus élevées qu’au Canada. Ainsi, en 2014, les cotisations maximales aux États-Unis pour les 401(k) s’élèvent à 17 500 $ US pour des cotisations avant impôts et à 34 500 $ après impôts. Au Canada, le plafond de cotisations dans un REER s’élève à 24 270 $ CA par année.

Alors pourquoi le Canada impose-t-il des restrictions plus importantes sur les déductions fiscales pour des régimes d’épargne-retraite volontaire ? « La théorie sous-jacente veut que, quel que soit son type de régime de retraite – PD, CD ou REER –, tout le monde devrait avoir droit grosso modo au même montant de cotisations et de déductions fiscales pour ces cotisations, explique M. Vincent. Personne ne devrait être avantagé parce qu’il ou elle participait à un régime en particulier. » Au sud de la frontière, la réglementation régissant les déductions fiscales est plus généreuse, car « le système d’imposition américain est bien moins gourmand envers les contribuables à haut revenu », rappelle-t-il.

Le plafond de cotisation inférieur pour les régimes d’épargne-retraite volontaire au Canada désavantage les joueurs d’équipes canadiennes par rapport à ceux qui jouent au sud de la frontière, affirme M. Greening. «Le dialogue avec le gouvernement fédéral se poursuit, car nous visons des règles équitables pour les joueurs de clubs américains et canadiens, explique-t-il. De plus, les joueurs qui deviendront des agents libres sans restrictions ne choisissent pas le pays dans lequel ils joueront. » (Un agent libre sans restriction est un joueur pouvant signer pour tout club de la LNH sans qu’aucune compensation ne soit due à son ancien club.)

Défendre le filet

Malgré les différences de montants que les joueurs canadiens de la LNH et leurs homologues américains peuvent mettre de côté volontairement, les cotisations au sein du régime PD fonctionnent de la même manière pour tous les athlètes.

Les joueurs cotisent collectivement 38 millions de dollars au régime, précise M. Greening, en ajoutant que la première cotisation a été effectuée en avril 2013. Au terme de chaque saison, ce montant est prélevé sur la part de 50 % des revenus de la Ligue qui revient aux joueurs, indique-t-il. Une fois cette somme déduite, à laquelle s’ajoute les déductions pour d’autres avantages sociaux, le reste de l’argent est consacré aux salaires des athlètes. Les revenus varient selon les joueurs, mais chaque athlète dispose d’un contrat stipulant le montant de ses gains par saison et cette somme est versée par tranche toutes les deux semaines.

Dans le cadre de la réglementation américaine, le régime peut commencer à verser les prestations de retraite maximales aux joueurs à partir de l’âge de 62 ans, explique Mme Berman. La prestation maximale est actuellement d’un peu plus de 200 000 $ par année, mais ce chiffre est réévalué chaque année en fonction de l’inflation. Pour toucher la prestation maximale, il faudra qu’un joueur affiche dix années de service ou plus, précise-t-elle. Si un athlète joue moins d’années, alors sa prestation diminuera. Ainsi, cinq années de service se traduiraient par des prestations d’environ la moitié du maximum autorisé.

« L’usure de la machine humaine peut être très importante lorsque l’on joue pendant dix ans, avec 82parties par saison, rappelle M. McGowan. Cet argent est plus durement gagné que ce que les gens peuvent penser. » La réglementation américaine permet également aux joueurs de prendre leur retraite dès l’âge de 45 ans, mais dans ce cas-là, la prestation maximale sera alors inférieure à 200 000 $, remarque M. McGowan. « Il est donc très important que les joueurs comprennent ce que représente cette promesse [de rente] et ce quelle ne représente pas. »

Une initiative rare

En dépit de sa conception unique et de la jeunesse de ses membres, le régime de retraite de la LNH est également inhabituel d’une autre manière : il défie les tendances actuelles en matière de retraite en Amérique du Nord.

« La plupart des entreprises veulent abandonner les régimes PD en raison de la volatilité des coûts, observe M. Frazer. La tendance vers des régimes CD est extrêmement marquée. La LNH serait le seul régime, je pense, où l’on s’éloigne des CD en faveur des prestations déterminées. »

Mais, bien que cette initiative soit rare au sein du secteur des retraites dans son ensemble, elle est plutôt typique dans le domaine des sports, estime Peter Landers, un associé du cabinet d’experts-conseils torontois, Global Governance Advisors.

En effet, d’autres ligues de sport majeures en Amérique du Nord, telles que la Ligue nationale de football (NFL) et l’Association nationale de basketball américaine (NBA), possèdent un régime PD. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont amené les joueurs de la LNH à négocier pour bénéficier de ce type de régime. Les régimes PD sembleraient logiques dans le monde des sports, étant donné la brève carrière de ses membres, ajoute M. Landers. Une carrière plus courte et donc un échéancier plus restreint pour épargner soulignent le besoin accru de recevoir des prestations garanties. Les régimes CD ne comportent pas les mêmes garanties, affirme-t-il.

Peu importe la durée de leur carrière individuelle, les joueurs de la LNH participent maintenant à un régime PD qui fait un bon bout de chemin pour s’attaquer aux iniquitésdont souffrent ceux qui jouent pour des équipes au nord de la frontière. En dehors du régime, les joueurs canadiens vont continuer de vivre avec des restrictions plus importantes sur le plan de leur épargne-retraite volontaire.

Passons maintenant aux choses sérieuses, la nouvelle saison de hockey est commencée… mais où ai-je bien pu mettre cette télécommande?

Yaldaz Sadakova est rédactrice en chef adjointe
de notre publication sœur Benefits Canada.