Les fonds à date cible (FDC) ont gagné en popularité auprès des participants aux régimes à cotisation déterminée (CD) et aux régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER). Faciles à comprendre et à utiliser, ils évitent le besoin des révisions régulières des placements. Mais quelles sont les limites de cette stratégie axée sur l’âge prévu de la retraite ?
Dans un contexte où une majorité de régimes CD et de REER n’offrent pas de FDC, comment expliquer leur popularité grandissante ? « Les promoteurs de régime offrent ces fonds parce qu’ils simplifient le processus de planification financière pour les participants, qui n’ont que deux décisions à prendre : l’année au cours de laquelle ils souhaiteraient prendre leur retraite et les sommes qu’ils aimeraient cotiser », explique JoAnne Jodoin, directrice, développement des affaires à la Great-West.
Ce que corrobore Firass Kansou, responsable, Solutions Placements à la Financière Sun Life. « Lorsque vient le temps d’aborder les questions de placements, les participants ont peu de temps, peu de connaissances et peu d’intérêt. Trois réalités qui créent une certaine aversion au risque. L’intérêt d’un FDC est qu’il offre aux participants de prendre les risques au bon moment. » Autre raison notée : une gestion basée non pas sur l’atteinte d’un rendement annuel, mais bien sur la gestion du risque en fonction de la durée.
« L’idée est de combattre l’inertie », commente Éric Tardif, conseiller principal, conseils en gestion de placements à Aon Hewitt. « En offrant un FDC à un jeune employé de 25 ans, l’employeur s’assure que celui-ci ne sera pas confiné à une formule de type 100 % en marché monétaire. » De plus, selon lui, les fonds cycle de vie permettent d’éviter certains risques financiers. « On se souvient encore des gens qui ont perdu 50 % de leurs fonds en 2008 parce que ceux-ci opéraient selon une formule à 100 % d’actions », rappelle M. Tardif.
En ce qui concerne le choix des FDC comme option par défaut, JoAnne Jodoin déclare ceci : « Ce produit s’avère justifié, car on ajuste automatiquement les options de placement sous-jacentes en fonction de la date de retraite choisie. La répartition de l’actif et, par conséquent, le degré de risque évoluent selon une optique plus prudente à mesure que le participant approche de la retraite. »
Si offrir la possibilité de bénéficier de rendements composés à ceux s’étant abstenus de choisir est certes une idée noble en soi, elle ne va pas sans présenter un certain risque. « L’inconvénient des fonds par défaut à faible risque, tels les fonds du marché monétaire, est bien sûr leur faible taux de rendement, souligne Mme Jodoin. Avec ce type de placements, l’inflation, qui peut être plus forte que la croissance de l’épargne-retraite, pourrait causer une insuffisance du revenu de retraite. »
Les raisons de l’abstention
Certains promoteurs de régime choisissent de ne pas offrir cet outil de placement. Leurs arguments ? « Des frais de gestion légèrement plus élevés que ceux des autres fonds de placement, ce qui peut dissuader certains répondants », note Mme Jodoin. Des promoteurs ou des conseillers considèrent également la répartition comme trop audacieuse lorsque le participant est encore loin de la retraite, précise M. Kansou. « Au final, c’est une décision qui revient au comité de retraite », fait valoir Guy Beaulieu, conseiller principal, gestion d’actifs chez PBI Conseillers en actuariat. « Si l’option est offerte, il en revient au participant d’y adhérer ou non. »
Le spectre du risque fiduciaire
D’autres considérations justifieraient l’absence d’offre, notamment la crainte d’un risque fiduciaire, défini comme le risque de voir un intermédiaire ne pas protéger de façon optimale les intérêts d’un bénéficiaire. Selon le Sondage auprès des participants aux régimes de capitalisation de 2014 (Avantages, novembre 2014), 63 % croient que s’ils ne font pas leurs propres choix de placements, il incombe à leur employeur de s’assurer que leurs cotisations sont investies de façon appropriée. De plus, 54 % estiment que leur employeur doit veiller à ce que leurs choix soient dans leur meilleur intérêt, et 66 % ont confiance que l’option par défaut retenue par l’employeur leur procurera des fonds suffisants à la retraite.
Limites et possibles
Si les critiques des FDC conviennent qu’ils sont bien diversifiés entre les fonds d’actions et les fonds à revenu fixe, ils soulignent toutefois le manque d’uniformité dans la répartition de l’actif de fonds semblables, de sorte qu’il est difficile de comparer les rendements réalisés par différents fournisseurs.
« L’importance accordée par les fonds à date cible à l’âge ou aux années à courir jusqu’à la retraite ne tient pas automatiquement compte des différences individuelles, observe JoAnne Jodoin. Deux participants d’âge semblable n’ont pas nécessairement la même tolérance au risque ou la même capacité d’absorber des pertes éventuelles. »
Une réalité que confirme Éric Tardif. « L’approche universelle limite certainement les possibilités. Si celle-ci peut être contournée par une offre à la carte, il convient de la restreindre à entre 10 et 15 fonds, question de ne pas perdre le client dans l’offre pléthorique actuelle. »
« Dans un contexte de hausse possible des taux d’intérêt, un profil trop prudent, souvent constitué à 80 % d’obligations, peut générer des rendements négatifs », prévient M. Kansou.
Entre deux craintes, le compte balance ?
Que craindre davantage : le rendement inférieur ou le risque ? Plus précisément : l’aversion au risque suscite-t-elle des rendements inférieurs aux attentes lors de la retraite ? À ce sujet, les opinions divergent.
« Oui, dit Guy Beaulieu. Bien que l’approche cycle de vie propose aux jeunes travailleurs des placements plus audacieux, ces derniers craignent généralement le marché boursier, ce qui limite les possibilités. »
« Non, fait valoir Éric Tardif. La stratégie s’appliquant généralement aux travailleurs de 30 à 35 ans vise le remplacement de revenu, plus précisément à limiter le risque afin d’assurer la protection du capital au moment de la retraite. Puisque l’espérance de vie augmente, les FDC évoluent. Le secret est peut-être de conserver un peu plus de risque plus longtemps. »
« L’aversion au risque découle habituellement d’un manque d’information, révèle Firass Kansou. Une fois que le participant comprend que l’important ne se situe pas dans le rendement annuel mais dans le revenu généré à la retraite, il est généralement plus ouvert aux possibilités. »
Face à un rendement en-deçà des attentes, le retraité doit alors envisager les options suivantes : continuer de travailler, reporter la date de la retraite, réduire ses dépenses à la retraite, puiser dans son épargne personnelle et dans les programmes de l’État. « Ou hausser sa contribution, si alerté à temps », prend soin de noter Firass Kansou.
Le temps et l’argent
Planifier la retraite en fonction de l’âge de départ, n’est-ce pas sous-estimer le risque de longévité et autres risques inhérents ? Quelle est alors la meilleure trajectoire ? Celle menant à la retraite ou celle se poursuivant durant la retraite ?
En principe, plus les participants ont épargné pour leur retraite, moins ils sont susceptibles d’épuiser leur capital. Mais la réalité s’avère plus complexe. « Oui, il y a un danger de sous-évaluer le risque de longévité, qui n’est pas mutualisé comme dans un régime à prestations déterminées », soutient Guy Beaulieu. « Non, répond Éric Tardif. Au contraire, plus on approche de la retraite, plus on peut protéger nos acquis. »
« Ce qu’il faut garder en mémoire, c’est que 50 % des revenus versés à la retraite proviennent des rendements post-retraite, indique M. Kansou. Pourquoi ? Parce qu’on y retrouve l’actif à son plus haut niveau et que le rendement s’exerce sur un plus grand montant. »
Et lors de la planification, le participant a-t-il tendance à choisir une date de retraite souhaitée plutôt qu’une date réaliste ? « La plupart ne se montrent pas très réalistes, argue Guy Beaulieu. Ils accumulent 200 000 $ et croit que c’est énorme, oubliant que la retraite peut durer de 25 à 30 ans. »
Nonobstant le choix du participant, certains promoteurs insistent pour que leur contribution aux FDC soient versées au fonds se rapprochant le plus de l’année officielle de prise de retraite. « La cotisation de l’employé peut aller dans le fonds désiré, mais pas celle de l’employeur », rappelle M. Kansou.
Maximiser une adhésion tardive, c’est possible ?
Comment adapter les fonds à date cible aux personnes qui y adhèrent tardivement, notamment les travailleurs se situant entre 45 et 55 ans ?
« C’est problématique, précise Guy Beaulieu. Récemment, un client désirant instaurer un régime FDC a finalement renoncé à l’idée. Comme 95 % des employés étaient en cycle modéré et qu’ils n’avaient pas tiré profit d’un profil plus audacieux en début de carrière, le régime a été jugé trop risqué. »
« En général, les FDC comportent une répartition de l’actif plus prudente pour les participants au régime qui sont proches de la retraite », déclare JoAnne Jodoin.
Pour une meilleure utilisation des FDC : mode d’emploi
Impossible d’en douter : la clé du succès des FDC se trouve dans la communication et l’information. « Pour faire la différence, il faut informer et revenir à la charge annuellement », s’accordent à dire Guy Beaulieu et Firass Kansou.
Il importe d’utiliser les ressources des fournisseurs de service et des promoteurs pour établir des stratégies ciblées, soutient Éric Tardif. « Webinaires, rencontres de groupe, affiches, consultations personnalisées, outils de planification et de projections : tout doit être mis à contribution pour encadrer les participants. »
Est-il permis de penser que le meilleur reste à venir ? Tout porte à le croire, selon Guy Beaulieu. « La progression de 22 % des FDC depuis leur implantation au Canada, en 2005, s’est réalisée au détriment des fonds équilibrés. Des améliorations ont été apportées, et d’autres seront annoncées sous peu, notamment en matière de décaissement et d’optimisation de l’expérience du participant au chapitre de l’engagement. » À suivre, donc.