De nombreux employeurs qui offrent un régime de retraite à prestations déterminées (PD) à leurs employés pourraient devoir verser le double de leurs cotisations, ou plus, cette année pour répondre aux exigences de solvabilité. Le ratio de solvabilité médian – soit le coefficient de la valeur marchande de l’actif du régime comparativement à son passif – a été inférieur d’environ 15 % en janvier 2012 par rapport au début de 2011, en raison de la baisse des taux d’intérêt et du recul des marchés boursiers.

La solvabilité de ces régimes se situant seulement autour de 68 % (une baisse d’environ 83 % comparativement à l’année précédente), les promoteurs de régime qui produisent une évaluation actuarielle en 2012 devront verser des fonds additionnels afin de se conformer aux règles de capitalisation minimale qui garantissent les rentes promises en vertu des régimes PD (voir le graphique Ratio de solvabilité médian).

Toutefois, ce ne sont pas tous les promoteurs de régimes PD qui verront leurs cotisations augmenter considérablement. Les organisations qui ont pris des mesures afin d’aligner l’actif de leur régime sur le passif ont probablement un meilleur ratio de solvabilité que les autres. Bien qu’aucune stratégie de réduction des risques ne convienne à l’ensemble des régimes, l’adoption d’une approche ciblée de gestion des risques aidera les promoteurs à éviter d’avoir à combler d’importants déficits.

L’évolution des stratégies IGP
Une stratégie d’investissement guidée par le passif (IGP) est une stratégie d’investissement pour les régimes de retraite selon laquelle la répartition d’actif est guidée par les flux financiers du passif du régime. Cette stratégie a été élaborée pour faire contrepoids à la stratégie précédente de répartition d’actif guidée par un portefeuille de référence, dont le but consistait à battre les indices boursiers. Le principal objectif d’une stratégie IGP est de réduire la taille et la volatilité des paramètres clés des régimes, notamment les cotisations et les charges de retraite à des fins comptables.

Les formes antérieures de l’IGP cherchaient à apparier les flux financiers du passif avec les flux financiers obligataires. Or, cette stratégie s’est avérée coûteuse, les rendements des actions étant sacrifiés et la durée des obligations disponibles n’étant pas suffisamment longue pour correspondre aux flux financiers du passif à long terme. Les stratégies IGP se sont popularisées après que la société Boots, du Royaume-Uni, ait décidé en 2001 de transférer la totalité de son actif dans des obligations, afin de mieux l’apparier au passif de son régime. Il convient de mentionner que depuis ce temps, la société a réinvesti une partie de son actif dans des actions.

De nos jours, il est rare qu’un promoteur déplace la totalité de son actif vers des obligations, compte tenu du fait que 96 % des régimes de retraite canadiens affichent actuellement un déficit de solvabilité et qu’ils se tournent vers les rendements boursiers pour atteindre la pleine capitalisation. Certains employeurs ont commencé à prendre des mesures afin de réduire les risques, notamment en modifiant la conception de leur régime et la politique de placement, et en délaissant les placements en actions canadiennes et en obligations de court et moyen termes en faveur des actions mondiales, des obligations à long terme et des placements alternatifs.

D’autres employeurs plus audacieux essaient de supprimer la totalité du risque de taux d’intérêt du régime en investissant dans des produits dérivés qui prolongent la durée de l’actif pour couvrir intégralement les fluctuations du passif causées par les fluctuations des taux d’intérêt. Toutefois, les promoteurs hésitent à actuellement mettre en place de telles mesures, en partie à cause du contexte de bas taux d’intérêt.

Une démarche rigoureuse de répartition d’actif
Les politiques de placement dynamiques deviennent aussi plus courantes en cette période d’incertitude économique. L’approche IGP traditionnelle, qui consiste à procéder à une répartition d’actif, puis à la réévaluer tous les trois à cinq ans à l’aide d’une étude actif-passif, ne suffit plus dans le contexte actuel.

Selon le Sondage mondial 2011 d’Aon Hewitt sur les risques liés aux régimes de retraite, plus du tiers (35 %) des promoteurs de régimes PD canadiens estiment que l’application d’une politique de placement dynamique constitue une démarche prudente. Une politique de placement dynamique est un processus fondé sur les objectifs, selon lesquels la répartition cible de l’actif du régime varie en fonction de critères particuliers, généralement des améliorations du ratio de capitalisation du régime. À mesure que ce ratio s’améliore, la composante « croissance » du régime (surtout des actions) diminue et la composante « couverture du passif » (surtout des obligations) augmente. En plus d’atténuer le risque du marché des actions à mesure que le ratio de capitalisation s’améliore, les politiques de placement dynamiques réduisent le risque de taux d’intérêt par l’ajout d’actifs qui couvrent le risque de taux d’intérêt du passif. Ces politiques ont le grand avantage d’écarter l’aspect émotionnel de la prise de décisions relatives à la répartition d’actif (voir le graphique Répartition d’actif selon la solvabilité du ratio de capitalisation).

Dans la mise en œuvre d’une politique de placement dynamique, les promoteurs de régime utilisent un cadre décisionnel qui est continuellement aligné sur la stratégie d’investissement du régime et sur les objectifs du promoteur. Ce faisant, le processus de gestion des risques du régime de retraite diffère de l’approche IGP traditionnelle sur au moins trois points importants :

  • la répartition d’actif est liée de façon plus claire et plus directe au passif du régime;
  • les promoteurs effectuent plus fréquemment une mesure et un suivi des principales variables actif-passif;
  • les promoteurs élaborent des stratégies précises fondées sur les changements de ces variables (plutôt qu’une composition d’actif statique ou purement basée sur les attentes des marchés financiers).

Une politique de placement dynamique à deux dimensions
Certains promoteurs peuvent hésiter à mettre en œuvre une politique dynamique qui réagit essentiellement à des augmentations du ratio de capitalisation d’un régime. Ils sont réticents à transférer des actifs dans des obligations de longue durée et à se protéger contre le risque de taux d’intérêt alors que les rendements des obligations de longue durée ont atteint un creux sans précédent. Ces promoteurs voudront peut-être ajouter une seconde dimension à leur politique. Ainsi, dans leurs actifs de couverture du passif, ils détiendraient plus d’obligations de courte durée lorsque l’on s’attend à une hausse des taux, et à plus d’obligations de longue durée lorsque les taux auront atteint un certain équilibre.

L’établissement d’une politique dynamique à deux dimensions qui définit la durée souhaitée des obligations selon le niveau de rendement des obligations à long terme permet au promoteur de réduire la tentation de miser de façon incontrôlée sur la synchronisation des taux d’intérêt aux marchés. Le graphique Couverture en fonction de la capitalisation illustre à quoi ressemblerait la mise en œuvre d’une politique de placement dynamique à deux dimensions.

Plus le ratio de capitalisation est élevé, plus la pondération des actifs de couverture du passif est importante et plus le ratio de couverture est élevé (une mesure de l’alignement des actifs et des passifs – un ratio de 100 % – signifie que les actifs et les passifs réagissent en tandem aux fluctuations des taux d’intérêt). À tout niveau de capitalisation, le ratio de couverture peut se situer au-dessus ou au-dessous de la cible, à l’intérieur des limites, selon le niveau des taux d’intérêt à ce moment précis.

Réduire l’incidence de la volatilité des marchés
La prise en charge d’un certain risque de non-appariement de l’actif et du passif est courante dans l’établissement d’une politique de placement. Il est essentiel de veiller à obtenir un rendement optimal en fonction de ce risque. Compte tenu des événements des dernières années, les promoteurs cherchent de plus en plus à réduire la volatilité sans renoncer au rendement. Ils privilégient en particulier la diversification, non seulement en période de marchés « normaux », mais aussi lorsque les marchés sont en ébullition. Dans cette optique, les promoteurs investissent de plus en plus dans des catégories d’actif non traditionnelles, comme les fonds en infrastructure, l’immobilier, les marchandises et les fonds de couverture.

Malheureusement, des exigences d’investissement minimal, même dans des structures en gestion commune, ont souvent un effet prohibitif sur les petits régimes de retraite. En outre, les promoteurs peuvent manquer de ressources pour bien comprendre les embûches et les risques associés à ces catégories d’actif.

Toutefois, les promoteurs peuvent avoir accès à ces placements par l’entremise de fournisseurs de solutions de consultation active en gestion de placements, qui prennent en charge la gestion des placements du régime et les activités fiduciaires connexes en vue de gérer efficacement les coûts, les risques et la gouvernance du régime.

Pour les promoteurs qui n’ont ni le goût ni le temps d’investir dans les catégories d’actif non traditionnelles, les stratégies d’actions à faible volatilité commencent à gagner du terrain. Ces stratégies permettent de bâtir des portefeuilles composés d’actions dont la volatilité a toujours été faible et devrait le demeurer. Elles ne visent pas à surpasser un indice boursier en particulier.

Les stratégies IGP sont là pour rester
Depuis 2001, les promoteurs de régimes de retraite ont traversé trois crises exceptionnelles (2001, 2008 et 2011), et la tempête parfaite de 2011 risque d’être bien plus néfaste pour la plupart des régimes que celle de 2008. Les effets de la dernière crise financière et les exigences de capitalisation accrues donneront lieu à des réunions de comités de retraite fort difficiles au cours des prochains mois.

En 2012, la principale question qui se pose aux chefs des finances et aux gestionnaires de risques est la suivante : « Comment éviter une répétition de ce qui s’est passé en 2011? ». L’histoire récente, depuis 2008, a démontré que d’attendre la reprise des marchés n’est pas une stratégie concluante. Même si les taux d’intérêt sont très bas, nul ne sait quand ils remonteront, à quel rythme et à quel endroit sur la courbe de rendement. À tout le moins, les promoteurs soucieux d’éviter une répétition de 2011 devraient procéder à un examen des risques de leurs régimes afin de connaître les principaux risques auxquels ils sont exposés et les stratégies qui permettront de les gérer. Le promoteur qui dispose d’un plan approuvé sera prêt à prendre les mesures nécessaires au moment approprié pour parvenir à la destination souhaitée à long terme. Autrement, tout ce que les promoteurs peuvent faire est d’espérer que tout s’arrangera en serrant bien fort leur porte-bonheur.

André Choquet est conseiller au bureau d’Aon Hewitt à Toronto.
Claude Lockhead est associé principal au bureau d’Aon Hewitt à Montréal.