Avec les profonds changements qu’ont connus les régimes de retraite au cours des 20 dernières années, c’est toute l’industrie qui a dû s’ajuster à une nouvelle réalité. En plus de devoir guider leurs clients dans cet univers en évolution, les firmes de consultation ont été forcées d’entamer une réflexion sur leur propre rôle.

« Avant 1990, bien des caisses de retraite n’avaient même pas de politique de placement », a rappelé Claude Lockhead, associé exécutif à Aon Hewitt lors d’une discussion organisée jeudi dernier par CFA Montréal.

« Dans l’environnement économique de l’époque, c’était facile de répondre aux attentes actuarielles. Les obligations avaient un rendement de 10 ou 11 % et les bons du Trésor de 6 ou 7 %. Aujourd’hui, il faut travailler beaucoup plus fort pour trouver de nouvelles stratégies et prendre davantage de risque si on veut atteindre les objectifs », a-t-il ajouté.

Cette évolution du contexte d’investissement a amené les experts-conseils à redéfinir leurs mandats, dans lesquelles la gestion des risques a pris une place prépondérante. « Les années 1990 ont marqué le début du véritable rôle des consultants, a affirmé Pierre Parent, associé chez Normandin Beaudry. On a dû mettre sur pied des équipes spécialisées dans les différentes catégories d’actifs et réfléchir à la façon de gérer les rendements et les risques associés. »

Les placements alternatifs, devenus plus accessibles, séduisent justement les caisses de retraite parce qu’ils offrent de nouvelles possibilités de gestion des risques. « Ils permettent de diversifier les sources de risques des caisses de retraite, qui étaient traditionnellement constituées de 60 % d’actions et 40 % d’obligations », a noté Jean-Pierre Talon, membre du partenariat chez Mercer.

« Les petits régimes ne comprennent peut-être pas tous les risques sous-jacents aux placements alternatifs », a toutefois mis en garde Claude Lockhead, en faisant référence au risque de liquidité et au risque d’évaluation (ces types d’actifs faisant généralement l’objet d’évaluations moins fréquentes que les actions ou les obligations).

Quoi qu’il en soit, des fonds de couverture aux stratégies de bêta intelligent en passant par l’investissement guidé par le passif (IGP), la complexité de l’univers de l’investissement rend la tâche des consultants d’autant plus délicate.

« Les solutions de placement sont de plus en plus sophistiquées. Les clients s’attendent à ce que l’on soit spécialisé. Nos mandats sont de plus en plus larges. Il ne faut pas non plus négliger la saine administration des régimes. On sait que la bonne gouvernance a un effet positif sur les rendements », a ajouté Dany Lemay, conseiller principal et chef de la pratique Investissement chez Towers Watson.

D’autant plus que les régimes, qui étaient encore relativement jeunes au début des années 1990, sont aujourd’hui arrivés à maturité. Le poids considérable des passifs, qui ont fait exploser les déficits, représente un défi de taille pour les entreprises, mais aussi pour les consultants. « On a vu des situations, comme chez Air Canada, où le déficit était plus gros que la valeur de la compagnie!, a souligné Jean-Pierre Talon. Les stratégies d’IGP étaient une bizarrerie à l’époque. Nous sommes maintenant beaucoup mieux outillés pour analyser et comprendre les sources de risques, en faisant des stress tests par exemple. »

Un éventail de possibilités

La transformation des régimes à prestations déterminées (PD) en régimes à cotisation déterminée (CD) a été sans conteste la tendance la plus lourde dans l’industrie au cours des dernières décennies.

« En 1990, environ 30 % des employés du secteur privé bénéficiaient d’un régime PD, comparativement à 12 % aujourd’hui », a mentionné Claude Lockhead.

Pierre Parent a toutefois tenu à préciser que cette érosion ne se manifestait pas dans le secteur public, et que même dans le secteur privé, on notait un important ralentissement de la tendance. « Les promoteurs recherchent la stabilité des coûts, d’où l’éclosion des régimes à prestations cibles (PC), hybrides ou à risque partagé, qui sont quelques-unes des possibilités qui peuvent permettre d’y arriver. »

Concernant les régimes PC, M. Parent regrette cependant que la législation se fasse toujours attendre. « Quand cette solution va finalement arriver, d’autres vont déjà avoir pris le dessus », déplore-t-il.

« Le monde est de moins en moins binaire. Entre les régimes PD et CD, il existe un grand éventail de solutions qui rendent possible un meilleur partage des risques », a pour sa part affirmé Claude Lockhead.

Le poids de la longévité

S’il y a un thème commun qui rejoint à la fois la gestion des régimes PD et CD, c’est bien l’inquiétude grandissante liée à la longévité. Dans les régimes CD, le risque que les participants survivent à leur épargne est bien présent.

« Même si on donne toute l’information possible au participant, il n’est pas habitué à faire des choix de placement. C’est pourquoi les solutions intégrées par défaut gagnent en popularité », a indiqué Pierre Parent.

« Peu de participants dans les régimes CD ont à ce jour comblé les pertes de 2008 », a pour sa part affirmé Claude Lockhead.

Du côté des régimes PD, l’achat de rentes commence à se démocratiser, mais la majorité des caisses de retraite hésitent encore à franchir le pas.

« Le risque de longévité, soit on l’assume, soit on le transfère, a tranché Jean-Pierre Talon. Jusqu’à 2012, il y avait environ 1 G$ en achat de rentes par année au Canada. Il y a eu une augmentation depuis, on l’a vu avec l’entente entre Sun Life et BCE, le 5e plus gros transfert de risque de longévité dans l’histoire. Mais c’est une opération très complexe qui prend beaucoup de temps. »

Les consultants, des partenaires

Dans un contexte où les changements sont légion, quelle attitude devrait donc adopter un promoteur pour tirer le maximum de son partenariat avec un consultant?

« Il faut que le client soit capable de mettre ses convictions de côté et qu’il soit ouvert aux nouvelles idées », a mentionné Jean-Pierre Talon.

« On doit amener le client à voir à plus long terme pour élaborer un bon plan de match, a expliqué Pierre Parent. Les taux d’intérêt sont bas, mais sommes-nous prêts s’ils montent dans deux ans? »

« Les clients ont avantage à nous considérer comme des partenaires, et non comme des fournisseurs », a conclu Claude Lockhead.

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