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Il y a 10 ans presque jour pour jour, la banque d’investissement Lehman Brothers déclarait faillite, entraînant dans sa chute les marchés financiers mondiaux. Pour bien des régimes de retraite canadiens, mal préparés à encaisser un tel choc, les conséquences ont été catastrophiques. Grâce aux leçons apprises en 2008, sauront-ils traverser la prochaine crise financière avec plus de résilience?

Pour Bernard Morency, professeur associé à HEC Montréal et ancien premier vice-président à la Caisse de dépôt et placement du Québec, rien n’est moins sûr. Les régimes de retraite ont certes mis en place différentes mesures pour améliorer leur gouvernance, mais leur exposition au risque demeure très élevée, a-t-il soutenu, la semaine dernière, lors de la conférence annuelle de l’Association de la retraite et des avantages sociaux du Québec (ARASQ), à La Malbaie.

Meilleure gouvernance, plus de risque

Les plus optimistes souligneront le fait que depuis la crise, les promoteurs ont épuré leurs portefeuilles en s’éloignant des produits d’investissement reposant sur l’ingénierie financière et en utilisant les produits dérivés de manière plus ciblée. Les risques de crédit et de liquidité font également l’objet d’un meilleur suivi, tandis que la révision de la législation au Québec, notamment la loi 29 et sa provision de stabilisation, laissent croire que les régimes de retraite seront un peu mieux protégés quand arrivera le prochain choc boursier.

N’empêche, Bernard Morency ne cache pas son inquiétude. « Les régimes de retraite demeurent beaucoup moins réglementés que les banques et les compagnies d’assurance. En matière de gestion des risques, c’est presque le jour et la nuit », fait-il remarquer.

L’actuaire estime que les promoteurs de régimes sont en général plus exposés au risque qu’il y a 10 ans. « Les caisses de retraite utilisent davantage de levier, ont une part beaucoup plus grande de leurs portefeuilles investie dans des actifs illiquides et ont réduit leurs répartition en titres à revenu fixe », résume-t-il.

Le transfert massif d’actif des régimes à prestations déterminées (PD) vers les régimes à cotisation déterminée (CD) pourrait aussi changer le visage de la prochaine crise, estime Bernard Morency. « Il faut être bien conscient qu’en passant des régimes PD aux régimes CD, on n’élimine pas le risque, on fait seulement le transférer aux individus. On sait très bien que les investisseurs de détail n’ont pas la même tolérance ni la même capacité à prendre des risques que les grands régimes PD. Comment réagiront-ils à une crise financière. Vont-ils retirer massivement leurs placements des marchés? », se demande-t-il.

Un système bancaire plus solide

Si une décennie après la dernière crise, les caisses de retraite sont encore fortement exposées aux risques financiers, il en est tout autrement du système bancaire mondial, affirme le président et chef de la direction de la Banque Nationale, Louis Vachon.

« Le risque dans le système bancaire a fortement diminué partout dans le monde. Les banques sont beaucoup plus réglementées et détiennent davantage de liquidité et de fonds propres qu’il y a 10 ans. »

Contrairement aux régimes de retraites, les institutions bancaires ont grandement réduit leur recours au levier. Avant 2008, les banques canadiennes utilisaient un levier qui équivalait à 15 à 17 fois leurs capitaux propres. C’est donc dire que chaque dollar détenu en fonds propres soutenait 15 à 17 dollars d’actifs. « Et malgré tout nous étions très prudents au Canada. Avant de faire faillite, Leman Brother fonctionnait avec un levier de 40 fois. Chez UBS, on parlait même de 90 fois », précise Louis Vachon.

En revanche, certaines activités autrefois exclusivement exercées par les banques réglementées ont migré vers le système bancaire parallèle, notamment vers les prêteurs alternatifs. Très actifs en Chine, ces nouveaux joueurs pourraient avoir une influence sur la prochaine crise, ou la prochaine récession, juge-t-il.

Cela dit, Louis Vachon ne prévoit pas de récession à court terme, mais soutient que la Banque Nationale prend des mesures pour se protéger contre un éventuel choc. « Les gens commencent à oublier certaines leçons apprises en 2008, concède-t-il. Récemment, on a refusé d’aller de l’avant avec certaines transactions de placement privé, car le levier était trop élevé. Ce n’était pas arrivé depuis très longtemps. »