Le projet de loi no 3 (PL3) présenté par le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire, Pierre Moreau, le 12 juin dernier, prévoit la mise en place d’un cadre législatif obligeant la restructuration des régimes de retraite du secteur municipal et impose de
nouvelles règles encadrant le partage de coûts du
service courant et des déficits actuels ou futurs entre les municipalités et les employés. Faisant suite au projet de loi 79 déposé en février dernier par le gouvernement du Parti québécois, il touche 122 000 participants, dont près de 50 000 retraités.

Question : « y retrouve-t-on des points forts ? » Silence radio. Sauf pour Suzanne Roy, présidente de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), qui souligne la justesse du partage du déficit 50-50 et la fin des problèmes de financement des régimes qui en découle. Ils sont toutefois nombreux à parler de « surprises ». « Il nous est apparu comme excessif de placer tous les régimes de retraite dans le même panier et d’exiger une restructuration, même de ceux bien capitalisés », confie Claude Lockhead, associé exécutif de la pratique Retraite à Aon Hewitt. Autre source d’étonnement : limiter les coûts dans les régimes à 18 % des salaires, incluant la cotisation de stabilisation, sans égards envers la rémunération globale négociée entre les villes et les syndicats. « Ainsi, avoir un régime de retraite qui vaut de 20 à 22 % de la masse salariale peut être tout à fait adéquat sur le plan de la rémunération globale. Le projet de loi en fait fi, peu importe ce qui a été négocié, dont les concessions salariales », établit M. Lockhead.

« Malgré son titre évoquant la santé financière et la pérennité des régimes, il faut se rendre à l’évidence que le principe directeur semble être de permettre aux municipalités de réduire unilatéralement leurs coûts de main-d’œuvre, note Pierre Bergeron conseiller principal à PBI Conseillers. Les problèmes actuels sont le résultat du sous-financement historique des régimes, des congés de cotisation lors de surplus enregistrés et de bonifications sans création de réserve. »

La Coalition pour la libre négociation a lancé plusieurs campagnes, tout au long de l’été, pour souligner l’opposition au projet de loi. Son porte-parole, Marc Ranger, reconnaît que le contexte est difficile mais affirme que les points faibles du projet de loi sont nombreux. « Dans certains endroits, on a un participant actif pour un retraité, ce qui est bien différent du ratio cinq pour un d’il y a plusieurs années. Auparavant, lorsque les régimes connaissaient une mauvaise année, tel en 2008, on ne le ressentait pas vraiment. Mais avec le changement démographique, une mauvaise année de rendement dure longtemps », dit-il. Or, le PL3 ne cherche pas à trouver des solutions « intelligentes ». « C’est avant tout idéologique. À preuve : on s’attaque à tous les régimes, pas seulement ceux en difficulté », fait-il valoir. Même son de cloche du côté de l’Association québécoise des retraité(e)s des secteurs public et parapublic (AQRP) « Seuls ceux qui ont demandé un tel projet de loi peuvent lui trouver des points forts », commente son président Donald Tremblay.

Une loi bulldozerpour les gouverner tous ?

Dès le lendemain du dévoilement du PL3, les syndicats ont critiqué un projet de loi « bulldozer ». Dans les faits, est-ce vraiment le cas ? « Une fois les règles appliquées, le déficit réparti, l’indexation retirée et les efforts à consentir présentés, le gouvernement dit : vous nous devez 100 $, voulez-vous nous payer en billets de 10 $ ou de 20 $ ? Outre les éléments de réduction, il n’y a pas d’espace de négociation », renchérit Claude Lockhead. Donald Tremblay note, pour sa part : « Ayant été conseiller syndical dans une autre vie, je comprends le point de vue des syndicats. Retirer le droit de négociation entre employeur et employés, c’est pour le moins invasif. »

Pour Marc Ranger, un régime de retraite doit seulement être revu lors d’un renouvellement de contrat de travail ou de convention collective, et doit être négocié. « Si le gouvernement persiste avec son projet de jouer dans les droits des retraités et des employés actifs, il est question d’amener la cause sur les forums internationaux. Nos régimes à prestations déterminées sont des moteurs économiques qui permettent d’investir dans les fonds communs, les actions, etc. Si on sabre à ce niveau, tout le monde va écoper, économiquement parlant ».

Lors d’une entrevue en juillet, M. Ranger avait affirmé que les chiffres sur la situation financière des régimes de retraite qui seront dévoilés en septembre 2014, devraient témoigner d’excellents rendements et contribueront à effacer les déficits passés : « Le déficit de 3,9 milliards de dollars a été réévalué à 2,5 milliards de dollars. Grâce aux rendements favorables de la dernière année, il pourrait se situer sous la barre des 2 milliards. Il faut éviter de paniquer alors que le problème est en voie de se résoudre », constate-t-il. Mais Suzanne Roy est d’un autre avis : « Il faut agir, sous peine de voir un déficit se transformer en taxes. Ce n’est pas parce que les objectifs sont clairs qu’il n’y a pas de place à la négociation. Au contraire, il est beaucoup plus facile, dans un tel contexte, de se concentrer sur les moyens d’y parvenir ».

Les retraités écartés du débat ?

La question mérite d’être posée : qu’en est-il de la participation des retraités au débat si l’indexation est revue ? Claude Lockhead constate qu’actuellement, « il n’y a pas véritablement de place pour eux, alors que ça les concerne directement. L’indexation ayant un effet cumulatif, les plus vieux retraités vont payer moins que les jeunes retraités, selon les villes. S’il reste 20 années de retraite, ça fait plus mal que s’il en reste quatre ou cinq. » Pierre Bergeron précise, quant à lui, qu’il est légitime que les retraités soient entendus et prennent part aux discussions. « Les études canadiennes ont démontré que les sommes versées aux retraités retournent à 100 % dans l’économie sous forme de taxes, d’impôts et en consommation courante », affirme-t-il. Ce à quoi Donald Tremblay ajoute : « L’absence d’indexation signifie un appauvrissement graduel de la personne. Ce n’est certainement pas où les réelles économies doivent être faites ».

Et quid de l’équité intergénérationnelle ? « On la cherche encore, répond Pierre Bergeron. La nouvelle génération de travailleurs va cotiser davantage pour un régime moins généreux, et être davantage à risque. C’est du nivellement par le bas. D’un côté, l’on dit que les régimes coûtent plus chers, qu’on vit plus longtemps et qu’il faudrait donc économiser davantage pour la retraite. Mais, de l’autre côté, l’on vient plutôt dire : non, il faut couper les coûts ». « Entre participants actifs et retraités, l’équité n’est pas vraiment respectée, confie Claude Lockhead. Pensons aux régimes non indexés pour lesquels les retraités ne participent pas au renflouement des coffres, alors que les participants actifs devront le faire, pour le passé et le futur, soit à travers le partage des cotisations, soit avec la limite imposée du 18 %. Les participants actifs sont très sollicités alors que certains retraités, pas du tout. »

Donald Tremblay explique que les retraités sont conscients du fait que, depuis l’instauration des régimes de retraite dans les années 1970, la donne a changé. « Mais les modifications doivent être le fruit d’une concertation, non d’un projet de loi, affirme-t-il. Il est abherrant que le gouvernement force tout le monde à payer la note pour des régimes en difficulté, résultats de décisions malheureuses prises par des gens qui n’étaient pas des retraités. »

Gouvernance, finances, présence

La gouvernance constitue en effet l’une des pommes de discorde du dossier. Marc Ranger dit être choqué par la proposition de partage 50-50 du déficit, soulignant que le projet de loi ne fait aucune référence à la gouvernance. « Les syndicats n’occupent qu’un ou deux sièges sur les comités de gestion, les villes demeurant majoritaires et en charge des décisions concernant nos régimes. On partage le déficit ? On partage les décisions également », tranche-t-il. Donald Tremblay poursuit l’argument : « On doit tous avoir voix au chapitre en siégeant aux comités des régimes de retraite. Qui confierait ses deniers à un conseiller sans savoir où et comment ceux-ci seront investis ? Ce n’est pas logique. »

Des conséquences à prévoir…

Plusieurs conséquences seraient à redouter si le PL3 devait être instauré dans l’état (au moment de mettre sous presse, la commission parlementaire n’avait pas encore commencé). Pierre Bergeron affirme que, sans indexation, l’économie de consommation courante pourrait ressentir un ralentissement. Pour Marc Ranger, « les employés municipaux vont se reprendre aux tables de négociation pour tenter de ravoir un peu de qui leur a été retiré, soit-il question d’assurances ou de salaire ». C’est sans compter la possibilité de moyens de pression ou même de débrayages, qui représentent des coûts sociaux non comptabilisés. Claude Lockhead conclut qu’il s’agit tout simplement d’un déplacement de coûts. « Le contribuable y verra des économies à court terme, mais à moyen et long termes, il risque de perdre sur des éléments plus transparents, tel le salaire. Ce qui pourrait toutefois lui apparaître plus acceptable que de payer pour des régimes de retraite auxquels il n’a pas droit ».

Le PL3 en bref

– La restructuration touche tous les régimes de retraite des employés municipaux;

– L’obligation pour les participants actifs de financer 50 % du déficit qui leur est propre en date du 31 décembre 2013 au moyen d’une réduction de leurs droits accumulés;

– L’obligation de partager les coûts futurs (coût courant et déficits futurs relatifs à la participation depuis le 1er janvier 2014) à parts égales entre les participants et la ville (une règle transitoire est prévue pour les régimes où la part actuelle des employés est inférieure à 35 %);

La suspension de l’indexation des rentes des retraités et son rétablissement prioritaire selon la santé financière du régime;

– L’abolition de l’indexation automatique des rentes des participants actifs et la mise en place d’une indexation liée à la santé financière des régimes;

– L’obligation de verser une cotisation additionnelle de stabilisation égale à 10 % de la cotisation pour service courant;

– Le plafonnement du coût du régime (cotisation courante et de stabilisation) à 18 % du salaire (20 % pour les policiers ou pompiers);

– Un processus directif de négociation et de règlement des différends.

Pour consulter le projet de loi, visitez http://bit.ly/1ric5w8.